Pénurie de professeurs : des parents attaquent l'Etat

Selon le SNES-FSU, la pénurie de professeurs a touché 62% des établissements scolaires lors de la rentrée. Une situation inquiétante pour de nombreux parents, qui ont décidé de poursuivre l'Etat en justice.

Pénurie de professeurs : des parents attaquent l'Etat
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[Mise à jour du 26 septembre 2022 à 9h19] Le 22 septembre dernier, l'avocate Joyce Pitcher a déposé devant le ministère de l'Éducation nationale ainsi que devant les tribunaux administratifs 127 dossiers de parents mécontents par l'absence de professeurs dans les établissements scolaires de leurs enfants. A l'origine de la démarche baptisée #OnVeutDesProfs, ils ont réalisé des recours individuels conjoints car ils rappellent que l'accès à l'apprentissage est un devoir, inscrit dans la Constitution. "Les parents demandent à l'État 10 euros par heure de cours non remplacée pour le secondaire et 50 euros par jour pour le primaire. À cela s'ajoute 500 euros pour le préjudice moral et le remboursement de frais éventuels, comme le recours à des cours particuliers (...) Nous ne sommes pas là pour gagner des sous mais pour faire réagir, puisqu'on voit bien aujourd'hui que la situation empire d'année en année, alors que l'État a une obligation constitutionnelle d'assurer l'enseignement", a expliqué leur avocate Joyce Pitcher à France Bleu. En cause évidemment, la pénurie majeure de professeurs cette année, qui touche l'ensemble du territoire et l'ensemble des disciplines enseignées.

Des absences dans 62% des établissements

Les syndicats dénoncent aussi le manque criant d'enseignants dans les établissements scolaires. "On a pu constater que cette rentrée était bien la rentrée de la pénurie et l'année du bricolage (...) Il y avait 62% des établissements dans lesquels il manquait au moins un professeur à la rentrée", a ainsi expliqué Sophie Vénétitay, la secrétaire générale du SNES-FSU.sur FranceInfo.

Les syndicats pointent aussi du doigt la rémunération encore insuffisante des professeurs même si elle doit être revalorisée prochainement. Ainsi, selon Le Monde, le salaire moyen des enseignants du public se situait en 2020 à 2 596 euros net par mois, primes et indemnités comprises et n'a pas beaucoup augmenté ces dernières années. Selon Bernard Schwengler, auteur de Salaires des enseignants. La chute, il stagne en raison de la fin de l'indexation du point d'indice sur l'inflation en 1983, le gel de ce point d'indice jusqu'en juillet 2022 et l'augmentation des cotisations sociales.

Pénurie exceptionnelle de professeurs 

En France, la pénurie de profs est d'une ampleur exceptionnelle cette année, avec 4000 postes d'enseignants vacants. Le recours massif aux contractuels a permis de remplir quelques 3000 postes, mais "Ça ne signifie pas que tous les problèmes sont réglés, il y a des difficultés ici et là dans certaines disciplines ou dans certaines académies" a concédé le ministre de l'Education le jour de la rentrée. Ces tout jeunes professeurs, formés dans l'urgence pour tenir une classe et et enseigner un programme, lui semblent néanmoins la solution la plus avisée. "Plus de 80% des contractuels ont déjà enseigné" avait-il déjà déclaré.

Parmi les matières les plus délaissées, on retrouve les enseignements scientifiques comme la physique-chimie, la technologie ou les maths ; les lettres classiques et l'allemand souffrent aussi d'un manque de professeurs. Pour y faire face, le ministre de l'Education prévoit des concertations dès cet automne, et surtout l'ouverture au printemps 2023 de la création d'un concours exceptionnel, visant à titulariser les contractuels déjà en poste. 

Qu'est-ce qu'un contractuel ?

Les contractuels sont des professeurs non-titulaires, c'est à dire qui ne sont pas passés par les mesures de formations et d'affectation normalement convenues pour pouvoir enseigner et intégrer la profession. En clair, ils ne disposent pas du concours ou du niveau suffisant, mais sont recrutés par l'Education nationale à titre substitutif. Effectivement, en cas d'absence ou de manque d'effectifs comme c'est actuellement le cas, ils prennent la relève pour assurer les cours. Cette année, ils vont "être déployés en masse : 3000 sur 85 000 postes de profs" rapporte le Parisien, alors que 4000 affectations en tout n'ont pas été assignées cette année après les concours enseignants. Aussi, pour réduire une grosse partie de ce manque d'effectif, Pap NDiaye a annoncé un "concours exceptionnel" au printemps 2023, dans le but de titulariser les contractuels. Les modalités de ce concours seront dévoilées ultérieurement.

Des tentatives de recrutement de professeurs controversées

Entre les démissions majeures des dernières années (2286 en 2020-21), et la baisse significative d'attractivité du métier, le ministère de l'Education nationale à toutes les peines du monde à recruter. En tentant des formes inédites d'embauche, il espère remplir au plus vite ses rangs, mais pas forcément au mieux. En effet, si Pap NDiaye avait assuré qu'il y aurait bien un enseignant devant chaque classe à la rentrée, un représentant de profs tempérait : "un adulte peut-être, mais pas un enseignant" rapporte RTL. Entre le job-dating mis en place entre pôle-emploi et certaines régions, pour permettre l'accès au professorat en quelques entretiens et avec une licence seule, et le recrutement de contractuels la semaine même de la rentrée, formés entre le 29 et le 31 août pour être en poste dès le 1er septembre, les syndicats se sont inquiétés de l'inexpérience de ces nouvelles recrues. "De la même manière qu'on n'accepterait pas que son médecin soit recruté en 30 minutes, ou que son pilote d'avion soit recruté en 30 minutes, il ne me semble pas concevable  que des enseignants, qui vont avoir en charge des enfants dans quelques jours, reçoivent ce peu de formation avant la rentrée et soit ainsi lancé dans le grand bain devant les élèves" avait déclaré sur LCI la secrétaire générale du Snes-FSU, premier syndicat du secondaire. Interviewé par RTL, le ministre a défendu ses nouveaux agents "Nous avons des professeurs qui savent faire, que nous suivons et qui sont très motivés. Ce n'est pas du bricolage"

En quoi consiste le libre-recrutement des professeurs ?

A Marseille, c'est le libre-recrutement des professeurs par les établissements eux-mêmes qui est expérimenté. Là encore, cette méthode de recrutement ne convainc guère. La CGT Éduc'Action y voit une manière d'opacifier tout un système en favorisant le clientélisme, et de territorialiser l'école. De fait, les communes les plus riches pourraient se payer les meilleurs profs, entraînant inégalités scolaires et sociales. 

Comment relancer l'attractivité du métier ?

Pour mettre fin à cette crise de vocation, Pap NDiaye a pointé les déficits majeurs dont souffre le métier de professeur, et qui officient désormais comme des repoussoirs à la candidature. Salaires trop bas, dévalorisation du métier, risques accrus de burn-out... autant de facteurs qui n'encouragent pas les vocations, malgré le statut de fonctionnaire. Au lendemain de la rentrée, il a également évoqué la perte de respectabilité du statut de professeur, également source de désintérêt pour la profession. "Les professeurs souffrent souvent d'une autorité qui s'est effritée" d'où la nécessaire réhabilitation sur le fond, et sur la forme, de l'enseignement : "Il y a aussi les conditions de travail. Et puis, d'une manière générale, une forme de revalorisation, que je qualifierais de morale, de la place des professeurs dans notre société." a-t-il déclaré au micro de France Bleu. Le ministre de l'Education nationale a également promis une revalorisation salariale avec un début de carrière à 2000 euros nets dès 2023, et la mise en place de "débats démocratiques" pour que les acteurs du monde éducatif puissent imaginer un "nouveau projet d'établissement et de pédagogie". Côté syndicat, on demande une revalorisation historique de la grille salariale, qui estime le manque à gagner d'un professeur pour compenser la perte de pouvoir d'achat à un mois de salaire. 

Aussi, dans un rapport publié le 25 juillet dernier, la médiatrice de l'Education nationale, Catherine Becchetti-Bizot, a mis en évidence la nécessite d'assouplir les mesures d'affectation pour encourager de nouveaux candidats à entrer dans le professorat sans être refroidi par une affectation trop hasardeuse. De fait, les volontés de sectorisation géographique et les possibilités de  mobilité sont des facteurs à prendre en compte : "être éloigné ou séparé trop longtemps de son conjoint ou de ses enfants, ne pas pouvoir s'occuper d'un parent vieillissant ou handicapé (…) sont des sources renouvelées de souffrance et de démotivation pouvant avoir des répercussions dommageables sur la carrière des personnes (périodes de disponibilité, arrêts de travail à répétition, perte d'années de cotisation pour la retraite), mais aussi, à plus long terme, sur l'équilibre du système éducatif (manque d'attractivité, démissions)". De fait, une réflexion s'impose pour faire évoluer le statut d'enseignants contractuels pour le "rendre plus décent", ajoute la médiatrice.