Parler de la Shoah aux tout petits : un devoir d’avenir

Les victimes d’acte de barbarie sont en risque de mourir au moins trois fois : sous la violence de leur bourreau ; sous le silence qu’on leur impose quand elles tentent de témoigner et par l’oubli des autres.

Ce 27 janvier 2015 sera commémoré les 70 ans de la libération du camp de concentration d’Auschwitz et depuis 2002 la journée du 27 janvier est au niveau européen la Journée de la mémoire de l’Holocauste et de la prévention des crimes contre l'humanité. 70 ans cela parait si loin et en même temps l’actualité récente nous rappelle combien la question de l’antisémitisme reste actuelle tout comme celle visant à justifier l’extermination d’un être humain sous prétexte qu’il est différent.

Certains disent que l’histoire bégaie ; que les populations n’ont pas de mémoire ; quand d’autres développent des théories révisitionnistes remettant en cause l’existence même de ces horreurs. Il y a un constat, celui révélé par le CSA qui indiquait, il y a 5 ans que 67 % des 15-17 ans ignoraient l'existence de la Shoah. Immédiatement l’institution scolaire et ses enseignants avaient été pointés comme responsables d’une telle méconnaissance et différentes mesures avaient été mises en place. Les textes officiels, actuels, de l'Éducation nationale, prévoient que le "crime contre l’humanité" que constitue "l’extermination des Juifs et des Tziganes par les nazis" soit étudié pour la première fois en CM2. La circulaire du 17 juillet 2008 demande aux enseignants que "la mémoire des enfants victimes de la Shoah soit privilégiée". Cette information sur le génocide nazi est ensuite reprise dans le programme d’histoire de troisième et de première, mais la liberté pédagogique des enseignants reste totale sur la manière de l’aborder et le temps à y consacrer. Tout est possible : de la visite d’un camp d’extermination ; à celle du mémorial de la Shoah ; de la venue en classe de rescapés des camps ou de leurs descendants ; du visionnage de film à la recherche documentaire à la simple énonciation en quelques minutes lors d’un cours sur le second conflit mondial.

Si le "devoir d’histoire" relève de l’enseignement scolaire, le "devoir de mémoire" devrait aussi et surtout être porté par les parents et la société. Il devrait aussi s’inscrire dans la transmission intergénérationnelle dès les premières années de l’enfant et ne pas attendre l’âge de la préadolescence. Mais comment transmettre des faits aussi indicibles et des conséquences aussi atroces aux enfants ? Des voix s’élèvent dans les écoles comme dans les familles pour dire qu’il ne faut pas en parler trop tôt pour ne pas traumatiser les enfants ou qu’il ne faudrait en parler qu’au collège voire au lycée car les enfants plus jeunes seraient incapables de comprendre, etc. Ces affirmations pourraient être entendues si les enfants et les adolescents de 2015 vivaient dans une bulle aseptisée de toute violence et n’en sortaient jamais. Or depuis leur plus jeune âge et vie en collectivité les enfants sont exposés à toute forme de violence ; leur exposition aux écrans des télés, jeux vidéo et autres films ne les épargnent pas davantage.

La barbarie humaine a toujours existé (massacres des Indiens d’Amérique ; esclavage ; torture ; génocide arménien ;  etc.) et continue d’agir dans le huis clos de familles maltraitantes comme au niveau collectif sur des peuples détruits par des violences de guerre et des génocides. Dénier l’existence de la violence fondamentale qui conduit des hommes à tuer d’autres humains, c’est ne pas permettre à ces petits hommes de comprendre ce qui fait qu’une telle violence peut être déclenchée ; c’est les déposséder de la capacité à s’en protéger ; c’est leur interdire la possibilité, devenus grands, de l’empêcher.

Il nous semble pour cela essentiel de ne pas évacuer la question des explications à donner au sujet de la Shoah aux enfants les plus jeunes et de leur apporter les premiers repères pour leur permettre de se construire en tant que citoyens du monde, respectueux des différences. Si pour les préadolescents et les adolescents, les références aux repères historiques et politiques de la seconde guerre peuvent être fort utiles, pour des touts petits ces éléments n’apporteront rien de compréhensif. Entre la volonté de vérité et la peur de traumatiser le sentiment d’impuissance est puissant mais ne devrait pas nous conduire au silence. Il nous faut donc nous adapter en nous référant à leurs représentations du monde et en utilisant un vocabulaire simple.

Par exemple : "Dans la vie il y a des gentils et des méchants… et parfois des personnes tellement méchantes qu’elles deviennent cruelles et qu’elles font des choses très méchantes, cruelles, comme de faire souffrir d’autres personnes ou de les tuer… Quand tes grands-parents étaient enfants (ce repère temporel permet à l’enfant de se situer un peu mieux la période des faits), il y a eu une guerre entre plein de pays (comme une très grande bagarre). Et pendant cette guerre il y a des méchants qui s’appelaient des nazis qui ont décidé de tuer toutes les personnes qui les gênaient et qui n’étaient pas comme eux ; les personnes handicapées ; celles qui ne pensaient pas comme eux (communistes, résistants) ou celles qui venaient d’une autre origine (les Tziganes). Et puis les nazis ont aussi essayé de détruire le peuple Juif ; le peuple Juif est un peuple (une grande famille) qui vivait il y a très longtemps dans un pays qui s’appelle Israël) (le parent peut montrer sur une mappemonde). Les Juifs croient en un Dieu mais leur religion n’était pas celle des nazis. Et les nazis ont voulu les détruire, tous les supprimer et les tuer : les enfants, les adultes, les personnes âgées (il ne servirait à rien de ne pas parler des enfants ; cette réalité a existé et les images qui passent aux informations et qui seront vues par les enfants les y confronteront). Les nazis les ont regroupés dans des endroits qu’on a appelés des "camps de concentration" ; pire que des prisons où tous ces gens étaient traités comme des animaux : ils n’avaient presque pas à manger, étaient frappés et été tués. Il y a eu des milliers de morts (Selon le tribunal de Nuremberg il y a eu près de 6 millions de Juifs d’assassinés ; pour qu’un tout petit se rende compte de ce qu’un tel nombre représente, il pourrait lui être expliqué, s’il a vu les images de la marché républicaine du 11 janvier 2015, que c’était encore plus de personnes que tout ce monde qui a défilé). Après la guerre, on a appelé cela la Shoah. Shoah c’est un mot hébreu (la langue d’origine du peuple Juif) qui veut dire "catastrophe" ; "destruction". On dit aussi "génocide" car c’est tout un peuple que les nazis ont essayé de détruire. Il y a eu la Shoah à cette époque et tout le monde espérait que ce serait fini ; mais malheureusement il y a eu d’autres catastrophes comme la Shoah et c’est pour cela que tous les ans, le 27 janvier, on se souvient de la Shoah et de tous les autres génocides."

Parler de la Shoah aux tout petits est un devoir : celui de transmettre aux plus jeunes l’importance des droits de l’Homme et du respect de l’autre : aussi différent soit-il : même si on n’est pas d’accord et qu’on n’a pas les mêmes opinions ; même si on n’est pas du même peuple et de la même origine ; même si on ne croit pas au même dieu et aux mêmes choses ; même si on est différent, rien ne justifie la violence. Au-delà du devoir d’histoire, du devoir de mémoire, il s’agit aussi du devoir d’avenir et de devenir que nous devrions avoir pour nos enfants.