Promenades, biberon, pédiatre... L'avis d'un psy sur ces femmes qui traitent leurs poupées "reborn" comme des bébés vivants

Créés par des artistes, adoptés par des passionnées : les bébés reborn fascinent autant qu'ils dérangent. Sur les réseaux, certaines mamans sont moquées ou traitées d'illuminées. Le psychologue Vincent Joly décrypte ce phénomène qui prend de l'ampleur.

Promenades, biberon, pédiatre... L'avis d'un psy sur ces femmes qui traitent leurs poupées "reborn" comme des bébés vivants
© BABESIDE

Les bébés reborn sont fabriqués à la main par des artistes capables de reproduire la peau, le poids et les traits d'un nourrisson avec une précision déroutante. Chaque poupon demande entre 30 et 60 heures de travail : peinture en fines couches pour imiter les veinules, implantation de cheveux un à un, vernissage des ongles, ajout d'un mécanisme pour simuler la respiration ou les battements du cœur… Ces pièces uniques et ultra-réalistes peuvent coûter de quelques centaines d'euros à plus de 3000 euros. Créés à l'origine pour le cinéma, les bébés reborn ont ensuite trouvé leur place chez des collectionneurs. Mais certaines personnes les intègrent de plus en plus à leur quotidien comme un soutien affectif, notamment après une fausse couche, un deuil périnatal ou en cas d'infertilité. C'est là que le public se trouble : une femme qui installe son bébé reborn dans une balançoire au parc, une autre qui le promène en poussette, ou celle qui lui donne un biberon dans un centre commercial. Ces scènes, pourtant isolées, rendent la plupart des gens perplexes... 

Ces dernières semaines, le phénomène s'est amplifié sur les réseaux sociaux. Des mamans reborn, qui prennent soin de leur poupon comme un véritable bébé, réclament des places en crèche ou des rendez-vous médicaux chez un pédiatre, qui changent une couche dans les toilettes publiques pendant que les (vraies) mamans attendent... Des annonces de nounous reborn ont même été publiées sur Leboncoin et les réseaux. Nous en avons contacté quelques-unes qui, chaque fois, ont immédiatement supprimé leur annonce, voyant ici une opportunité de gagner de l'argent facilement... Ce phénomène serait-il devenu si insolite au point d'être moqué par les internautes ? Selon Vincent Joly, psychologue, ces exemples extrêmes sont des cas isolés : "Non, les mamans reborn ne sont pas folles", insiste-t-il.

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Il rappelle tout d'abord que "l'être humain est un animal ludique" et qu'à l'âge adulte, "on ne s'autorise plus à jouer avec des jouets", alors qu'on accepte très bien qu'un adulte passe des heures sur une console. Il compare les bébés reborn aux poupées de cire ou de collection de nos grands-parents que certains installent autour d'une table : "le bébé reborn, chez beaucoup de personnes, c'est un phénomène de collection assez proche de ça". Ce qui choque, c'est que "la mise en scène se fait dans l'espace public", même si "la grande majorité des gens savent tout à fait mettre le jeu à la bonne place". Selon lui, les vidéos les plus déroutantes relèvent surtout de "la provocation et d'une mise en scène pour faire du buzz". Ainsi, "la plupart savent parfaitement faire la différence entre le réel et l'imaginaire", explique Vincent Joly, qui précise que "si quelqu'un venait à confondre les deux, ce ne serait pas à cause d'un bébé reborn : elle l'aurait confondu avec n'importe quoi d'autre, car c'est un fonctionnement psychotique préexistant".

Le psychologue appelle plutôt à la bienveillance. Certaines personnes utilisent ces poupons pour se reconstruire après une fausse couche ou un deuil périnatal, des épreuves trop douloureuses, et encore peu reconnues socialement. "Dans le doute, il vaut mieux partir du principe que les gens ne le font pas pour rien", explique-t-il. Derrière une scène qui paraît étrange, il peut y avoir une douleur réelle datant de quelques jours seulement ou simplement, un jeu sans conséquence. En revanche, "se moquer de quelqu'un qui se débat avec son deuil peut être dangereux", ajoute-t-il.

Pour lui, la plupart de ces pratiques relèvent du jeu, de la collection ou de stratégies personnelles pour faire face à une épreuve. Ce besoin de reconstruction peut parfois être passager, mais si cela peut aider, pourquoi pas... Les cas réellement problématiques sont rares. "Dans le doute, soyons bienveillants", conclut-il : une position essentielle face à un sujet où les jugements arrivent plus vite que la compréhension.