Dominik Moll livre des pièces de SEULES LES BÊTES, son film puzzle

Retour triomphal pour le réalisateur de "Harry, un ami qui vous veut du bien" et "Lemming" ! Avec "Seules les Bêtes", en salles le 4 décembre, Dominik Moll adapte le roman de Colin Niel et entrelace plusieurs destins liés à la disparition d'une femme dans les Causses. Un thriller impeccable dont il commente trois aspects.

Dominik Moll livre des pièces de SEULES LES BÊTES, son film puzzle
© Axel Schmidt/AP/SIPA

Seules les Bêtes : un récit multi-stratifié

En découvrant le roman de Colin Niel, plusieurs choses m'ont saisi. A commencer par l'intrigue à points de vue multiples, avec ces chapitres qui se chevauchent dans le temps. J'ai aussi adoré les personnages, tendant vers un idéal, en quête de bonheur, mettant en branle un mécanisme. J'ai été par ailleurs interpellé par cette confrontation entre la vie rurale des Causses et le quotidien bruyant d'Abidjan. Cet antagonisme était très cinématographique : d'un côté, une ambiance hivernale et enneigée, et de l'autre, la chaleur et la moiteur de l'Afrique. Je connaissais le Causse-Méjean et ses paysages cinégéniques, son relief particulier, ce haut plateau entouré de gorges, à l'image d'une forteresse.

Montrer ces deux mondes qu'on voit rarement est, d'une certaine façon, un geste un peu politique. Il y a de la pauvreté de part et d'autre, avec des personnages qui sont quasiment tous en bas de l'échelle sociale et qui essayent de s'en sortir. Un effet papillon est clairement à l'œuvre dans le film ; les actions des uns ayant des répercussions sur la vie des autres. Avec, en plus, une petite dose de hasard. D'ordinaire, mes récits sont linéaires et chronologiques. Là, on est dans une structure différente avec six personnages principaux.

Scénaristiquement, la difficulté était de faire le ménage dans les riches éléments du livre pour se concentrer sur les choses essentielles. On a pris du plaisir à imbriquer les informations. Cela a été très ludique. Seules les Bêtes parle avant tout de la recherche d'amour et de la capacité qu'on peut avoir à se raconter des histoires, à s'y enfoncer et à se créer des problèmes. On y évoque aussi l'isolement et la solitude, bien qu'ils n'en soient pas les sujets principaux. On n'est pas non plus dans Petit Paysan ou Au nom de la Terre.

Seules les Bêtes : une mise en scène multi-genre

Dans mes intentions de mise en scène, il y avait déjà cette volonté de jouer sur les contrastes entre les étendues vastes et enneigées et les intérieurs sombres et confinés. L'étroitesse contre l'ampleur. Je voulais une image stylisée qui soit réaliste et non naturaliste. La question qui se posait également, c'était : comment négocier les scènes qui se répètent ? On a donc réfléchi à la façon d'accentuer certains éléments, ou pas, selon les points de vue chaque personnage.

Damien Bonnard dans "Seules les Bêtes". © Haut et Court

Globalement, j'ai plutôt tendance à aller vers une réalisation sobre, sans essayer d'être spectaculaire. Je veux de la simplicité. Dans tous mes films, il y a des saillies entre le réel et l'imaginaire. Le cinéma est justement propice à l'exploration de ce terrain-là. Au-delà du côté drolatique et du suspense, j'avais envie de faire infuser du fantastique. Le personnage campé par Damien Bonnard est très nécrophile : il passe son temps avec une morte. Ce qui me plait dans le genre, c'est qu'il offre un cadre codifié que le spectateur peut facilement identifier. Une femme disparaît. Une enquête… C'est un terrain connu.

S'il est vrai que le scénario est millimétré, je ne cadenasse pas tout non plus. A l'intérieur des scènes, il faut laisser une marge de manœuvre aux comédiens pour qu'ils ne se sentent pas trop contraints. J'aime la relation de confiance entre nous, qu'ils soient rassurés. Je suis à l'écoute de leurs suggestions. On fait fonctionner les choses ensemble pour que chaque personnage se révèle. Tous tendent vers une espèce de monstruosité : ils ont un côté animal et jusqu'au-boutiste. L'isolement accélère leur imaginaire. La vision du monde qu'ils exhalent est noire. Je ne veux donc pas faire de leurs trajectoires une vérité sur le monde.   

Seules les Bêtes : des comédiens admirables

Il est évident que sur un tel projet, le choix du casting est primordial. C'est important de ne pas se planter. Il convient de ne pas rationnaliser tout ça. Moi, je suis très instinctif à ce niveau. J'ai adoré travailler avec Laure Calamy. Les gens ont une image d'elle exubérante, à cause notamment de son rôle dans la série Dix pour Cent. On la croit à contre-emploi alors qu'elle a déjà joué des rôles plus en retenue. Ce qui me plait chez elle, c'est sa générosité dans le jeu. Elle n'a pas peur d'y aller à fond. A l'instar de son personnage qui veut sauver tout le monde : son mari comme l'agriculteur voisin avec qui elle couche… Elle finit par se perdre elle-même. Elle pose le plus de questions et obtient le moins de réponses.

Son mari est incarné par Denis Ménochet. Il était ma première idée de casting à l'écriture. Il m'a tellement impressionné dans Jusqu'à la Garde. Même si les rôles sont très différents, j'avais vraiment envie qu'il incarne Michel, avec ce côté un peu naïf et enfantin dans sa façon de tomber dans le piège que lui tend le cyber-criminel -excellent Guy Robert N'Drin- basé à Abidjan. Damien Bonnard a pour sa part quelque chose de singulier. Il est venu à la comédie assez tardivement, après avoir fait plein de petits boulots. Ce bagout qu'il a emmagasiné, ça se sent. Dans la vie, il est très bavard et, en même temps, il a une noirceur et une gravité dans son regard. On sent un abîme.

C'était aussi agréable de collaborer avec Valeria Bruni-Tedeschi, qui est une actrice très libre. Elle est impeccable sous les traits de la femme qui disparaît. Entre la révélation Nadia Tereszkiewicz, qui incarne la serveuse dont elle tombe amoureuse, et elle, ça marche super bien. L'alchimie, c'est impalpable, on se demande toujours si ça va prendre. Et là, tout le monde était au diapason de l'intrigue. J'ai lâché la bride aux acteurs, plus que dans mes autres films.    

"Seules les bêtes // VF"