Sarah Abitbol : "Je suis à 70% de ma guérison" (EXCLU)
La championne de patinage artistique, qui a dénoncé les viols de son ancien entraîneur, n'arrête pas son combat. Elle revient aussi sur la glace avec Holiday On Ice. Sarah Abitbol nous parle de sa lutte contre les violences sexuelles, de son retour sur les patins et de la mort de Gilles Beyer. Interview exclusive.
Trois ans après son livre, Un si long silence, dans lequel elle dénonçait les viols de son ancien entraîneur et qui a participé activement au mouvement #MeToo dans le sport français, la championne de patinage artistique continue son combat et a même été récompensée. Pour sensibiliser sur les violences sexuelles faites aux enfants, elle a fait une exposition, intitulée Cri d'alerte, avec une son association "La Voix de Sarah". La patineuse âgée de 47 ans fait aussi son grand retour sur la glace, en tant qu'invitée d'honneur de la tournée Holiday On Ice, qui a débuté le 3 février 2023.
Pour l'occasion, la sportive s'est livrée au Journal des Femmes et elle a accepté de nous parler de la mort de son ancien entraîneur, Gilles Beyer, survenue le 19 janvier dernier.
Journal des Femmes : Le 5 janvier dernier, la Ministre des Sports vous a remis la médaille de l'ordre national du Mérite pour votre combat contre les violences sexuelles. Est-ce que cela représente une forme de consécration pour votre combat ?
Sarah Abitbol : Oui, c'est une forme de consécration pour mon combat, c'est vraiment un grand honneur que la France me donne. Un grand honneur de recevoir cet ordre du mérite, à la fois pour ma carrière sportive et bien sûr pour mon combat. Je pense qu'il me félicite de cette prise de parole courageuse. C'est une très belle médaille que je garderais toute ma vie. Tout comme celles que j'ai eues aux championnats d'Europe et du Monde. Je crois que c'est une de mes plus belles victoires.
Est-ce que vous trouvez que le gouvernement en fait assez dans la lutte contre les violences sexuelles ?
C'est jamais assez ! C'est vrai qu'on veut encore plus d'actes de leur part et encore plus de soutien envers les associations et pas seulement la mienne, La Voix de Sarah. Parce qu'on a besoin de fonds et surtout de faire passer des lois. Comme l'imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineur, comme l'amnésie traumatique. Parce que, malheureusement, on ne se souvient pas toujours de ce qu'il s'est passé et quand on s'en souvient, parfois, il est trop tard avec cette prescription. Donc, on aimerait que ça avance dans le bon sens et surtout que les lois protègent plus les victimes que les agresseurs.
Seriez-vous prête à vous engager politiquement pour emmener votre combat à un autre échelon ?
Je m'engage déjà. J'ai des sénateurs qui me suivent. Je suis allée au Sénat il y a quelque temps. Là on est en train d'écrire des lois pour que toutes les victimes puissent être mieux protégées. Donc bien sûr que je m'engage, ça fait partie de mon combat : dénoncer c'est bien, mais continuer le combat c'est mieux. C'est ce que je fais aujourd'hui en 2023.
Avec votre association "La Voix de Sarah", vous lancez une exposition de photos, appelée Cri d'alerte, pour sensibiliser aux violences sexuelles dans le sport. D'où vous est venue l'inspiration pour ce projet ?
On discutait de l'association "La Voix de Sarah" avec mon metteur en scène, Yves Barta, de comment sensibiliser, comment continuer la prévention de manière un petit peu plus subtile. Et il m'a dit : "Écoute, tu me parles souvent de phrases chocs que toi et d'autres victimes ont entendues. Je pense qu'il faudrait qu'on fasse vraiment de belles photos artistiques avec elles". Donc je me suis mise en relation avec Tom Bartowicz et Julie Mourgue. Je leur ai parlé de mon histoire. Ils ont lu mon livre et ils s'en sont vraiment imprégnés. Puis on a pu débriefer sur ce qu'on voulait mettre en place : des photos dans tous les sports. On a pas pu tous les faire parce que c'était trop. Mais on en a choisi certains : des terrains de tennis, des bassins de piscine…
On a voulu montrer qu'à travers une photo et une phrase, on peut comprendre beaucoup de choses. Par exemple, il y a un entraîneur dans l'eau avec un requin sur son bras et une jeune fille assise au bord de piscine et il est marqué : "Les requins ne sont pas que dans la mer". On a une photo de moi avec tous mes trophées en disant : "Ma plus belle victoire c'est d'avoir parlé". Ce sont des phrases fortes qui s'adressent à un public large, qu'on ait 12 ans, 40 ou 20 ans. On voulait pouvoir amener une ouverture de discussion. Et ça marche ! L'exposition a été mise en place au Ministère des sports le jour de la remise de ma médaille. On a eu des réactions tout à fait positives et le public a pu engager des conversations.
Pourquoi était-il important pour vous de sensibiliser sur les violences sexuelles dans ces différents sports ?
Parce qu'on a vu que 50 fédérations avaient été touchées et 900 cas ont été avérés, tous les sports confondus. Pour moi, il était important de mettre en image le sport en général et pas que dans le patinage artistique. Même si c'est moi qui ai déclenché le #MeToo du sport et qui ai parlé en 2020. Il est important de continuer.
Le 19 janvier dernier, votre ancien entraîneur, Gilles Beyer, accusé de viols et d'agressions sexuelles, est décédé. Comment avez-vous réagi à l'annonce de sa mort ?
Au départ, j'étais sous le choc, parce que ça fait trois ans qu'il y a un juge d'instruction sur l'affaire qu'on avait aucune nouvelle, nous les victimes. J'ai pensé à toutes les victimes de cet agresseur… Il ne sera pas puni. Après, Dieu en a décidé ainsi, je continue à me battre avec mon association pour justement faire avancer la loi, pour me battre contre l'imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineur. Je ne peux pas faire plus, donc je continue mon combat de manière positive. Le principal, c'est que je me sente de mieux en mieux. Je ne suis pas guérie à 100%, mais je suis à 70% de ma guérison. J'essaie de positiver en pensant à moi et à mon combat pour les autres.
Vous êtes l'invitée d'honneur de la tournée Holiday On Ice (Supernova 2023 jusqu'au 30 avril), comment vivez-vous ce retour sur la glace ?
Je suis super heureuse de retrouver le public, surtout que je reviens avec deux numéros inédits sur mon histoire. C'est très subjectif mais c'est le corps qui parlait en premier à 15 ans et c'est le corps qui va parler aujourd'hui à 47 ans. C'est magnifique que Holiday On Ice soutient ce combat contre les violences faites aux enfants. Je leur ai dit : "Voilà les deux numéros que j'ai, voilà ce que je veux faire et je veux revenir sur la glace plus forte que jamais, conquérante". Et ils ont accepté, je suis très heureuse.
Il y aura beaucoup d'émotion, ces programmes sont très difficiles à faire, aussi bien physiquement que psychologiquement. Ça va être très fort, très puissant. Mais le patinage artistique, c'est ma passion depuis l'âge de 5 ans, j'adore patiner. Aujourd'hui, retourner sur la glace avec ces numéros me rend vraiment très heureuse. J'ai hâte !
Appréhendez-vous le fait d'aborder des thèmes si personnels sur la glace ?
J'appréhende, oui. Mais c'est vraiment interprété et monté de façon subjective. La musique est très forte et puissante, elle a été composée par Maxime Rodriguez et adaptée à ma chorégraphie. Les paroles de la première chanson aussi ont été faites par rapport à mon histoire. Grâce à mon livre, ils l'ont décortiqué pour avoir un texte qui retrace ma carrière. Et en deuxième partie, c'est la chanson de Lara Fabian, Relève toi. Parce que je me suis relevée et que je vais mieux. Pour montrer à tout le monde un message d'espoir et leur dire qu'on s'en sortira.
J'ai hâte d'avoir la réaction du public. Un artiste c'est ce qu'il veut. Ça fait un an et demi que je travaille sur ces deux programmes et j'ai hâte de voir s'ils sont à la hauteur de toutes mes espérances.
Après Holiday on Ice, avez-vous d'autres projets ?
Je continue les conférences avec mon association, je vais aller sur le terrain : dans les institutions sportives, dans les patinoires, les gymnases … Pour continuer à sensibiliser avec le support de l'exposition Cri d'alerte. Pour le moment je suis obligée de rester concentrée sur Holiday On Ice, physiquement et psychologiquement. Alors je dois parfois mettre ma directrice de "La voix de Sarah" sur des conférences, parce que je ne peux pas être partout. Mais j'essaie de faire des visios. Le planning est bien rempli avec mon association. Puis j'espère faire d'autres spectacles. Pour Holiday on Ice, c'est deux numéros seulement. Je prépare aussi un spectacle d'une heure et demi que j'aimerais tourner dès l'année prochaine. Dès l'hiver prochain, ce serait super.
Interview exclusive ne pouvant être reprise sans la mention du Journal des Femmes.