Achouackh Abakar Souleymane : "LINGUI m'a redonné espoir pour le Tchad"

Dans "Lingui, les liens sacrés", en salles le 8 décembre, Mahamat-Saleh Haroun filme la condition des femmes au Tchad, plus particulièrement sur des sujets comme l'avortement et le viol. Achouackh Abakar Souleymane y joue Amina, une mère célibataire confrontée à la grossesse non désirée de sa fille de 15 ans. Un premier rôle principal pour cette jeune femme très active, qui nous a parlé de cette expérience.

Achouackh Abakar Souleymane : "LINGUI m'a redonné espoir pour le Tchad"
© PA Photos/ABACA

Lingui, au cinéma le 8 décembre, est le deuxième film en tant que comédienne d'Achouackh Abakar Souleymane et son premier en tant que rôle principal. Le réalisateur Mahamat-Saleh Haroun dit avoir choisi la Tchadienne pour ce qu'il a saisi dans son regard : "Je sentais une envie. Quelque chose était fondamentalement juste, je ne pouvais pas me tromper face à un tel désir de jouer."
Parce que le personnage d'Amina est une mère-célibataire, une battante prête à travailler d'arrache-pied pour subvenir aux besoins de sa fille Maria, Achouackh Abakar Souleymane y a vu un reflet d'elle-même. Dans le film, Amina et Maria sont confrontées à la grossesse non souhaitée de l'adolescente et aux conséquences d'une telle condition au Tchad, où les enfants hors-mariage et les filles-mères sont tabous. Cet aspect a réveillé en la jeune femme une volonté de s'engager encore plus fort sur ces sujets-là. Elle nous a parlé de ce rôle qui lui tenait tant à coeur, de la prise de conscience tchadienne et de ses projets.

Mahamat-Saleh Haroun dit qu'il a vu en vous une immense détermination pour jouer Amina. Pourquoi interpréter ce personnage était si important ?
Achouackh Abakar Souleymane
: Mon dernier fils avait quelques semaines au moment du casting, j'étais en train de me séparer du père de mes enfants et de devenir moi-même une maman célibataire. J'avais quelque part envie de vivre la vie d'Amina. J'ai retrouvé en elle la femme africaine des livres qu'on lit aux enfants, celle qu'on nous décrit quand on est petits, la travailleuse forte et acharnée qui devient la sage du village en vieillissant. J'ai toujours eu cette image en tête, j'ai en vu Amina cette incarnation et c'est ce qui m'a attirée chez elle.

Vous aviez déjà collaboré avec Haroun, sur Grigris. Qu'est-ce qui vous a donné envie de faire du cinéma ?
Achouackh Abakar Souleymane : Je venais de Los Angeles, où j'ai étudié, dans le but d'accompagner une personne pour le casting de Grigris. En me voyant, Haroun s'est dit que je devais être capable de créer des looks aussi bien tchadiens qu'occidentaux alors il m'a proposé de devenir assistante costumière sur le film et d'avoir un petit rôle. C'était ma première expérience de cinéma, mais je rêvais de faire des films depuis toujours. Pendant mes études aux Etats-Unis, j'ai rencontré énormément de personnes qui souhaitent devenir acteurs, producteurs, etc. Je ne m'étais jamais lancée car cela me semblait irréalisable là-bas.

Achouackh Abakar Souleymane dans "Lingui" © Ad Vitam Distribution

Contrairement à sa fille Maria, on sent Amina entravée par les traditions et la religion. Sont-elles représentatives d'une prise de conscience au Tchad sur la condition féminine ?
Achouackh Abakar Souleymane
: Oui, actuellement ça évolue grâce aux réseaux sociaux. Les jeunes voient comment ça se passe ailleurs. Depuis un an, des jeunes filles s'engagent dans des associations des droits des femmes, les choses bougent. On sait mieux comment s'organiser pour parler de ces choses et entreprendre des actions. Il y a 10 ans, être actrice ça n'existait pas et faire un film pour parler de ces sujets aurait été très compliqué. On n'aurait pas compris. 

Le film a pourtant été très bien accueilli au Tchad.
Achouackh Abakar Souleymane : Quand j'ai su qu'on allait montrer Lingui au Tchad, j'ai paniqué intérieurement. J'ai réalisé qu'on allait me voir fumer et défendre l'avortement sur grand écran. La salle comptait 500 personnes, dont mon père, et à la fin, tout le monde était d'accord pour dire que c'était très bien de parler de ça, qu'on racontait leur vie. Souvent, on se crée soi-même une prison dans sa tête en s'imaginant que les choses vont être mal reçues alors que tout le monde a une envie commune, en l'occurence que l'on évoque ces sujets-là. On m'a énormément dit que j'étais courageuse, on m'a remerciée pour ce rôle. A tel point que je me suis demandé si les gens m'avaient bien vue fumer à l'écran (rire) ! Je suis très contente d'avoir osé jouer ce personnage. Je me demandais si je pouvais continuer à rêver au Tchad, Lingui m'a redonné espoir en mon pays d'origine. Je sais maintenant que je peux y faire ma vie.

"Je ne me laisse pas empêcher par quoi que ce soit"

A l'image d'Amina, vous travaillez énormément, dans plusieurs domaines. Dans quoi êtes-vous engagée ?
Achouackh Abakar Souleymane : Même les Africains aiment montrer cette image de la femme qui ne fait rien. Haroun prouve que malgré le poids de la tradition, les femmes parviennent à faire des choses, notamment quand elles s'organisent entre elles en faisant croire aux hommes qu'ils ont le contrôle. Moi c'est pareil, je ne me laisse pas empêcher par quoi que ce soit, donc j'agis, je travaille. Je suis la directrice d'une entreprise artisanale où je mets en avant des produits fabriqués à la main par des femmes. J'ai également deux restaurants à N'Djaména qui font la promotion de plats tchadiens et de pays limitrophes. J'y ai installé un espace de travail pour les jeunes, les jeunes filles surtout, afin de leur offrir un showroom pour mettre en avant leurs créations. Elles ont également un bureau à disposition pour développer leurs projets.

D'où vous vient cette ambition ?
Achouackh Abakar Souleymane : De mon père. Nous étions 4 filles et un garçon et il nous a toujours dit d'étudier, de ne pas arrêter de travailler pour acquérir notre liberté. Il vient d'une famille très pauvre et nous a fait comprendre à quel point nous étions privilégiés de pouvoir suivre des cours, avoir des chaussures… Mon père m'a toujours soutenue. Il me dit parfois d'être discrète sur mes projets parce que tout le monde ne pense pas comme lui, mais il me donne sa bénédiction. Sans son aval, je ne me serais d'ailleurs pas lancée dans certaines aventures.

Au Tchad, une association pour la légalisation de l'IVG vous a proposé de devenir son ambassadrice. Pouvez-vous expliquer comment ça s'est fait ? Pourquoi avoir accepté ?
Achouackh Abakar Souleymane : C'était à l'issue d'une projection de Lingui et j'ai évidemment tout de suite accepté. Certains se demandent encore ce que veut dire le mot IVG, employé tout récemment au Tchad, mais depuis environ un an, des associations défendent ce droit. Je me dis qu'avec Lingui, ça va exploser. Maintenant, quand ils voient qu'une femme a été battue, les gens relaient l'information sur Facebook par exemple, ils commentent sur les réseaux sociaux. La parole se libère.

Comment comptez-vous continuer à mener ces combats ?
Achouackh Abakar Souleymane : Dans un premier temps, j'aimerais libérer la femme tchadienne pour arriver à dépasser ce que j'avais moi-même en tête, la croyance de finir bannie ou tuée si je faisais quelque chose de mal vu. J'aimerais dire aux Tchadiennes qu'elle peuvent décider pour leur vie, qu'elle peuvent rêver. Je compte me reposer sur ma forte conviction, à l'opposé de l'image parfois répandue que la femme africaine ne sert à rien. Il faut déconstruire cette idée pour imaginer un avenir plus beau. Ensuite, j'aimerais dire aux gens qu'on peut parler, que s'ils sont harcelés, touchés, violés, ce n'est pas de leur faute, qu'ils ont le droit de s'exprimer.

Quelles sont vos envies pour la suite ?
Achouackh Abakar Souleymane : Je compte beaucoup m'investir dans les problèmes des droits des femmes. Je me dis qu'avec tout ce qu'on fait déjà, si des lois nous aident à faire entendre ces voix sans prendre de risque, je dois continuer. Depuis le film et aussi parce que je suis maman, à chaque fois que vois ces femmes marchant au bord des routes ou assises pour vendre des objets, je sais maintenant qu'elles le font car elles ont des bouches à nourrir. Et si d'autres personnes veulent montrer ces choses-là, faire des films sur ces sujets et qu'ils ont besoin d'une actrice ou même d'une costumière, je suis partante.