"Une aberration" : cette prof est contrainte d'enseigner une matière qu'elle ne connaît pas
Cette enseignante a préféré quitter le public plutôt que d'accepter ce qu'on lui demandait. Son témoignage révèle les dérives du système éducatif.
Quand votre enfant rentre de l'école, du collège ou du lycée, vous vous attendez à ce qu'il ait appris quelque chose de nouveau avec un professeur qui maîtrise sa matière. Pourtant, cette évidence est de plus en plus remise en question dans l'école publique française. Selon les derniers chiffres du ministère et les données compilées par l'AFP, plus de 2 600 postes d'enseignants n'ont pas été pourvus à la rentrée 2025, notamment dans les matières scientifiques. Pour faire face à cette pénurie qui dure, les rectorats adoptent des solutions de plus en plus discutables. Ils n'hésitent plus à demander aux enseignants d'enseigner des matières qu'ils ne maîtrisent pas, au risque de compromettre la qualité de l'enseignement dispensé aux élèves.
Cette situation touche particulièrement les enseignants contractuels, recrutés en urgence pour pallier le manque de titulaires. Ophélie Roque, enseignante en banlieue parisienne et auteure d'"Antisèches d'une prof", a vécu cette aberration de l'intérieur. Dans une récente interview au Figaro, elle témoigne avec amertume : "Le rectorat a un principe : mieux vaut avoir un professeur devant les élèves, même mauvais. Moi, c'est là à un moment où j'étais en désaccord et j'ai basculé du public au privé. On m'a demandé de force, alors que j'étais en lettre moderne, d'enseigner du latin."
L'enseignante raconte comment la situation s'est progressivement dégradée : "On m'a dit 'vous apprendrez en même temps que les élèves', je n'ai rien dit pour le latin, car c'était faisable avec des collégiens, puis on m'a dit, 'il faut leur apprendre le grec ancien', et là, j'ai dit 'non' car je ne suis pas là pour apprendre en même temps que mes élèves." Pour elle, cette pratique va à l'encontre de la mission fondamentale de l'enseignant : "Je suis là pour leur distribuer un savoir et un savoir que je connais. On ne peut pas être bon quand on distribue un savoir qui est balbutiant. Pour pouvoir faire quelque chose qui soit de l'ordre de la bonne transmission, il faut que ce soit des choses que l'on ait eues le temps nous-mêmes de digérer, d'avoir une vraie perspective dessus." Face à cette "aberration", elle a finalement quitté le public pour le privé.
Les conséquences de ces pratiques sur les élèves sont préoccupantes. Comment peut-on garantir un enseignement de qualité quand le professeur découvre la matière du jour au lendemain ? Cette situation pénalise directement les enfants, qui se retrouvent avec un apprentissage approximatif dans des matières déjà considérées comme difficiles. L'école publique, censée garantir l'égalité des chances, se trouve ainsi fragilisée par ses propres dysfonctionnements. Cette crise révèle un cercle vicieux : la dégradation des conditions de travail pousse les enseignants qualifiés vers le privé, aggravant encore la pénurie dans le public et contraignant l'institution à des solutions de plus en plus contestables pour maintenir le service minimum.