Ces femmes voulaient juste conduire, elles risquent le pire

Arrêtées pour avoir demandé le droit de conduire sans la permission d'un homme, dix Saoudiennes ont comparues le 13 mars devant le Tribunal de Ryad, lors d'un procès à huis clos. Après une arrestation sans inculpation et des mois de tortures, Loujain Al Hathloul et ses camarades risquent jusqu'à 20 ans de prison.

Ces femmes voulaient juste conduire, elles risquent le pire
© Tzogia Kappatou

Il est dur d'être une femme en Arabie Saoudite. Le royaume wahhabite, dirigé depuis peu par le prince Mohamed Ben Salmane a du mal à s'ouvrir et à réformer ses lois en ce qui concerne les droits et libertés de ses citoyennes. En effet, le peu de droits qui est octroyé aux Saoudiennes dépend entièrement de la décision du père, du mari, du frère ou tout autre tuteur masculin, nommé "mahram" en arabe. Cependant, le jeune prince héritier dit vouloir moderniser le royaume et l'ouvrir via son plan "Vision 2030", rendu public en 2018 et dont la réforme phare est la levée de l'interdiction de conduire aux femmes sans permission préalable. Ainsi, il redonne une lueur d'espoir pour la cause féminine du pays, mais pour un temps seulement. En effet, en mai 2018, soit un mois avant la levée historique de cette interdiction, 10 Saoudiennes sont arrêtées. Leur crime ? Avoir posté des vidéos d'elles au volant de leur véhicule et avoir demandé l'arrêt du système de tutelle. Leur procès a débuté le 13 mars au Tribunal pénal de Ryad, à huis clos. Ce sont des spécialistes des affaires terroristes qui fixeront le sort de ces militantes

En Arabie Saoudite, une femme au volant est une terroriste

Dix Saoudiennes risquent de lourdes peines de prison pour avoir eu"l'intention de saper la sécurité, la stabilité et l'unité nationale du royaume" selon la Justice du pays. Après avoir milité pour leurs droits, ces femmes ont été arrêtées puis torturées. Parmi elles, figure Loujain Al Hathloul. Âgée de 29 ans, cette francophone est connue des services de police pour être entré seule en Arabie Saoudite via les Emirats Arabes Unies au volant de sa voiture, en 2014. A cette époque, elle écope de 70 jours de détention.
En mai 2018, avec 9 autres femmes dont les universitaires Hatoon Al-Fassi, 55 ans et Aziza Al-Yousef, 60 ans, Loujain décide de ne plus se taire et invite les Saoudiennes à se révolter contre l'interdiction de conduire et, plus globalement, contre le système de tutelle. Certaines militantes sont relâchées tandis que d'autres sont incarcérées sans motif et torturées, comme Loujain.
Harcèlements sexuels, simulation de noyade, chocs électriques : ces femmes perçues comme des "traîtresses" ont été brutalisées à de multiples reprises. Plusieurs membres de leurs familles se sont révoltés et ont vu leurs demandes exaucées en novembre 2018. "Les tortures ont cessé. Loujain a obtenu de voir un psychologue pour surmonter le souvenir et les séquelles de cette période", affirme Alia Al-Hathloul, sœur de la prisonnière au Monde.  La Couronne, elle, dément ces faits de violences.

Pour ces militantes Saoudiennes, une seule solution : la pression internationale

Selon Amnesty International, qui lutte pour la défense des droits humains et ceux de ces femmes, la militante Loujain Al-Hathloul a été victime d'une "utilisation abusive d'un système pénal". L'organisation appelle la communauté internationale à faire pression sur le royaume. Après l'éclatement de l'affaire Kashoggi, du nom du journaliste saoudien dépecé dans un consulat turc, l'Arabie Saoudite évite les vagues et tente de faire bonne figure, comme en nommant sa première femme ambassadrice à Washington. 
En février 2019, les députés européens ont voté une résolution pour que le pays lève le système de tutelle masculine. En France, lors de la remise du Prix Simone-Veil le 8 mars 2019, le président Macron a rappelé que Loujain Al-Hathloul a été "emprisonnée simplement parce qu'elle avait critiqué le système qui place les femmes sous la tutelle des hommes" et le Président espère sa"libération prochaine."