Les chimpanzés maîtrisent ce comportement éducatif… bien mieux que nous
Et si on s'inspirait des chimpanzés pour mieux élever nos enfants ?
Depuis des décennies, on sait que les chimpanzés partagent avec nous une grande partie de leur patrimoine génétique. Leur intelligence, leur sensibilité et leur organisation sociale fascinent les chercheurs. Mais ces primates nous donnent aussi une leçon sur la parentalité. Car contrairement à ce que l'on pourrait croire, certains bébés humains grandissent dans des conditions émotionnelles parfois moins stables que les petits chimpanzés (séparations précoces, stress...).
Pendant quatre ans, la primatologue Éléonore Rolland, chercheuse à l'Institut Max Planck de Leipzig (en Allemagne), et à l'Institut des sciences cognitives du CNRS à Bron (dans le Rhône), a suivi de jeunes chimpanzés vivant en liberté dans le parc national de Taï, en Côte d'Ivoire. Elle a constaté que contrairement à ce que l'on observe chez les enfants humains, ces bébés singes ne présentent aucun signe d'attachement désorganisé (quand on constate des violences récurrentes de l'enfant envers la personne qui en prend soin). "Chez les humains, cela représente tout de même 23 % des enfants (il s'agit souvent d'enfants qui ont vécu un drame). Mais dans la réserve de Taï, nous n'avons constaté aucun comportement de ce type. Les chimpanzés en captivité peuvent développer un tel attachement, probablement en raison de l'absence d'une personne qui s'occupe d'eux en permanence. Dans la nature, la présence constante de la mère et d'une structure sociale semble les protéger", explique-t-elle dans son étude publiée dans la revue Nature Human Behaviour. Une découverte majeure, qui soulève des questions sur les bases émotionnelles de notre propre parentalité.
Ce lien étroit entre la mère chimpanzé et son petit s'explique d'abord par une logique de survie. Dans la jungle, rester proche de sa mère, c'est éviter les prédateurs, bénéficier d'un abri, de soins, de protection et d'apprentissage. C'est pourquoi les petits passent presque tout leur temps collés à leur mère. Ils dorment ensemble, mangent ensemble, se déplacent ensemble. "Les jeunes sont ultra-dépendants jusqu'à leur cinq ou six ans. Ensuite, ils restent tout de même très attachés à leur mère jusqu'à leurs dix ou douze ans. À cet âge, les mâles restent dans le groupe, les femelles le quittent pour en trouver un nouveau et devenir mères à leur tour", précise la chercheuse. L'attachement est donc une nécessité vitale, ancrée dans le quotidien, sans interférence extérieure. D'autres chimpanzés montrent quant à eux un attachement plus sécurisant : ils explorent leur environnement avec confiance, tout en comptant sur leur mère en cas de besoin, et certains petits se distinguent par un comportement plus distant. Ils ont tendance à être plus indépendants et ne recherchent pas autant le réconfort de leur mère, et cela, indépendamment de leur âge. "On a donc un éventail assez large, qui ressemble à nos sociétés", commente la chercheuse.
Cette étude ne se limite pas à une simple comparaison entre humains et chimpanzés. Elle apporte, selon les auteurs, " un éclairage essentiel sur les racines du comportement social humain " et illustre l'évolution des comportements d'attachement à travers les espèces. Comme l'explique Catherine Crockford, scientifique à l'Institut Max Planck et coauteure de l'étude, " les stratégies d'attachement partagées chez les primates pourraient refléter un héritage évolutif commun. De plus, la forte prévalence de l'attachement désorganisé chez les humains et les chimpanzés orphelins en captivité, montre que l'environnement joue un rôle important dans la formation des types d'attachement. " Une conclusion que partage aussi Éléonore Rolland, qui pose la question suivante : " Certaines institutions humaines modernes ou certaines pratiques de soins se sont-elles éloignées de ce qui est le mieux pour le développement de l'enfant ? " Une interrogation qui invite à remettre au centre de nos priorités un besoin aussi fondamental que discret : le lien d'attachement.