Le besoin de cohérence : guide des personnes douées

Quand les adultes doués entendent ce mot quasi magique de cohérence, ils savent d'emblée que c'est le terme qui leur correspond le mieux. Ils s'aperçoivent que leur vie entière a été guidée par cette recherche de cohérence à tous les instants de leur existence.

Le besoin de cohérence : guide des personnes douées
© Cathy Yeulet-123rf

Si tous, enfants comme adultes, sont heureux et se tiennent moins sur la défensive quand il se sentent compris, c'est justement parce qu'on leur renvoie enfin une image cohérente d'eux-mêmes. Sans la bonne grille de lecture, il n'y a pas de certitude de saisir tous les aspects d'une personnalité, quelle qu'elle soit. Quand on parvient à relier ces aspects, justement pour parvenir à une image harmonieuse, on s'aperçoit que chaque élément est à sa place, toutes les réactions qui auraient pu paraître surprenantes s'expliquent tout naturellement. Ainsi, on doit se souvenir, sans s'en affoler, de cette propension bien caractéristique des enfants doués à laisser vagabonder leur imagination, pour aboutir le plus souvent à un scénario catastrophe, parce que leur lucidité leur permet rarement d'envisager une issue heureuse, excepté peut-être dans les histoires d'amour, quand le rêve s'en mêle, mais ceci est un autre  histoire, justement.

Il  est heureux qu'il existe toujours malgré tout, une mise à distance, joyeusement occupée par un humour impitoyable : il permet de relativiser les horribles péripéties évoquées dans des histoires inventées et de considérer les "méchants" comme des individus de toutes façons voués à disparaître, une fois leurs forfaits accomplis. En attendant, ils auront provoqué des dégâts qui mettent les protagonistes à rude épreuve. Cette fois, la cohérence s'applique malheureusement aux accidents réels dont on s'efforce, généralement en vain,  de les tenir à l'écart. Il leur faut intégrer ces éléments angoissants pour qu'ils s'insèrent, malgré  tout, dans un ensemble.

A l'échelle familiale, distanciation et humour constituent de bonnes armes face aux drames soudains qui peuvent toujours survenir dans les familles les plus affectueuses et les plus unies ; de mauvais génies viennent empoisonner une atmosphère qui aurait pu être sereine, puisque tous les protagonistes s'entendent très bien, suffisamment pour cheminer de concert jusqu'au moment où les discussions, se multiplient, s'enveniment. L'enfant doué, logique et instruit par l'expérience d'amis, venus un matin sidérés et décomposés  parce qu'ils venaient d'apprendre que leurs parents se séparaient, en conclut tout naturellement que ses parents qui se disputent vont, eux aussi, se séparer, mais ils retardent le moment de le lui dire. Moins logique, moins empathique, car il a souffert pour ces amis pris dans une tourmente qui les dépassait, il aurait pensé que ces drames surviennent ailleurs, mais qu'il sera épargné, il ne se serait pas inquiété, il aurait continué son existence paisible au lieu de s' angoisser.

Sans aller jusqu'à  plonger dans de tels orages, l'enfant doué connaît de multiples raisons de s'énerver : en classe, l'enseignement est trop parcimonieux et succinct pour que son souci de cohérence soit satisfait : des parcelles de connaissances ne forment pas un tout homogène, mais une mosaïque de faits, qu'apparemment rien ne semble relier et il constate vite que ses questions agacent la maîtresse, non parce qu'elle ne saurait pas répondre, mais parce que cette réponse entraînerait la démonstration beaucoup trop loin pour les autres enfants qui se désintéresseraient alors complètement du cours.

Pourtant, pouvoir se former une image claire, précise et assez vaste d'une situation permet de mieux la saisir et de la retenir parce qu'elle se sera intégrée dans un ensemble plus large, ce mode de pensée  favorise toute démarche de pensée où il faut anticiper parce qu'on peut replacer un événement dans un contexte qui l'explique et réagir en conséquence. Il ne s'agit pas d'une intuition fulgurante, même si parfois ce mode de fonctionnement y ressemble, mais d'un déroulement purement logique dont on aura discerné sans équivoque les étapes essentielles. Le souci de cohérence évite de se fourvoyer, comme ceux qui  se trompent sans comprendre comment ils ont pu s'égarer à ce point, pourtant tout indiquait la voie à suivre.

Les très jeunes  enfants surprennent leurs parents avec des réparties  apparemment astucieuses et très élaborées alors qu'ils ont simplement suivi une stricte logique que les adultes, en colère, ou bien mal remis d'une inquiétude provoquée par cet enfant déroutant, n'ont pas songé à respecter. Il est difficile ensuite de reconnaître qu'on a manqué de perspicacité, tandis que l'enfant doué n'a pas montré la moindre hésitation tant ses réflexions se sont imposées tout naturellement à son esprit. Cette même cohérence incite à tenir un discours sans fausse note : une incidente qui ne s'inscrirait pas dans la continuité logique d'un texte serait aussi douloureuse qu'une fausse note pour un musicien à l'oreille absolue.

On voit bien qu'il est difficile de tenir un discours crédible quand on s'adresse à une personne qui détecte la moindre incohérence ; il faut soi-même être très attentif si on veut construire une telle histoire, sans la moindre dissonance qui ruinerait le discours tout entier. Quant aux personnes douées, elles  ne goûtent pas trop le mensonge : ce serait se trahir soi-même en imaginant des histoires qui ne sont pas vraies, à moins d'absolue nécessité, par exemple si des vies, y compris la sienne propre, sont en jeu. Même dans ce cas, ils s'appliqueraient pour que leur récit offre une apparence de logique.

Il y a bien ceux qui mentent pour le plaisir, pour vérifier qu'ils restent crédibles, ce sont des spécialistes, capable de leurrer des personnes averties et sur la défensive : des artistes en quelque sorte, mais c'est l'exception, d'ailleurs on les cite comme des experts reconnus, parfois en prison.

On sait qu'il est difficile pour des personnes douées de nouer des amitiés confiantes et solides, les enfants sont parfois déçus sans qu'ils sachent très bien expliquer pour quelles raisons : on peut penser qu'un "ami" dont le raisonnement tourne court ou bien reste boiteux est vite décevant. Il est possible de jouer avec lui, mais les relations doivent rester superficielles. Ils sont alors contraints de renoncer aux longues conversations durant lesquelles on peut explorer les chemins ouverts par une pensée libre, pour s'en tenir à des idées toutes faites ne laissant aucune place au raisonnement propre ni à l'esprit critique, excepté quelques remarques faussement originales pour ne  pas sembler trop rigide ni trop formaté.

Les enfants doués sont le plus souvent généreux, altruistes, soucieux d'harmonie, l'incohérence détruit ces belles intentions : si l'entourage change d'avis parce qu'il n'est pas fidèle à lui-même, il ne sert plus à rien de continuer dans la voie d'attention aux autres qu'on avait choisie, les autres ont modifié leur vision des choses, leurs attentes,  ils ont même oublié leur situation antérieure, mais ils s'étonneront qu'on ne les écoutent plus. Pourtant, il n'est pas possible pour un esprit soucieux de cohérence d'accorder quelque crédit à une pensée qui se contredit comme si ses paroles précédentes n'avaient aucune importance, elles se sont envolées, leurs discours présentent la solidité d'une construction échafaudée sur du sable, entre deux marées : dans ces conditions, il n'est pas possible de nouer des relations confiantes, base de toute amitié véritable, alors qu'il est si facile, et tout à la fois apaisant et stimulant, de parler avec un ami dont les paroles sont en accord avec une pensée rapide, originale et surtout éminemment respectueuse de cohérence.

Conseils : encore une fois ne pas s'étonner des difficultés rencontrées par les enfants doués pour nouer de vraies amitiés, cette sorte d'amitié doit impérativement être fondée sur l'entente de deux esprits dont le mode de fonctionnement est similaire. C'est le garant d'une amitié solide et inaltérable, source de joies multiples. Le besoin de cohérence doit  être pleinement satisfait pour éviter toute discordance.