Sophie Cluzel : "L'enjeu est là, sur les bancs de l'école."

La secrétaire d'Etat chargée des Personnes handicapées Sophie Cluzel s'exprime sur les mesures mises en place pour améliorer la scolarisation des élèves en situation de handicap. Entretien.

Sophie Cluzel :  "L'enjeu est là, sur les bancs de l'école."
© Eric TSCHAEN-POOL/SIPA

Les enfants doivent être scolarisés dans un environnement inclusif, quels que soient leurs besoins. L’enjeu est celui de l’adaptation de cet environnement”, énonce d'emblée la Secrétaire d'Etat chargée des personnes handicapées Sophie Cluzel. Améliorer le parcours de scolarité des enfants porteurs de handicap, faciliter la communication et la coopération entre les différents services de l’État, simplifier la vie des familles, les défis sont nombreux. "Ce chemin de coopération doit devenir naturel, avec toujours plus de personnes ressources au plus près des personnels scolaires. On doit travailler sans relâche pour contribuer à diffuser ces adaptations”, insiste Sophie Cluzel. Depuis quatre ans, la secrétaire d’État mène un travail de longue haleine en étroite collaboration avec Jean-Michel Blanquer et Emmanuel Macron, qui a fait de l’école inclusive l’une des priorités du quinquennat. 3,6 milliards d’euros ont ainsi été consacrés à l’école inclusive.Une véritable culture de coopération s’est mise en place, et elle doit être totale. Il faut faire tomber les murs et permettre aux enfants handicapés d’être accompagnés selon leurs besoins et leurs attentes”, rappelle Sophie Cluzel.

400 000 élèves en situation de handicap font leur rentrée en 2021

Alors qu’ils étaient 312.500 en 2017, ce sont cette année 400 000 élèves en situation de handicap de la maternelle au BTS qui feront leur rentrée au mois de septembre. Le nombre d’AESH (Accompagnant d’Elèves en Situation de Handicap) a augmenté de +35 % entre 2017 et 2021 et ils sont désormais 125 500. Un progrès indéniable, à la fois “quantitatif et qualitatif”, selon Sophie Cluzel. “Ces personnels accompagnants sont aujourd’hui totalement intégrés, en CDD ou en CDI. Il n’y a plus de rupture de parcours d’accompagnement en cours d’année scolaire et cette continuité est très importante pour les familles", explique la secrétaire d’État. Grâce à une organisation en territoires au plus près des établissements, le dialogue est renforcé et les recrutements peuvent être anticipés. “Toutes les familles ont un entretien avec l’enseignant et avec l’accompagnant en début d’année scolaire, un contact indispensable pour tisser un lien de confiance”, ajoute Sophie Cluzel. Au cours de ces quatre années, de nombreux dispositifs ont vu le jour. “Nous avons notamment mis en place des cellules d’écoute joignables au 0 805 805 110 et un numéro Aide Handicap au 0 800 730 123, totalement accessible aux personnes malentendantes. Son objectif est d’informer les familles sur les dispositifs existants mais aussi d’apporter des réponses aux parents sur le dossier de leur enfant, grâce à un travail étroit avec les académies", détaille la secrétaire d’État.

Il existe aujourd’hui toute une palette de dispositifs pour permettre la scolarisation des élèves porteurs de handicap : la scolarisation de l’enfant seul ou accompagné par un AESH dans une classe de référence, l’intégration dans une classe du dispositif ULIS, avec désormais entre 10 et 12 enfants maximum. Si les besoins sont plus complexes, l’enfant peut également être intégré dans une classe ordinaire mais avec un dispositif renforcé. Un effort conséquent a notamment été consenti pour l’accompagnement des enfants avec autisme et la prise en charge précoce des enfants présentant des troubles du neuro-développement (TND) grâce aux Plateforme de coordination et d'orientation (PCO) “110 postes d’enseignants spécialisés sur le trouble de l’autisme ont été créés partout en France avec 115 unités de plus.. Le Dispositif de dépistage et d’intervention précoce auprès des enfants de moins de 7 ans a également été étendu aux 7/12 ans.”, ajoute Sophie Cluzel. La secrétaire d’État insiste également sur un autre aspect très important de la scolarité des enfants handicapés, celui de la portabilités des adaptations. Nous allons mettre en test à la rentrée 2021 un livret de parcours inclusif qui va suivre l’enfant tout au long de son parcours afin de faciliter la communication et la coopération entre les acteurs du parcours scolaire”, détaille-t-elle.

École inclusive : quelles perspectives et mesures pour la rentrée 2021 ?

A quelques jours de la rentrée scolaire, Sophie Cluzel a détaillé pour le Journal des Femmes les nouvelles mesures mises en place. Outre le recrutement de 4000 accompagnants supplémentaires en contrat pérenne, ce sont également 90 Unités Autisme qui seront créées. Les moyens liés à la rééducation vont également être renforcés afin d’améliorer encore l’action des SESSAD avec la création de 2700 nouvelles places. Les SESSAD agissent là où est l’enfant, dans la famille ou à l’école. “Alors que de plus en plus d’enfants handicapés sont scolarisés, faire en sorte que la rééducation se passe au sein de l’école permet de simplifier la vie des parents, qui n’ont rien à financer. Cela facilite la gestion de la vie professionnelle”, explique la secrétaire d’État. Autre nouveauté importante, l’intégration dans la formation initiale des enseignants de cours sur les élèves à besoins éducatifs particuliers. “Ces 25 heures qui étaient autrefois optionnelles deviennent obligatoires. Elles sont nécessaires pour que les enseignants se sentent mieux préparés”, ajoute Sophie Cluzel.

Les équipes mobiles d’appui médico-social à la scolarisation (EMAS) vont également être déployées à l’ensemble du territoire, avec un pilotage régional par les ARS en lien avec les services de l’autorité académique. 166 nouvelles équipes (comprenant des éducateurs spécialisés, psychologues, ergothérapeutes etc.) ont été créées en 2021. “Le rôle de ces équipes est d’intervenir dans les écoles à la demande des parents ou de l’école et de proposer un temps d’observation de l’enfant, puis des préconisations si nécessaire.”, détaille la secrétaire d’État. Cela peut concerner des enfants avec des troubles du comportement, une phobie scolaire, d’autres pathologies. Ces équipes sont un véritable appui dans les établissements scolaires, une oreille attentive vers qui se tourner et capable de dispenser des formations, d'œuvrer à la sensibilisation, parfois de donner des conseils d’organisation en classe.L’objectif est ici encore et toujours de faciliter le parcours des enfants, ajoute Sophie Cluzel. Faciliter ce parcours c’est aussi simplifier le poids administratif pour les familles. Si un AESH est octroyé à un enfant par la MDPH, il l’est pour l’ensemble du cycle scolaire, tout comme les autres besoins de compensation. 105 millions d’euros sont consacrés au soutien à la scolarisation des enfants dans un effort conjoint avec le ministère de l’Éducation nationale et les professionnels de la petite enfance.

L’impact du Covid-19 sur la scolarisation des enfants en situation de handicap

Si la scolarité de l’ensemble des écoliers français a été fortement marquée par la pandémie de Covid-19 dès le mois de mars 2020, les élèves en situation de handicap ont fait l’objet d’une attention particulière. Outre la mise en place d’un numéro d’appui pour les personnes handicapées et les proches aidants (0 800 360 360), le ministère de l’éducation nationale et le secrétariat d'Etat chargé des personnes handicapées ont immédiatement œuvré pour assurer la continuité pédagogique mais aussi la continuité des soins à distance de ces enfants avec notamment la gratuité de la télémédecine pour les consultations de rééducation et de réadaptation. La plateforme numérique Cap Ecole Inclusive, lancée en 2019, qui propose notamment des outils d’observation pour cerner les difficultés des élèves, ainsi que des propositions et des ressources pour adapter l’enseignement à tous a été ouverte en open data pour les parents et les professionnels du secteur médico-social.

A l'issue du premier confinement et pour minimiser l’impact sur les enfants handicapés, ils ont été prioritaires pour la reprise de l’école dès le mois de juin.”, explique Sophie Cluzel qui rappelle également que “tous les établissements médico-sociaux sont restés ouverts afin d’accueillir l’ensemble des enfants”. Ils ont ainsi rapidement intégré le protocole sanitaire, le même pour tous les élèves avec toutefois quelques ajustements. Dès septembre 2020, plus de 100.000 masques transparents pour la lecture labiale à destination des enfants sourds ont été distribués dans les écoles. L’objectif est de réussir cette rentrée 2021 et de maîtriser la circulation du virus. Les enfants handicapés sont désormais habitués, à l’aise et très motivés pour appliquer les gestes barrières. Les AESH et les enseignants ont accompli un travail pédagogique remarquable”, observe la secrétaire d'Etat.

Dans les établissements scolaires et médico-sociaux, les fiches explicatives sur le virus, le port du masque et le vaccin ont été traduites en “facile à lire et à comprendre” (FALC) afin de maintenir le cap de l'autodétermination des enfants et adolescents”, ajoute-t-elle. “Cette crise nous a également obligé à accélérer la mise en accessibilité universelle. Aujourd’hui toutes les interventions télévisées du chef de l’État ou des membres du gouvernement sont traduites en langue des signes et sous titrées”, ajoute-t-elle. Sur la question du pass sanitaire, Sophie Cluzel rappelle qu’il ne sera demandé ni aux jeunes, ni aux accompagnants dans les établissements médicaux et les écoles.

École inclusive : la route est encore longue

Malgré les efforts consentis, plusieurs milliers d’enfants en situation de handicap sont encore sans solution à la rentrée. Une injustice que dénonce notamment l'Unapei (Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales, et de leurs amis) qui relance cette année l'opération #Jaipasecole sur les réseaux sociaux et sur le site internet dédié marentree.org. De nombreux parents y témoignent d’une scolarisation insuffisante ou d’une absence de scolarisation. “Si notre objectif est qu’aucun enfant ne soit laissé sans solution à la rentrée, on sait que certains ont des solutions très fragmentées”, reconnaît Sophie Cluzel. “Pour aller chercher ces enfants, nous disposons de deux leviers : les comités départementaux de l’école inclusive qui impliquent à la fois les ARS et les élus locaux et permettent de travailler au niveau local, mais aussi la création à l’été 2021 de commissions d’affectation dont le rôle va être d’identifier le plus tôt possible avec la MDPH les élèves avec des situations inadéquats”, détaille la secrétaire d’État. Des solutions d’attente, des interventions ponctuelles de rééducation par les PCPE (Pôle de compétences et de prestations externalisées) permettent également d'attendre la solution idéale pour ces enfants dont les besoins sont très variables.

Mais les parents d’enfants en situation de handicap sont également confrontés à d’autres difficultés : les délais de traitement parfois très longs des MDPH et des disparités conséquentes d’un département à l’autre. 25 millions d’euros sont ainsi consacrés en 2021 au renforcement de la capacité de pilotage d’activité des MDPH, dont 10 millions d’euros seront spécifiquement consacrés au rattrapage des retards les plus importants dans le traitement des demandes. “Nous voulons avoir une vision plus fine des territoires et, grâce au baromètre des MDPH, savoir chaque trimestre où l’on en est, quels sont les délais d’octroie, les temps d’attente. Le service public doit devenir une réalité et on va encore travailler pour simplifier et accélérer les délais de traitement partout en France. Il faut que ça aille encore plus vite, il y a urgence à ce qu’il n’y ait pas de perte d’acquis pour les enfants”, explique Sophie Cluzel.

Pour la secrétaire d’État qui a connu ces difficultés avec Julia, sa fille porteuse de trisomie 21 aujourd'hui âgée de 26 ans, il reste un travail considérable à accomplir sur la question de l’acceptation de la différence. “Il faut faire toute la place aux enfants handicapés au sein de l’école. C’est ainsi que les regards peuvent changer. L’enjeu est là, sur les bancs de l’école, celui d’un regard bienveillant, enveloppant, d’un regard qui porte. insiste Sophie Cluzel. “Nous allons organiser à partir de mi-octobre une grande campagne de sensibilisation à destination du grand public. La différence existe, et alors ? Elle est une richesse pour notre pays. Il y a plus de choses qui nous rassemblent que de choses qui nous séparent", conclut la secrétaire d’État.