LINGUI : ce que le film nous apprend sur les Droits des Femmes au Tchad

Via "Lingui", au cinéma le 8 décembre, le réalisateur Mahamat-Saleh Haroun nous ouvre une fenêtre sur le Tchad et la condition féminine dans ce pays situé au carrefour de l'Afrique du Nord et de l'Afrique subsaharienne. Au cœur de cet Etat laïc, religions et traditions continuent d'avoir un impact sur la société, au détriment des femmes.

LINGUI : ce que le film nous apprend sur les Droits des Femmes au Tchad
© Pili Film / Mathieu Giombini / Ad Vitam

Au cinéma le 8 décembre, Lingui de Mahamat Saleh-Haroun, se concentre sur l'absence de droit à l'avortement au Tchad. Dans ce pays d'Afrique, il est autorisé d'avoir recours à une IVG si et seulement si il est prouvé que la santé de la mère est mise en danger par la grossesse, ou si une affection grave est diagnostiquée chez l'enfant, après avis du juge. Dans son long-métrage, le cinéaste tchadien démontre les limites et dangers d'une telle interdiction.

Maria, 15 ans, tombe enceinte. La voilà confrontée au paradoxe d'un pays où l'avortement reste illégal dans la majorité des cas. Si elle garde l'enfant, ce qu'elle ne souhaite pas, elle devient une "fille-mère" et prend le risque d'être exclue de sa famille, de devoir abandonner ses études et de travailler pour subvenir aux besoins de l'enfant... comme sa mère Amina l'a fait avant elle. Au Tchad, les naissances hors-mariage sont mal vues, tout comme le fait d'avoir une sexualité à l'adolescence. Maria entame alors un parcours du combattant, qui n'est pas sans rappeler celui de l'héroïne de L'Evénement d'Audrey Diwan, dans la France des années 60, pour avorter.

Sa condition implique qu'elle se cache pour trouver un médecin acceptant de l'aider illégalement, et donc à ses risques et périls, ou qu'elle se tourne vers une "faiseuse d'anges"… Ces femmes qui acceptent d'interrompre volontairement les grossesses en secret, souvent dans des conditions sanitaires précaires, mettant la vie de la jeune fille en danger. D'un côté, la honte et le parjure, de l'autre, l'interdit et le danger.

Viol et contraception

Peu importe si la grossesse est issue d'un viol. Mahamat-Saleh Haroun explique qu'au Tchad, si la loi se base sur le droit français qui condamne ce crime, le mot "viol" n'existe pas dans la plupart des langues parlées dans le pays. La culture du viol se répand ainsi plus facilement et l'on pointe alors du doigt l'heure à laquelle est rentrée la jeune fille ou encore sa tenue pour justifier ces actes. La responsabilité du crime est imputée à la victime, ses conséquences également.

Depuis quelques années, le Tchad fait face à des faits-divers terribles : des nouveaux-nés sont régulièrement retrouvés abandonnés dans les rues. C'est notamment à partir de ces histoires que le réalisateur a décidé d'écrire Lingui.

Comme l'avortement, la contraception n'est pas un sujet pour les jeunes Tchadiens. Puisqu'il est mal vu d'avoir une sexualité avant le mariage, il est évidemment inconcevable pour eux de demander à avoir accès à une méthode contraceptive.

Le pouvoir du lingui

La communauté tchadienne repose sur le concept local du "lien sacré", qui donne son titre au film de Mahamat-Saleh Haroun : le lingui. "Ce précepte du vivre ensemble consiste à dire que pour faire communauté, quand on partage le même espace, il faut prendre soin les uns des autres dans un esprit de bienveillance, de solidarité…", nous a expliqué le cinéaste. Le lingui, c'est la loyauté qu'il faut avoir les uns envers les autres au-delà de tout. La contrepartie, c'est que si l'on considère que vous avez déshonoré le groupe, vous en êtes exclu. Ces liens sacrés prévalent sur les religions et la politique. C'est au nom du lingui que les femmes s'entraident dans l'adversité.

Féminisme pragmatique

Liées par le lingui, les Tchadiennes s'unissent pour braver les interdits qui les privent de liberté, d'indépendance ou d'accès à certains droits vis à vis de leur corps. Ainsi, si le féminisme n'est pas forcément théorisé, il est présent dans les cours des maisons, où les femmes sont entre elles, et prend la forme d'une solidarité souvent secrète. Dans le film, on apprend qu'il existe un réseau de femmes sur lequel on peut compter pour pratiquer de fausses excisions. Ainsi, les apparences sont sauvées et aucun affront n'est fait aux hommes et aux coutumes. Il en est de même pour les avortements illégaux ou pour réunir l'argent afin de pouvoir divorcer. Pour Mahamat Saleh-Haroun, il s'agit d'un "féminisme du quotidien", qui permet de "continuer à changer le cours des choses sans franchir la ligne rouge". La sororité à l'œuvre.