"Le handicap bouleverse les familles"

La secrétaire d'Etat chargée des Personnes handicapées revient sur les nouvelles mesures annoncées à la rentrée pour améliorer la scolarisation des élèves en situation de handicap. Sophie Cluzel s'exprime sur cette nouvelle organisation destinée à mieux accompagner les familles. Interview.

"Le handicap bouleverse les familles"
© Szwarc Henri ABACA

L'école inclusive est l'une des priorités d'Emmanuel Macron. Cette année, 23 500 nouveaux élèves en situation de handicap sont scolarisés, soit au total 60 000 élèves de plus sur les trois dernières années. En juin 2019, Sophie Cluzel, secrétaire d'État chargée des Personnes handicapées et Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Education nationale et de la Jeunesse, ont annoncé la mise en œuvre du grand service public de l'école inclusive, avec de nouvelles mesures pour garantir une scolarisation de qualité de tous les élèves. Cellules d'écoute dans chaque département pour apporter des réponses aux parents, amélioration de l'accompagnement des élèves, appui aux enseignants et aux établissements scolaires avec de nouveaux outils et des spécialistes du handicap... Les grands moyens sont déployés. Par ailleurs, les démarches administratives des familles auprès de la maison départementale du handicap (MDPH) sont simplifiées. Qu'impliquent ces changements pour les parents et les petits écoliers dans leur vie quotidienne ? Les problématiques de rentrée et de scolarisation, Sophie Cluzel les a connues avec sa fille porteuse de trisomie 21 et aujourd'hui âgée de 23 ans. A cette période, elle s'est arrêtée de travailler pour s'occuper de son enfant et se bat aujourd'hui, auprès des différents ministres, pour faire avancer la cause du handicap au sein de notre société.

Comment avez-vous vécu la scolarité de votre fille ? 

Sophie Cluzel : "A l'époque de ma fille, je devais à chaque rentrée trouver les moyens d'expliquer les spécificités de la trisomie pour qu'elle puisse réussir dans ses apprentissages. Aujourd'hui, nous nous engageons avec Jean-Michel Blanquer pour que les enseignants et les accompagnants soient formés et que des rencontres entre les accompagnants et les parents aient lieu à la rentrée, puis dans l'année, pour prendre ce temps si nécessaire d'échange" confie-t-elle au Journal des Femmes. "Car les parents sont les premiers experts de leur enfant. Qui mieux qu'eux connaissent et peuvent expliquer son fonctionnement ?" 

"Accompagner la fratrie est essentiel"

Une naissance d'un bébé handicapé ou un handicap qui survient en cours de vie bouleverse toute la famille, y compris les relations avec les frères et sœurs, qui ont eux aussi besoin d'être entendus. Ils doivent parler de ce qu'ils ressentent, participer à des activités en famille, tous ensemble, pour ne pas qu'ils aient l'impression que les parents donnent  plus d'attention à l'enfant handicapé. C'est un éternel compromis et un équilibre à trouver au sein de la famille, et le handicap est malheureusement et bien souvent une cause de divorce. Cette fragilité, il faut que la famille puisse la surmonter ensemble, avec l'appui des associations et de son entourage.

Concrètement, que vont changer les nouvelles mesures pour les familles ?

  • Des cellules d'écoute départementales pour informer et accompagner les parents, avec un engagement de réponse sous 24 heures. Les accompagnants ou les enseignants peuvent également contacter les cellules d'écoute s'ils ont des questions. De nombreuses situations ont déjà été réglées grâce à une forte mobilisation sur le terrain.
  • Un meilleur accompagnement. "Il n'y aura plus aucun recrutement d'accompagnant en contrat aidé, ce qui signifie que les parents n'auront plus à craindre de perdre leur AESH en cours d'année", précise Sophie Cluzel. Désormais, tous les accompagnants seront embauchés en CDD de trois ans, renouvelable une fois. Cette mesure, attendue depuis 20 ans de la part des familles, permet d'anticiper les besoins des enfants, et de garantir une pérennisation de l'accompagnement tout au long du cycle scolaire. "Nous renforçons aussi les équipes, avec 4500 ETP supplémentaires", ajoute-t-elle.
  • La formation des enseignants. "Ils bénéficient d'outils d'adaptation pédagogique, comme une grille d'observation pour identifier les besoins particuliers des élèves, de fiches pédagogiques, de ressources audiovisuelles, et de l'appui d'enseignants ressources spécialisés sur la handicap".
  • La simplification des démarches administratives. "Les familles n'auront désormais plus besoin de se rendre à la maison départementale du handicap (MDPH) tous les ans pour renouveler les agréments permettant de bénéficier d'un accompagnant, d'une classe spécialisée ou de matériel", précise la secrétaire d'Etat. Depuis la rentrée des classes, toutes les MDPH pilotées par les départements doivent attribuer des agréments et des notifications sur des cycles scolaires (maternelle, primaire, collège) valables donc sur plusieurs années. "Nous ne voulons plus de rupture de décision et surtout simplifier la vie des familles. Par ailleurs, depuis le 1er janvier 2019, la durée d'attribution de l'AEEH (allocation d'éducation de l'enfant handicapé) est allongée pour les handicaps avérés et stabilisés et cela peut aller jusqu'aux 20 ans de l'enfant. Ainsi, les parents n'auront plus à justifier chaque année que leur enfant est handicapé".

Les professionnels du handicap intègrent les écoles. Comment cela va-t-il se passer ?

Avec l'ensemble des nouvelles mesures déployées sur les prochaines années, on souhaite que les parents puissent reprendre une activité professionnelle. Permettre qu'ils ne soient pas contraints d'interrompre leur activité pour emmener leur enfant chez le psychomotricien, l'éducateur spécialisé ou la psychologue. Ainsi, tous les professionnels du handicap pourront intervenir dans les établissements scolaires. Ils seront également présents en soutien des enseignants, pour les accompagner dans leur connaissance du handicap ou en cas de crise par exemple.

Différence, harcèlement scolaire... Comment se passe l'intégration des enfants handicapés à l'école ? 

Cela doit être une vigilance constante. Cette école de la bienveillance et de la confiance que nous sommes en train de bâtir avec Jean-Michel Blanquer, comprend des mesures contre le harcèlement scolaire dont il est indéniable que les enfants handicapés souffrent. Néanmoins, ce qui portera ses fruits pour lutter contre le harcèlement et l'handiphobie, c'est le "Zéro tolérance". Il est essentiel de faire constamment de l'éducation citoyenne et ne pas laisser passer les écarts de langage ou les moqueries sur le handicap.

Qu'en est-il de l'accueil des enfants handicapés dans les crèches ?

L'accueil en crèche de tous les enfants est essentiel. Plus on favorise tôt l'apprentissage du vivre-ensemble et de la différence, plus on sécurise l'avenir. Nous avons notamment bonifié les accueils en crèche : dès le premier enfant handicapé, les crèches peuvent bénéficier d'un bonus financier. C'est de cette manière que les petits apprendront à vivre ensemble dès le plus jeune âge, et que les parents pourront rencontrer d'autres parents d'enfants handicapés. 

Quels sont les types d'aménagements mis en place à l'école ?

Sur les 360 000 élèves handicapés scolarisés, la moitié d'entre eux ont besoin d'accompagnants, d'autres ont besoin d'aménagements pédagogiques ou de matériel adapté. Il peut s'agir d'ordinateurs ou de logiciels spécifiques, d'aménagements pour les examens ou de l'emploi du temps. Avec les réformes actuelles du brevet ou du bac, nous travaillons sur cette souplesse et ces adaptations, notamment pour les examens. Rappelons également que 70 000 enfants suivent une scolarité dans des établissements spécialisés, avec de plus en plus de temps partagé en école ordinaire.