"Une loi contre la fessée peut agir positivement sur les mentalités"

Le Conseil de l’Europe devrait condamner demain la France en raison de l’absence d’interdiction explicite de tous les châtiments corporels envers les enfants. Le psychologue Stephan Valentin, auteur de "La fessée, pour ou contre ?", nous livre son point de vue.

"Une loi contre la fessée peut agir positivement sur les mentalités"
© Stephan Valentin

Le débat sur la fessée (ou pas) est relancé. Suite à une plainte d’une ONG britannique, qui reproche à la France de ne pas interdire complètement les châtiments corporels envers les enfants, le Conseil de l’Europe devrait se prononcer demain sur une condamnation. Rappelons qu’aujourd’hui 27 des 47 pays membres interdisent les fessées et autres gifles. En France, même si la fessée est interdite à l’école, elle reste néanmoins tolérée dans le cadre familial.

Pourquoi cette condamnation de la France par le Conseil de l'Europe ?

Selon le Conseil de l’Europe, le droit français "ne prévoit pas dinterdiction suffisamment claire, contraignante et précise des châtiments corporels". Il est temps que le gouvernement français envoie justement un message clair au sujet des châtiments corporels. Un enfant doit avoir le droit de vivre une enfance sans violence. Et cela doit être soutenu par toute la société.

Selon vous, le droit français devrait-il interdire clairement les châtiments corporels ?

La fessée et les autres punitions corporelles sont une forme de violence. On frappe son enfant. Une loi qui interdit toute forme de violence comme la fessée ne doit pas avoir comme effet d’intimider les parents ou les rendre insécurisés. Au contraire, il faut rendre les parents plus forts pour qu’ils ne répondent pas par la violence au comportement agressif ou perturbateur de leur enfant.

La Suède est particulièrement en avance puisqu'une loi existe depuis plus de 30 ans. Les chiffres de la maltraitance et des taux de suicide y sont moins élevés. Un exemple à suivre ?

Une loi contre la fessée peut agir positivement sur les mentalités. Cela a été le cas en Suède. Lorsqu’on y avait voté en 1979 une loi contre les châtiments corporels, 70 % des citoyens s’y étaient opposés. À l’heure actuelle, ils ne sont plus que 10 %. Et les parents suédois ne sont point privés de leur autorité. Les cas de maltraitance auraient en plus diminué. Donc, il est effectivement temps de suivre l’exemple des Suédois.

Laurence Rossignol n'est pas favorable à une loi. Elle préfère faire évoluer la société en privilégiant la réflexion plutôt que la loi. Qu'en pensez-vous ? 

On ne peut pas toujours attendre que les mœurs influent sur les comportements de la société. Parfois, il est important qu’une loi envoie un signal et dans le cas des châtiments corporels, cela pourrait provoquer un changement des mentalités.

Où commence la maltraitance ? Pouvez-vous la définir ?

Le risque avec la fessée et avec tout châtiment corporel est de ne plus s’apercevoir de l’effet des coups portés sur l’enfant. Même si l’enfant pleure et crie, le parent ne se rend plus compte de sa violence. Le parent a aussi tendance à frapper encore plus fort que la fois précédente pour que l’enfant comprenne encore mieux. La fessée est justement une porte vers la maltraitance. C’est pourquoi il est préférable de ne pas adopter ce type de sanction.

Est-ce que les mots et humiliations ont le même impact sur l'enfant que les maltraitances physiques ?

Bien sûr, les mots peuvent être tout aussi violents et agir sur le psychisme de l’enfant. Les coups laissent des traces sur le corps, les mots violents laissent des traces sur l’âme.

Comment ces maltraitances sont-elles perçues par l'enfant et quel message le parent envoie-t-il à son enfant quand il le gifle par exemple ?

Quand on est petit, on doit se soumettre à la violence de ses parents. L’enfant pense : "si je suis méchant, je mérite des coups", "même si j’ai mal, c’est normal d’être frappé", "si papa et maman ne sont pas d’accord avec moi, ils ont le droit de me frapper", "s'aimer c’est aussi faire mal" ou encore "quand on est plus fort, on peut battre les plus faibles."

Quelles traces ces violences physiques et psychologiques peuvent-elles laisser à lge adulte ?

L’adulte aura une estime de soi très faible. Il ne se sentira pas aimé tel qu’il est, mais seulement s’il correspond aux attentes de l’autre. Et il y a un risque de répéter la violence vécue sur d’autres.

Les débats sont toujours vifs vis à vis de cette question. Mais, contrairement aux pays du nord plus adeptes d'une ducation positive", la France semble globalement avoir du mal à renoncer aux punitions corporelles. Pourquoi est-ce aussi ancré selon vous ?

C’est culturel. Il est important de faire comprendre que la fessée ne renforce en aucun cas l’autorité parentale. Elle signe toujours un échec de l’autorité, car le parent ne sait plus maîtriser son enfant autrement que par la violence.

Comment changer les mentalités ? 

Le premier pas serait probablement de lancer une vaste campagne d’information sur les dangers de la fessée. Puis, de proposer une éducation positive montrant aux parents comment exprimer leur autorité parentale sans user de punitions corporelles.

© Jouvence

Donner la fessée, c'est de lducation ou c'est de la violence ?

La fessée n'apporte rien à l'enfant car ce n'est pas une punition éducative/ pédagogique. Pourquoi ne serait-elle pas éducative ? En fait, la fessée agit sur les mécanismes de la peur. L'enfant est donc plus dans la crainte que dans l'apprentissage des règles. Il apprend à obéir par la peur et cela ne l'aide pas à grandir et à s'autonomiser.

Que répondre à ceux qui disent : "j'ai reçu des fessées enfant et néanmoins je ne suis pas violent" ?

La fessée envoie le message qu’on peut frapper quand on n’est pas d’accord avec l’autre. Inconsciemment, ce message peut s’exprimer dans des cas d’urgences, quand on est débordé et que l’on cherche à évacuer le trop plein émotionnel. D’ailleurs, les parents qui se sont jurés de ne jamais frapper leur enfant sont surpris quand cela leur arrive un jour.

Est-ce que l'interdiction de la fessée peut fragiliser l'autorité parentale déjà mise à mal ?

Non, car on va trouver d’autres alternatives non violentes pour l’exprimer.

Comment mettre des limites autrement ? Quels conseils donner aux parents pour exercer leur autorité sans fessée ?

Ne vous laissez pas prendre dans une spirale d’énervement et de colère avec votre enfant. Avant d’exploser, apprenez à dire "stop" plus tôt à votre enfant. Puis, posez des limites à votre enfant en disant "non" au lieu de discuter pendant des heures avec un enfant de trois quatre ans…  Pour l’enfant un "non" doit rester un "non". Et un "oui" doit rester un vrai "oui". Si vous lui avez interdit la barre de chocolat, il ne vaut mieux pas céder à cause de ses cris ou de ses pleurs. Un enfant doit comprendre que ce n’est pas en criant qu’il arrive à quoi que ce soit.

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