Sophie Marceau : "Je sais comment j'aimerais mourir"

Et si c'était son meilleur rôle ? Dans "Tout s'est bien passé" de François Ozon, en salles le 22 septembre, Sophie Marceau incarne à la perfection la romancière Emmanuèle Bernheim au moment où cette dernière aide son père à mourir. Face à André Dussollier, l'iconique comédienne française livre une prestation épurée, tout en lumineuses ténèbres.

Sophie Marceau : "Je sais comment j'aimerais mourir"
© Diaphana Distribution

Depuis des années, les rendez-vous manqués ont plu. Mais cette fois, avec Tout s'est bien Passé, présenté en compétition à Cannes cette année, ils l'ont fait. François Ozon a enfin dirigé Sophie Marceau, qu'il a longtemps eue dans son viseur. Il lui offre pour l'occasion le rôle de son amie, la romancière et scénariste Emmanuèle Bernheim, laquelle a aidé son père à mourir dignement après un AVC.
Sur une partition drôlatico-dramatique, et face à André Dussollier et Géraldine Pailhas (la soeur de l'héroïne), Sophie Marceau crève immédiatement l'écran en signant l'une des prestations les plus désarmantes et justes de sa carrière.
Entretien avec une star dont les fragilités, comme les éclats, continuent à toucher le cœur de celles et ceux qui l'aiment. 

Qu'est-ce qui, dans le récit d'Emmanuèle Bernheim, vous a poussée à accepter enfin de collaborer avec François Ozon ?
Sophie Marceau :
Je dirais que c'est son écriture, sa manière de parler d'un sujet compliqué, profond et perturbant avec des phrases simples et courtes. Sa manière aussi d'inscrire de grands sujets dans la réalité, avec la gestion des extrêmes que ça implique. D'un côté, vous avez un père qui demande à sa fille de l'aider à mourir. D'un autre côté, il faut gérer l'ambulance qui vient le chercher. Au départ, le sujet ne m'a pas directement saisi. Mais quand j'ai lu le roman, il y avait l'esprit d'un polar, la complexité, l'interdiction et ce personnage principal haut en couleurs qui rendait cette histoire extrêmement concrète et vivante. C'est un récit sur la mort où on ne parle que d'emmerdes, donc de vie. Il ne peut y avoir autant d'emmerdes dans la mort qu'il y en a dans la vie. Ce n'est pas possible (rires). Tout ça conférait en tout au sujet un caractère accessible et quotidien. Et c'est ce qu'on affronte tous qu'on on perd quelqu'un, ce face-à-face avec l'aspect quotidien de la mort. Elle nous surprend alors qu'on sait pertinemment qu'elle va arriver. Puis on fait face à sa forme concrète : devoir s'occuper des choses, s'écrouler en larmes, organiser les obsèques, appeler tout le monde, avoir des flashbacks, repartir vers le vivant … Tout ça va bien à Ozon car ce n'est pas un mec qui fait de la psychologie dans ses films. Il n'est jamais psychologisant.

Accepter que la mort fasse partie de la vie, n'est-ce pas l'un des plus grands défis de l'humanité ? Est-ce quelque chose que vous avez vite acté ?
Sophie Marceau :
Complètement ! Les enfants parlent très tôt de la mort. Ils sont obsédés par ça. En grandissant, on perd ce questionnement, ça effraie. On projette nos peurs parce qu'on ne sait pas ce que c'est. On est dans le déni et, pendant longtemps, on croit que ça ne va pas arriver. Et un jour, on vieillit et on se rend compte que des gens meurent autour de nous. C'est un vrai sujet que je ne veux pas éviter. Je sais que ce n'est pas très commercial ou attractif de dire "On a fait un film sur un mec qui veut mourir". Mais je trouve ça important de parler au contraire de ces choses; ça les rend plus douces, plus acceptables, moins terrible que ce qu'on s'en fait.

"Dans la vie, je suis plutôt voyeuse"

Est-ce qu'on cogite plus que d'habitude sur un tournage où l'on aborde un sujet aussi lourd ?
Sophie Marceau :
A la base, je cogite beaucoup. Et je crois que mon métier m'oblige à cogiter. Avant chaque prise, et chaque scène, on réfléchit vraiment à ce qu'on veut faire passer comme émotion, sentiment, message, ce qu'on désire expliquer. Il faut que nous soyons clairs avec nos sentiments pour pouvoir les communiquer aux autres. Jouer, c'est être tout le temps au plus près de ce que les êtres humains vivent dans des circonstances particulières ou universelles. C'est ce qui m'intéresse, de me connecter avec cette complicité, avec notre relation au monde, aux autres et à nous-mêmes.   

François Ozon a ce sens de l'observation de la société que vous louez volontiers. Est-ce une qualité que vous partagez avec lui ? Etes-vous attentive aux comportements sociétaux ?
Sophie Marceau :
Dans la vie, je suis plutôt voyeuse. Je regarde les gens, je les écoute, je veux comprendre. Je me mets à des terrasses de café, je vais à des dîners, je tends l'oreille… On vient me raconter des choses… On chope tout, c'est fatigant parfois mais c'est tellement intéressant. On a l'impression de vivre dans le vivant, c'est notre matière de travail. Ce qui n'est pas prévisible, ce qui est fragile, vulnérable, parfois con, ou brillant… Tout m'intéresse chez les gens : les codes, les moyens de se défendre, de s'afficher, de se cacher… Je fais ce métier car je veux comprendre chaque subtilité de l'âme humaine : nos petites tricheries, nos vanités, nos lâchetés, notre générosité….

Sophie Marceau et François Ozon sur le tournage de "Tout s'est bien passé". © Diaphana Distribution

Être actrice, est-ce que ça donne un sentiment d'immortalité ? Est-ce une manière de survivre à sa propre mort ?
Sophie Marceau :
Je ne me suis jamais projetée comme ça. Après, on l'a tous un peu en nous cette idée-là, c'est pour ça qu'on laisse à ses enfants des héritages -je ne parle pas d'argent ici-, de la connaissance, des petits objets, des écrits, des photos… On a envie de laisser quelque chose de soi. Mais plus que de laisser de soi, c'est plus faire profiter aux autres de notre expérience qui m'anime. J'adore l'idée de la partager avec les autres, sans pour autant les ensevelir avec. On a besoin de laisser quelque chose. On ne peut partir sans rien laisser, ça ne se fait pas (rires).

"Penser la mort m'a aidée à vivre et à me tranquilliser"

Quand on attend autant pour tourner avec quelqu'un qu'on aime, on peut être déçu. Alors, c'est si bien que ça d'être dans un Ozon ?
Sophie Marceau :
Oui ! Je n'avais pas tourné depuis longtemps. C'était mon premier film depuis 3 ou 4 ans et j'étais heureuse d'être sur le plateau avec toute l'énergie de François, toute son impatience… Il vous regarde et ne vous lâche pas. Il est un peu autoritaire mais surtout très attentif. C'est agréable pour un acteur de se sentir observé, désiré et même volé parfois. J'ai aimé mes partenaires à l'écran aussi, qui sont des professionnels, à fond dans leur personnage, ils aiment jouer. Dussollier s'en fout d'être Dussollier. Géraldine Pailhas est une grande cinéphile… Ils évoquent un métier, un choix de vie, ils ont fait des films dont on se rappelle. Et puis la tension du plateau donnait des fous rires et des larmes. Nous étions tous enclins à ça. André sort des méchancetés dans le film qui me donnent envie de me marrer. Il se régale en me balançant des horreurs. Son personnage dit tout haut ce que personne n'ose dire. Je me suis sentie bien. On voulait raconter une histoire, alerter, parler des choses…

Evidemment, Tout s'est bien passé n'est pas un film que sur l'euthanasie mais il en parle quand même. Quel est votre regard sur cette question ?
Sophie Marceau :
Ce n'est pas un film didactique qui promeut l'euthanasie. C'est tiré d'un fait réel, cette histoire est arrivée à des gens… Il n'y a pas de message là-dedans. Qu'un film me fasse réfléchir sur ça, je dis merci! Ce sont des clés qu'on me donne. On me rappelle de penser à ça. J'ai toujours beaucoup réfléchi sur la mort. Pour mon deuxième film en tant que réalisatrice, La Disparue de Deauville, j'avais des scènes à tourner dans un funérarium. J'ai rencontré des gens dont le métier est de gérer la mort et les obsèques au quotidien. C'était fascinant, ça m'a réveillée. Soudain, je me suis dit: "Faut que t'y pense". C'était le dernier de mes soucis, je ne pensais jamais à organiser tout ça, à ce qu'on allait faire de moi à ce moment… Sans me faire peur, ils m'ont éclairée et rassurée. D'un coup, ce n'était plus une question qu'on met comme la poussière sous le tapis. Ça m'a aidée à vivre et à me tranquilliser.

"C'est ma maman qui gérait les rapports humains"

Du coup, vous n'avez plus peur de la mort ?
Sophie Marceau :
Un peu quand même parce que je ne sais pas ce que c'est. Ce n'est pas une idée qui me plait beaucoup. J'aime la vie, me réveiller le matin. Ce qui se passe après, je ne l'imagine pas. Par contre, je sais comment j'aimerais mourir mais je ne vous le dirai pas (sourire).

Sophie Marceau dans "Tout s'est bien passé". © Diaphana Distribution

Ozon évoque aussi le rapport filial, avec ce rôle de père fantasque et égoïste…
Sophie Marceau :
 Il est un peu le symbole et la caricature de ce qu'est un père. Les choses ont évolué, heureusement, mais je dirais que le père est une figure assez énigmatique, qui a tous les pouvoirs dans nos sociétés mais à qui on ne règle jamais les comptes. C'est toujours la mère avec qui on se fâche. On a peur du père, de cette image autoritaire, de cette flamboyance, de ce que la société projette… Le père protège, donne à manger, guerroie, c'est la figure du patriarcat. Dussollier en est un dans toute sa splendeur, qui ose dire tout haut ce que les hommes se sont permis toutes ces années… Il est égoïste, brillant, esthète, manipulateur, omnipuissant, il s'en fout, il décide, il a les cordons de la bourse et qui l'aime le suivre. Les femmes autour de lui subissent.  

Comment était votre père ?
Sophie Marceau :
Il n'avait rien avoir avec ça mais c'était un homme qui véhiculait toutes ces valeurs: le papa, l'autorité, il sortait travailler, on sait pas trop (rires), il pensait un peu à lui et c'est ma maman qui gérait les rapports humains, qui arrangeait pour tout le monde, qui assurait la sociabilité…