Denis Ménochet : "Je pense que je me fais arnaquer tous les jours"

Dans le thriller "Seules les Bêtes" de Dominik Moll, en salles le 4 décembre, Denis Ménochet incarne un fermier victime d'une escroquerie sur Internet. Après "Jusqu'à la Garde" et "Grâce à Dieu", il continue de nous enthousiasmer par sa palette de jeu. Rencontre.

Denis Ménochet : "Je pense que je me fais arnaquer tous les jours"
© Haut et Court

C'est l'un de nos plus grands comédiens. De film en film, sa présence, à la fois inquiétante ou réconfortante, électrise les scénarios et les intrigues. Époustouflant dans "Jusqu'à la Garde" en mari violent, émouvant dans "Grâce à Dieu" en victime de pédophilie, Denis Ménochet, 43 ans, trace une route précieuse et atypique au sein du cinéma français -et mondial-, en se tenant à l'écart des flashs et des mondanités. Dans "Seules les Bêtes", il incarne un des multiples personnages liés à la disparition d'une femme au cœur des Cévennes. Il est précisément Michel Farange, un fermier marié victime d'une escroquerie sur Internet. Laquelle le fait tomber amoureux d'un profil usurpé. Pour le Journal des Femmes, il revient sur cette expérience jubilatoire et évoque quelques souvenirs.    

On a l'impression que vous étiez fait pour rencontrer Dominik Moll…
Denis Ménochet :
Il y a eu en effet une forme d'évidence entre nous dès notre première rencontre. On s'est retrouvé davantage sur des conneries, sur l'humour, que sur des choses artistiques. On s'est vus dans un restaurant, on a observé les gens autour… C'était comme de se retrouver assis à l'école à côté d'un mec sympa avec qui vous avez immédiatement envie d'être pote.

Qu'est-ce qui vous plait dans son cinéma ?
Denis Ménochet :
Le thriller drôle… Il trouve de l'humour dans des situations macabres, voire sombres. Il ramène tout le monde vers une forme d'humanité. J'adore Lemming, qui est mon film préféré de lui. Chez Dominik Moll, il y a une part de mystère et une formidable capacité d'observation. Mais aussi une forme de pudeur. C'est une espèce de grand gars flegmatique, pince-sans-rire, et en même temps très accessible… Je l'appelle le Clint Eastwood allemand. Sur le plateau, vous pouvez tout proposer mais il fera toujours ce qu'il veut (rires). Il a réussi, avec son coscénariste Gilles Marchand, la prouesse d'adapter le bouquin de Colin Niel. Ce qui n'était pas chose aisée. Je crois que je l'ai quand même bien fait chier sur le tournage car je proposais plein de trucs. Il a dû souffrir avec moi… J'ai en tout cas pris du plaisir à jouer ce rôle sur une note un peu comique. Mon personnage ne prévoit rien. Il est naïf. C'est l'autre côté du masque de la comedia dell'arte.

D'ordinaire, vous mettez toujours cinq ou six jours pour rentrer dans un tournage car vous êtes rongé par le doute. Ça a changé ?
Denis Menochet :
Non… Tous les acteurs ont le sentiment d'imposture, cette crainte de se faire virer ou démasquer dès le premier jour. Ça fait partie du truc, de jongler avec des balles d'anxiété. Il y a toujours des doutes, des hauts et des bas…

Vous êtes pourtant un acteur de premier plan. Vos performances sont remarquées. Les compliments ne vous rassurent-ils pas ?
Denis Ménochet :
Il ne faut pas vivre pas dans le passé de ce qu'on a fait. Personnellement, je vois les choses ainsi : on lâche des bateaux en papier en pleine mer. Ils s'en vont et finissent par se désintégrer. Les gens qui les verront en chemin en parleront peut-être. Et ça s'arrête là. Si vous prenez pour référence ce que vous avez fait avant, vous devenez imbu de vous-même, égocentré et, du coup, votre artisanat en pâtit. Il faut protéger son artisanat. Ça doit être notre sanctuaire.

Votre personnage est victime d'une arnaque sur Internet. Connaissiez-vous les brouteurs ?
Denis Ménochet :
Oui… Ce qui est fou, c'est que sur le plateau, en Côte d'Ivoire, il fallait éviter de se faire prendre en photo par eux au risque de voir son image utilisée avec une fausse identité. Et ce pour contacter je ne sais quelle proie dans le monde.

Vous êtes-vous déjà fait arnaquer sur le Net ?
Denis Ménochet
 : Bonne question… Je pense que je me fais arnaquer tous les jours. Si vous voyez un film d'Adam Sandler, l'algorithme tire des conclusions. Leur truc, c'est Skynet, c'est Sarah Connor ! Il faut faire gaffe à l'outil qu'est le téléphone et dont se servent les autres pour nous charteriser. Dans Minority Report, quand Tom Cruise rentre chez lui, les publicités sont adaptées à sa rétine. Aujourd'hui, avec la reconnaissance faciale, ils peuvent faire du data à partir des réactions lisibles sur notre visage : sur ce qu'on voit, sur ce qui nous émeut, etc. On est plein de choses dans la vie et c'est fatiguant de créer une seule image de soi, de voir combien de likes on suscite… Après, je trouve le téléphone ultra génial quand on est perdu au milieu d'une ville inconnue et qu'on veut trouver son chemin ou qu'on a besoin d'informations diverses…   

Que seriez-vous devenu sans Lesley Chatterley, qui vous a poussé à jouer la comédie ?
Denis Ménochet :
(long silence très ému) A 17 ans, ma meuf m'avait largué pour mon meilleur pote. Mes parents allaient se séparer parce que mon père trompait ma mère : encore une fois ! Le skate, c'était ce à quoi je me raccrochais. J'en fais d'ailleurs toujours. C'est un endroit où personne ne vous juge par rapport à l'endroit d'où vous venez. Vous faites une figure et on vous applaudit. Vous n'avez pas le droit de vous la péter. C'est vraiment une famille. Un jour, alors qu'on achetait des feuilles à rouler –parce que, oui, je fumais des pétards–, je suis tombé sur une annonce et j'ai rencontré Lesley Chatterley de l'Acting International. Elle m'a donné le goût du théâtre. Pendant 3 ans, j'ai joué des morceaux de William Shakespeare, de Tennessee Williams, avec des spectacles de fin d'année. Lesley est hélas morte à 47 ans, trois semaines avant la présentation d'Inglourious Basterds à Cannes…

"(Quentin Tarantino) a fait la promesse de m'écrire autre chose."

Vous êtes complètement hors star-system… Vous êtes extrêmement simple et à l'écoute. Les pieds sur terre… On a même l'impression que vous préférez mettre en avant vos partenaires plutôt que vous-même…
Denis Ménochet :
Si ce ne sont pas des cons, oui… (sourire) Merci, ça me touche que vous disiez ça. C'est un truc d'éducation. Je n'ai pas joué des coudes pour trouver ma place. J'ai un sexe d'une taille qui me convient, je n'ai donc pas besoin de prouver autre chose. Quand je vois plein d'acteurs français dont je ne dirais pas les noms… Ce sont un peu ces mecs, supposés être les plus cool à l'école, qui avaient la doudoune Chevignon et les Creeks… Ce sont toujours les mêmes qui se refilent les plans. Tant mieux pour eux… Je ne sais pas faire ça. Je veux simplement que les films dans lesquels je joue aient une valeur humaine forte. C'est la plus grande des fiertés, ça vaut tout l'or du monde. Et ça m'est arrivé avec Grâce à Dieu et Jusqu'à la Garde. J'espèce d'ailleurs que les choses vont avancer face aux féminicides. (Réflexion) Je n'ai pas envie de me mettre en avant car je veux qu'on me foute la paix. On n'a pas inventé le vaccin contre le cancer. Dans ce milieu, il faut se détendre du bulbe, bordel !

Après Inglourious Basterds, comment vous sentiez-vous ?
Denis Ménochet :
J'ai pris un melon comme tout le monde. Et je me suis rendu compte de la jalousie des Français : ça m'a calmé.

Etes-vous resté en contact avec Tarantino ?
Denis Ménochet :
Je l'ai vu à l'hôtel Royal Monceau il y a deux soirs. S'il a envie qu'on tourne ensemble, ça sera avec plaisir. Il m'a d'ailleurs fait la promesse de m'écrire autre chose. Est-ce un homme de parole ? (rires) J'attends. J'ai en tout cas adoré Once upon a Time in Hollywood.

Joker, avec Joaquin Phoenix –qui a été votre partenaire dans Marie Madeleine–, est aussi un des cartons de l'année. Comment l'avez-vous trouvé ?
Denis Ménochet :
J'ai adoré ça. Je suis hyper content que ça ait cartonné. Je suis ravi pour Joaquin Phoenix et sa compagne (Rooney Mara, ndlr), qui sont à l'abri du besoin à jamais. On fait rarement des gens aussi généreux qu'eux.

Vous serez bientôt à l'affiche de The French Dispatch, le nouveau film de Wes Anderson avec Timothee Chalamet, Bill Murray, Tilda Swinton et un parterre d'autres talents. C'était comment ?  
Denis Menochet :
Les rumeurs disent que c'est son plus grand film. Et je n'en doute pas une seconde parce c'était épique à faire. Si, petit, j'avais été le voisin de Wes Anderson, que le matin de Noël nous recevions tous les deux des Lego, et qu'on se mettait à jouer ensemble, je pense que je serais rentré chez moi en pleurant le soir. Ce mec est un génie de tous les détails.   

"Seules les bêtes // VF"