"Maman par choix à 19 ans, je dois chaque jour me justifier" dit Océane

A l'âge de 18 ans, Océane rencontre Antonin. Rapidement, elle tombe enceinte. Une grossesse désirée pour ce couple qui souhaite fonder une famille. Mais le chemin de la maternité n'est pas tout rose et se transforme en combat. Entre remarques déplacées, regards moralisateurs et jugements incessants quant à son jeune âge, la jeune femme se sent dépossédée de son corps et de ses choix. Témoignage.

"Maman par choix à 19 ans, je dois chaque jour me justifier" dit Océane
© Océane

Je suis tombée enceinte à l'âge de 18 ans et je suis devenue maman à 19 ans. C'était voulu, complètement voulu. Antonin et moi nous sommes rencontrés jeunes, en CAP restauration. Nous étions d'abord amis, très complices. Notre relation est née sans qu'on ne mette de mots. On se voyait de plus en plus et nous sommes devenus un couple. Un couple très soudé, très vite. Et nous sommes toujours ensemble, parents de deux enfants maintenant. L'histoire est belle, bien sûr qu'elle l'est, et pourtant, notre âge continue de déranger. Comme si tout ça comptait moins, comme si nous nous aimions sur un fil, comme si notre famille sonnait faux, comme si quelque chose ne collait pas. Les normes sociales et familiales proposent une lecture biaisée de notre relation. C'est un combat de chaque jour. Chaque jour, je dois rappeler que je suis heureuse, que c'est un choix. Chaque jour, je dois me justifier.

"Etre mère était un besoin, un besoin presque viscéral"

Au bout de quatre mois de relation, Antonin et moi parlions déjà de bébé. J'ai mis le sujet sur le tapis. J'avais très envie d'un enfant. Néanmoins, jusqu'à l'âge de 16 ans, les désirs de grossesse et de maternité étaient complètement absents de mon tableau de vie. Mais un beau jour, presque soudainement, l'envie s'est comme imposée à moi. C'était avant que je rencontre Antonin, donc ce n'est pas tant lui, notre histoire et nos liens qui ont réveillé ce désir, même si oui, l'amour est capable de venir nous chercher sur ce terrain. Je dirais plutôt que dans mon cas, c'était un besoin presque viscéral, un besoin sorti des tripes que je n'explique pas aujourd'hui. J'ai eu peur de lui en parler, je ne vais pas mentir. Je craignais de le faire fuir, non pas parce que j'avais 18 ans à ce moment-là, mais parce qu'on se fréquentait depuis peu.

Antonin était sur la même longueur d'onde que moi. Il n'a pas triché, n'a pas cherché à me rassurer ou me garder en feignant un désir de paternité. Nous étions raccords. Le projet s'est donc installé très rapidement entre nous. Après trois de conversations sérieuses, authentiques, joyeuses et riches en projections, j'ai fait retirer mon implant contraceptif. Simple, fluide, logique. Ce n'est pas tous les jours que la vie ouvre ses portes sans résistance aucune et nous indique le chemin avec une évidence aussi déconcertante. Bien entendu, on se questionnait : est-ce trop tôt ? Est-ce le bon moment ? Mais le désir était plus fort et les bonnes réponses n'existaient pas.

"Enceinte à quarante ans ? On est pointée du doigt… Et à dix-huit ans ? On l'est tout autant"

Un mois plus tard, je suis tombée enceinte. Quelle surprise ! C'est vrai, nous nous sommes dit "déjà ?". Mais j'étais sûre de mon choix, sûre de moi, et peu importe les délais, les calendriers, les mois, les jours que l'on déroule sur ses doigts. C'était donc le moment. Antonin était ravi, très heureux, il bossait deux fois plus pour offrir une vie confortable à notre enfant. La grossesse s'est très bien passée. Notre bébé était très attendu.

Malheureusement, on a eu le droit à un paquet de remarques désobligeantes. Quelque part, il fallait s'y attendre, et c'est ça le plus triste. C'est de savoir combien les mentalités butent. Combien la grossesse est stigmatisée. Enceinte à quarante ans ? On est pointée du doigt. Enceinte à dix-huit ans ? On l'est tout autant. Enceinte "toute seule" ? Même histoire. Il faudrait devenir mère entre vingt-cinq et trente-cinq ans, vivre avec un père aimant et présent, allaiter mais " comme il faut ", tout gérer, rentrer dans des cases…

Les inconnus dans la rue me dévisageaient de la tête au pied. Après avoir regardé mon ventre arrondi, ils regardaient longuement mon visage, devinaient mon âge, ne détournaient pas les yeux. Je sentais les regards curieux, inquisiteurs et moralisateurs. C'était permanent. Et difficile à supporter.

© Océane

"Si vous voulez avorter, c'est encore possible"

Lors de mon premier rendez-vous à l'hôpital, une infirmière m'a examinée avant que la sage-femme n'arrive. Dans un silence total, elle m'a dit : "Si vous voulez avorter, c'est encore possible". Elle a placé ça comme ça, au cas où. On voulait me faire changer d'avis. Ce genre de phrase rend très triste. On se sent véritablement seule. Pour moi, cette grossesse était logique et heureuse. Jamais je n'aurais imaginé que l'on puisse reconsidérer mon état, ma vie et mon projet de la sorte.

La sage-femme aussi a eu des mots dégradants. Un vague bonjour et un "C'était voulu ?". C'est d'une violence ! Je me mets à la place d'une femme pour qui cette grossesse est un accident, et je me dis que c'est la double peine, vraiment.

J'étais jeune et je ne m'attendais pas à ça. Au manque d'empathie de certains professionnels, au manque d'informations aussi. Est-ce toujours le cas ? Est-ce qu'on refusait à ce point de me prendre au sérieux ? Est-ce que cela signifie que les femmes sont généralement épaulées par leurs proches tandis que moi, j'étais seule (pas de chance) ? Seule face aux découvertes, aux vergetures, aux kilos pris, aux pertes de colostrum à sept mois ? Je ne savais pas grand-chose. Alors oui, je suis tombée enceinte très vite, je ne me suis pas "renseignée" avant de faire un enfant, je n'ai pas ouvert mille bouquins, je n'ai pas interrogé Google. Mais devenir mère est naturel. Porter un enfant et le mettre au monde aussi. Sauf que dans mon cas, on met ça sur le compte de l'âge, de l'impulsivité.

Globalement, dès que les professionnels de santé voyaient ma date de naissance dans mon dossier, ma grossesse était remise en question. Bien sûr, certains étaient adorables. Mais la bienveillance et la neutralité manquaient souvent. Sur les visages, je voyais d'emblée si la personne était pour ou contre, alors que je ne demandais rien. Chacun fait ce qu'il veut de son corps, de sa vie, du temps dont il dispose. Ce sont des choix personnels. Nous avions une vie stable et de l'argent. Notre projet n'était pas "à l'arrache". Je ne dis pas non plus : faites un enfant jeune ! Avoir une bonne situation est important. Il faut être équilibré, stable. Il y a des moments difficiles. Nous avons parfois été démunis.

"Ça, c'est une famille qui fait des gosses pour les alloc'"

Après l'accouchement, ça a continué. La grossesse, ce n'était que le début. Je n'ai pas voulu allaiter et on n'a cessé de me questionner, me juger : "Tu n'allaites pas, vraiment ?". Puis nous avons fait un deuxième enfant, et l'histoire a recommencé. Cette fois, j'allaite le deuxième et on me dit de donner le biberon pour compléter, pour que le petit "se détache" de moi en douceur et pour entamer la diversification alimentaire. Mais pourquoi les autres veulent-ils toujours me rappeler qu'ils ont de l'expérience ? Pourquoi me donne-t-on autant de leçons ? Je sais ce que je fais, je ne réclame pas de conseils, je ne dis pas que je suis perdue. C'est fou de subir la pression des deux côtés, qu'on allaite ou pas. Moi, j'agis selon mon corps, selon mes ressentis.

Concernant l'éducation, même souci. Il y a quelques semaines, mon fils, le grand, a fait une crise en plein milieu du marché. Tout parent est passé par-là. Moi, je me suis sentie très mal à l'aise. Je n'avais jamais ressenti ça. J'ai choisi de rentrer, et chaque pas que l'on faisait vers la maison était soumis à des regards lourds et pesants. Les commerçants sortaient de leur boutique. On m'a même demandé si je voulais un verre d'eau pour calmer mon enfant. On lui a proposé des sucettes alors que non, je ne vais pas le récompenser de faire une crise ! Je vois bien que les passants nous jugeaient, qu'ils pensaient à un problème d'éducation, qu'ils se disaient que "ça, c'est une famille qui fait des gosses pour la sécu".

"J'assume mon âge, mes choix, ma maternité"

A l'école, un gang de mamans me regarde de haut en bas, tous les jours.... Seule la maîtresse est adorable. J'ai même un collègue qui m'a dit : dis-donc, vous faites ça comme des lapins ! Et c'est sans dire qu'on me demande souvent pourquoi j'ai fait des enfants si tôt. Si tôt de quoi ? C'est infernal.

© Océane

Moi j'assume mon âge, mes choix, ma maternité. Je suis bien dans ma vie, ma peau, et j'ai envie qu'on me fiche la paix. Nous gérons très bien. Nous sommes heureux tous les quatre. Certaines personnes ont le droit de ne pas cautionner, peut-être qu'elles ne font pas les mêmes choix, mais pourquoi tous ces avis, ces remarques méchantes et gratuites ?

Progressivement, mes amis se sont éloignés. Au départ, ça m'a beaucoup peinée, puis j'ai réalisé que c'était tant mieux. J'ai fait un tri dans ma vie. Beaucoup de mes relations étaient superficielles. Quand on est jeune, on multiplie les contacts et on découvre avec le temps, les épreuves, les projets, les convictions et les désirs, quelles sont les personnes qui comptent vraiment, susceptibles de s'inscrire dans la durée.  Aujourd'hui, nos amis les plus proches – des rencontres plus tardives – n'ont pas d'enfants, et cela ne nous empêche pas de partager un tas de choses. L'amitié est une question d'affinité, pas de maternité et de schémas similaires, de vies rythmées à l'identique. Si c'était le cas, on serait bien seul au monde.