"Les violences conjugales, ça commence toujours par un conte de fées", Sophie 43 ans

Il y a trois ans, Sophie rencontre l'homme de ses rêves. Peu importe la différence d'âge, tout est parfait. Déjà maman de trois enfants, elle s'embarque corps et âme dans cette relation. Amoureuse de cette romance et de l'homme qui en tire les ficelles, elle ne se voit pas tomber. Sans cesse, elle pardonne.

"Les violences conjugales, ça commence toujours par un conte de fées", Sophie 43 ans
© Sophie

Entre le 1er janvier et le 1er septembre 2019, 100 femmes tuées sous les coups de leur conjoint ou de leur ex-conjoint. Alors que le Grenelle de lutte contre les violences conjugales a débuté le 3 septembre, nous avons choisi de donner les paroles à celles qui souffrent, cherchent une issue et se battent pour se reconstruire. Leurs témoignages sont nécessaires. Voici celui de Sophie, 43 ans, secrétaire administatrive, vivant près de Strasbourg. Séduite par cet homme qu'elle rencontre chez des amis en 2017, elle tombe amoureuse. Un véritable conte de fées qui, même s'il tourne au cauchemar, ne cesse d'aveugler la jeune femme.

C'est tellement insidieux la violence conjugale... J'avais cru trouver l'homme idéal, un prince charmant malgré nos 15 ans d'écart. Il était doux, attentionné et tellement câlin... Mais tout a basculé. Je n'ai rien vu venir. On ne se voit pas tomber, c'est tellement lent.

Il a commencé à s'énerver pour un rien. Au départ, ce n'était jamais contre moi, toujours contre les autres. J'étais du "bon côté", jusqu'à ce que je devienne sa cible. Des insultes, des coups dans le mur… avant de les porter sur mon corps. Le lendemain, il s'excusait toujours. Il était fatigué, ou bien angoissé. Des problèmes au boulot, alors moi je pardonnais. En février 2018, il a voulu m'asperger d'essence. Je me souviens des faits, des cris, j'ai réussi à m'enfuir. Le plus fou, c'est que je ne me souviens plus de "la raison". De toute évidence, il n'existe aucune bonne raison à ça. En mars, un mois plus tard, il a voulu me faire la peau avec un couteau. Mon fils de 15 ans, témoin, a appelé les gendarmes à ma demande, et là, mon ex s'est dépêché de s'entailler les bras pour raconter qu'il voulait se suicider car je voulais le quitter. Il a été conduit à l'hôpital psychiatrique duquel il s'est échappé quelques jours plus tard.

Sophie et sa fille © Sophie

Après ça, il a quitté la maison pour la première fois. Mais je n'attendais qu'une chose, dans le fond : qu'il revienne. Parce qu'on veut s'en défaire mais qu'on n'y parvient pas. Et parce qu'on y croit aussi. Je ne sais plus ce que j'ai fait, ce que j'ai dit, mais j'ai "réussi". Il est revenu, doucement, gentiment, avec les mots que j'avais besoin d'entendre. Là, c'est comme si le passé s'effaçait. On veut tellement être heureuse qu'on oublie tout. On se fait croire au conte de fée. J'étais à la fois mal et pleine d'espoir. Je l'ai laissée reprendre le contrôle de la maison. Mais tout se passait bien. Ses coups de colère, toujours présents, ne m'étaient plus destinés.

En juillet, je suis tombée enceinte. La situation était "bonne", tout allait mieux, et je me suis dit que c'était une bonne nouvelle, qu'agrandir la famille pourrait nous faire du bien. Mais à cinq mois de grossesse, un jour, il était très énervé contre son frère de passage chez nous. J'ai tout pris, il m'a poussée violemment contre le mur. Là encore, j'ai pardonné comme une idiote aveuglée par l'amour que je lui portais... J'ai accouché prématurément en mars 2019 et notre bébé a été hospitalisé en néonatalogie.

Un jour je le trouvais un peu brusque avec la petite. Je lui ai juste demandé de faire doucement, elle était tellement fragile... J'ai failli prendre une chaise dans la tête. Nous avons eu quelques mois de répit et en juin, ça a recommencé. J'ai enfin réussi à le prononcer, ce fameux stop. Pour protéger mes enfants. Je lui ai hurlé de partir, en le menaçant d'appeler la police. Il m'a ri au nez et m'a dit qu'il allait se barrer parce qu'il n'en avait rien à foutre de ma gueule. Et il est parti.

Ses affaires sont toujours ici mais j'ai changé les serrures. Aujourd'hui, j'ai peur pour ma petite. J'ai peur mais je me battrai pour que ma fille ne le subisse pas. Je m'en veux tellement de devoir lui faire subir ça, moi, tout ça parce qu'un jour j'ai eu la malchance d'aimer un homme violent.