Construction de la personnalité : le rôle de l'amitié

Pour que cette patiente élaboration reste efficace, il est préférable de choisir avec soin chaque pierre. Les toutes premières impressions laissent déjà leur empreinte : les couleurs, les odeurs, les paysages alentour sont des données imposées. Elles modèlent une première base qui servira de couche de fond, souvent imprimée dans l'inconscient et elles refont surface à la faveur d'une introspection poussée, en analyse par exemple, quand certaines réactions semblaient inexplicables. C'est une source inépuisable de clefs de lecture de soi-même.

L'importance de la lecture

Très vite, l'enfant doué choisit ses propres matériaux de construction, avec une préférence pour ceux qui permettent à l'imaginaire de s'exprimer. La lecture devient son activité de prédilection : elle ne demande pas grand matériel. On peut emporter un livre partout avec soi, et, pour l'entourage, c'est un réservoir d'innombrables de cadeaux, dont on est sûr qu'ils feront toujours plaisir. Tout le monde s'y retrouve. L'imaginaire créé par la lecture est sans limites. Quand l'enfant s'ennuie dans son quotidien et qu'il est seul, ou isolé, l'univers évoqué par son livre s'avère plus réel que la fastidieuse réalité. Les héros des récits deviennent ses amis et acquièrent même une certaine présence. Ils inspirent à l'enfant doué la création d'un double, fidèle et constant. On peut lui faire part de toutes les idées qui viennent à l'esprit, en discuter, avancer dans ses raisonnements, soutenu par cette présence invisible et vite indispensable. Dans la construction de la personnalité l'échange est fondamental, ce n'est pas du tout le même quand il s'agit de celui, forcément hiérarchisé d'une certaine façon, entre adultes et enfants. La vision des enfants est différente, elle apporte d'ailleurs des aperçus imprévus aux adultes, mais l'échange entre enfants s'effectue à hauteur égale dans l'approche d'une situation.

" L'amitié, un confort inégalé "

C'est entre eux qu'ils établissent des relations entre les événements à travers le filtre de leur vision propre. Avec les adultes subsiste toujours la crainte, plus ou moins consciente et plus ou moins vive, de paraître terriblement naïf et ignorant face à un adulte, même bienveillant et affectueux et dont on peut être sûr qu'il ne se montrera ni moqueur ni méprisant, mais on n'a pas toujours envie d'occuper obligatoirement la place de l'innocent. Cheminer du même pas, avec des mots faisant référence à des concepts exactement identiques, permet d'élaborer une pensée plus audacieuse, personne n'occupant la place de celui qui sait. Les enfants ont alors la sensation d'explorer ensemble des univers inspirés par la littérature mais aussi, de façon plus subtile, par une philosophie déjà présente dans leur esprit. Pour parcourir sans crainte de tels domaines, inconnus et mystérieux, l'amitié procure un réconfort inégalé. Tâtonner à la recherche de concepts hasardeux est plus rassurant quand on est plusieurs, sinon, le risque est grand d'être pris de vertige face à des idées dont l'enchaînement échappe à la maîtrise. Ces enfants perspicaces craignent de plonger leurs parents dans l'embarras s'ils formulent des questions abordant des domaines périlleux : la vie, la mort, Dieu. De surcroît, ces questions seront formulées avec la maladresse caractéristique des enfants lorsqu'ils s'adressent aux adultes en cherchant une réponse précise. Ils veulent être sûrs d'être compris. C'est à ce moment-là que les mots exacts se dérobent et qu'ils formulent leur question avec une charmante naïveté, bien loin de refléter leurs questionnements métaphysiques.

Confronter les expériences

En compagnie de pairs, les enfants peuvent confronter leurs expériences et construire, pierre par pierre, l'adulte qu'ils deviendront. Plus tard, ils se souviendront de ces conversations, banales en apparence. Mais ce sont elles qui ont contribué à forger leur personnalité dans la façon d'agencer les savoirs acquis en classe, d'organiser leurs connaissances pour que l'enrichissement qu'elles procurent soit durable, puis de spéculer sur des hypothèses peut-être folles, peut-être inusitées. Ils tissent à leur façon ce qu'ils apprennent, ce qu'ils découvrent par eux-mêmes, les idées qui leur viennent et aussi les fragments des univers évoqués dans les livres. Les amis lisent les même livres, leurs héros sont des proches, ils servent de référence. Ils habitent dans un monde qui devient familier aux lecteurs. Ils inspirent une attirance pour certains pays, certains métiers, certaines façons d'être et surtout ils nourrissent les rêves. C'est en compagnie d'amis sûrs qu'on peut se laisser aller à des rêveries qui deviendront des parties essentielles de la personnalité, une fois passées au crible de la réalité, mais en subsistera une trace teintant subtilement cette personnalité adulte.

Laisser aller son imagination sans crainte

Entre les amis se forme un espace d'où peuvent émerger les idées les plus absurdes sans que personne ne songe à les critiquer ; entre amis, il est permis de laisser aller son imagination sans contrainte, mais aussi de commenter l'actualité de leur quotidien, s'ils en ressentent le besoin. Dans cet espace fermé que forme un cercle d'amis, les idées peuvent se former et s'épanouir sans risque. Elles en sortiront seulement si elles sont jugées présentables et intéressantes à évoquer avec des adultes qui apporteront leur savoir et leur expérience. Ces amis proches s'aideront mutuellement à grandir, à se dessiner une personnalité sous le regard des autres, en s'appliquant peut-être à atténuer des aspects qui leur valent des critiques, mais aussi à révéler des dons grâce aux encouragements de leurs pairs. Ces amitiés-là donnent davantage d'épaisseur à la personnalité, elles laissent un souvenir qui peut traverser d'un éclair joyeux une période plus sombre. De Georges Brassens à Stephen King cette qualité d'amitié a été célébrée avec talent, parce qu'elle est précieuse. Tout ne peut pas être idyllique : il y a des disputes, des trahisons, des déchirements, surtout à l'adolescence quand les aléas du cœur s'en mêlent. Mais la construction reste solide car même s'ils se perdent de vue, ces amis peuvent se croiser ensuite de façon fortuite et apparemment miraculeuse, et c'est une source inépuisable de romans.

Conseils : faire son possible pour favoriser ces amitiés : elles sont rares, c'est pourquoi on peut rechercher des enfants également doués, grâce aux associations par exemple. Elles organisent des rencontres, des activités pour les enfants des adhérents. Si la situation géographique ne le permet pas, penser aux colonies à thèmes : quand ils sont bien choisis, les enfants se retrouvent facilement. Rester tout de même attentif : il ne suffit pas d'être doué pour devenir un véritable ami - les pervers aussi ont été enfants – mais mettre à profit toutes les occasions pour que des semblables se retrouvent permet d'offrir à ses enfants une source de bonheur.