Seule dans la rue en couvre-feu ou confinement : l'angoisse

Peur au ventre, filature, menaces ou encore insultes sexistes… Les femmes se sentent moins en sécurité lorsqu'elles sortent de chez elles en période de confinement ou de restrictions. Plusieurs cas d'agressions sexuelles ont d'ailleurs été répertoriés par la police.

Seule dans la rue en couvre-feu ou confinement : l'angoisse
© SEBASTIEN SALOM GOMIS/SIPA

Le harcèlement de rue, lui, n'est pas confiné. C'est une réalité qui se rappelle crûment à l'esprit des femmes lorsqu'elles sortent de chez elles à l'heure où les rues sont désertes. "Je me souviens d'une fois où j'étais seule dans une rame et à chaque station, je priais pour que personne ne rentre dans la mienne, se souvient pour Néon Cécilia, 19 ans, en stage de 19h à 22h. Il n'y a personne donc si un mec chelou entre dans le métro, c'est la fin".

Une angoisse qui monte

En tout, 86 % des femmes révèlent avoir été victime d'une forme d'agression sexuelle au cours de leur vie, selon une étude IFOP datant de 2018. Au programme ? Sifflements (66 %), remarques et insultes sexistes (39 %), ou encore attouchements (31 %).

Et Safiatou Mendy, chargée de prévention au sein de l'association féministe En Avant toute(s), de commenter auprès de nos confrères: "Le couvre-feu et le confinement mettent les femmes dans une situation d'insécurité encore plus grande".

Désertées de ses passants – et donc de potentiels témoins, les rues deviennent plus inquiétantes pour les femmes qui s'y déplacent seules. Les raisons de sortir sont pourtant nombreuses: se rendre au bureau, aller chercher ses enfants à l'école, faire du sport ou simplement prendre l'air."

Au début du confinement, un homme m'a suivie pendant dix minutes, se remémore Apollonie, une jeune femme de 26 ans qui se rendait alors au travail. Une fois arrivée à destination, je me suis retournée et je lui ai dit de dégager. Il a lâché, mais j'ai eu peur".

Une histoire qui fait écho à celle vécue par Sandrine*, 26 ans, lors du premier confinement dans le 18e arrondissement de Paris. "Il était 23h. Un homme arrive derrière moi et me tapote l'épaule. Je l'avais déjà aperçu 300 mètres plus haut. Il n'était pas agressif, mais la démarche était tellement étrange que ça m'a fait peur". Elle ajoute: "Je me suis posée beaucoup de questions: " Qu'est-ce qu'il va me faire ? Pourquoi est-ce qu'il est resté derrière moi durant 300 mètres ? "

Un sentiment d'impunité

Un événement qui n'a rien d'étonnant, à en croire les propos tenus par Safiatou Mendy: "Le sentiment d'impunité est encore plus grand, les harceleurs ont l'impression d'être les rois du monde".

Elle ajoute: "Ils vont avoir tendance à adopter des comportements plus agressifs et désobligeants, en considérant encore plus que le corps de la femme dans l'espace public est à disposition des regards, commentaires et attouchements."

Une analyse partagée par l'anthropologue Chris Blache qui estime pour l'AFP que la période de confinement est "un précipité de ce qu'on connaît d'habitude".

"Quand on vide l'espace public, des principes mécaniques reviennent: les propriétaires de ces espaces expérimentent leur droit à la propriété", ajoute la cofondatrice de la plateforme d'innovation Genre et ville qui précise qu'il est plus facile pour les harceleurs de "jouer au chat et à la souris" dans les espaces vidés de ses passants. "Il n'y avait personne dans les petites rues que j'empruntais", atteste Apollonie.

Réflexes, stratagèmes et systèmes D

Face à cette angoisse omniprésente, les femmes adoptent des réflexes de survie. "À cette période-là, j'étais plus vigilante, confirme Sandrine. J'ai senti les hommes plus entreprenants".

Interrogée par l'AFP en mai, Daniella Corallo-Martin s'est confiée sur son quotidien pas si tranquille. Contrainte de prendre chaque jour les transports en Ile-de-France, celle qui évoque "une peur" qu'elle ressent "normalement la nuit" a mis au point des stratagèmes pour se sentir plus en sécurité.

"Sur le quai du métro je me mets toujours à côté de quelqu'un, je ne monte jamais dans une rame quasi-vide et je ne mets pas de musique dans mes écouteurs". Daniella, qui confie se faire accoster à chaque trajet, ajoute: "C'est un décor très particulier, des zonards, des fous, des personnes qui sont normalement noyées dans le flot".

Fin avril, deux enquêtes distinctes pour viol avaient été confiées aux enquêteurs du service départemental de la police judiciaire (SDPJ) de Seine-Saint-Denis.

En cause ? Deux agressions sexuelles qui se seraient produites à moins de 24h d'écart dans un parc d'Aulnay-sous-Bois et dans une rue de Montreuil. Les victimes étaient âgées de 45 et 20 ans. La première, qui se promenait dans un parc fermé aux alentours de 21h, aurait été frappée puis aurait perdu connaissance pendant qu'on abusait d'elle. La seconde, originaire du Val-d'Oise, aurait été agressée en pleine rue aux alentours de 22h par deux individus, dont un qui l'aurait violée.

Un enchaînement d'événements qui donne envie de rester chez soi. Mais, cette fois, pas pour les bonnes raisons.