Prostitution dans le 93 : des milliers d'ados de moins de 15 ans violentées

Entre 5000 et 8000 mineures se prostitueraient en France, dont un tiers serait âgé de moins de 15 ans. Environ 89% d'entre elles ont été victimes de violences au sein de leur foyer, révèle une enquête de l'Observatoire des violences faites aux femmes. Comment protéger les travailleurs du sexe d'éventuels abus ? Selon Slate, pénaliser le client ne serait pas la solution et la loi prostitution de 2016, qui allait dans ce sens, aurait davantage fragilisé les prostituées.

Prostitution dans le 93 : des milliers d'ados de moins de 15 ans violentées
© Anton Estrada / 123RF

Parmi les 5000 et 8000 mineures qui se prostitueraient en France, un tiers aurait moins de 15 ans : ce sont les conclusions accablantes d'une étude menée en Seine-Saint-Denis par l'Observatoire des violences faites aux femmes et publiée le 12 novembre. Autres révélations significatives : la plupart d'entre elles auraient subi des violences en grandissant, ont été en échec scolaire et sont déscolarisées. Pour parvenir à ces conclusions, l'Observatoire des violences faites aux femmes a eu accès à 19 dossiers de juges pour enfants du tribunal de Bobigny et analysé plus de 40 signalements de la protection de l'enfance.
Ces mineures, dont seulement 3 étaient des garçons, sont âgées de 6 à 17 ans. "Le parcours de vie de ces filles est marqué par la violence", explique Ernestine Ronai, responsable de l'Observatoire départemental de Seine-Saint-Denis des violences envers les femmes. 

Prostitution des mineures : violences, fugues et recrutement

Pour preuve : 61 % d'entre elles ont vu leur mère victime de violences conjugales et 89 % ont elles-mêmes été victimes de violences, souvent commises au sein de leur propre foyer. Les conséquences de ces maltraitances sont souvent catastrophiques : le parcours de ces mineures est alors pavé de fugues qui sont associées à "un mauvais rapport à l'institution scolaire" et peuvent entraîner "une déscolarisation". Par ailleurs, 72% des cas de violences rapportées aux autorités n'ont pas fait l'objet de suites judiciaires. 

L'enquête montre également le nouveau rôle des réseaux sociaux en tant qu'outil de travail pour ces prostituées mineures. Ils représentent désormais 50% "des lieux d'approche des clients de prostitution". Ainsi, dans le rapport, une assistante sociale a expliqué qu'une adolescente avait déjà été contactée 900 fois par de potentiels clients… en une seule journée.

Certaines mineures vont même jusqu'à persuader certaines de leurs amies à se prostituer également et seraient payées en moyenne 350 euros par nouvelle recrue. Stéphane Troussel, président PS du Conseil départemental, exhorte d'intégrer ce fléau aux débats du Grenelle des violences conjugales, qui doit prendre fin le 25 novembre. 

La loi prostitution, efficace ?

Cette enquête fait des remous alors qu'une étude destinée à évaluer les conséquences de la loi prostitution, adoptée en 2016, a été dévoilée il y a quelques semaines. En effet, depuis la mise en place de cette législation, le délit de racolage a été abrogé et remplacé par une verbalisation des clients. Un "parcours de sortie" de la prostitution a également été mis en place et offre à des anciens travailleurs du sexe un logement social ou une place en foyer, une allocation pendant 3 ans ou encore une aide médicale et psychologique. Un dispositif efficace ou vain ? 

Concrètement, une enquête a été menée par la fondation Scelles à Paris, Bordeaux, Narbonne et Strasbourg, quatre villes-test, pour prendre la température. "La loi est diversement appliquée selon les villes étudiées", expliquent d'abord les sociologues Jean-Philippe Guillemet et Hélène Pohu, avant de préciser que c'est à Paris que la loi est appliquée le plus fidèlement. Et de tempérer : "On ne peut pas dire que la loi a produit des effets mesurables. (…) C'est une loi complexe, il faut lui donner sa chance et du temps."

Les prostituées, fragilisées par la loi ?

Donner sa chance à la loi, c'est la dernière chose que préconisent les activistes Junno Mac et Molly Smith dans leur ouvrage La Révolte des Prostituées, comme nous le rappelle Slate. Selon les auteures, le fait d'encourager la verbalisation ou toute forme de pénalisation des clients serait non seulement contre-productif, mais potentiellement dangereux pour les travailleurs du sexe.

Ainsi, ces derniers continueraient tant bien que mal à exercer leur métier, ayant désespérément besoin d'argent, tandis que les clients seraient de moins en moins nombreux, découragés par la possibilité de se faire arrêter. Conséquences ? Les prostituées ne pourraient plus choisir leurs clients. "La travailleuse du sexe est plus pauvre, donc elle subit plus de pression d'accepter un client qu'elle aurait sinon rejeté; elle travaille plus tard et seule; les clients les plus sympas ne viennent pas tandis que les clients les plus impulsifs ou imprévisibles restent; et elle a moins de temps pour les évaluer", lit-on. De plus, face à la baisse de la demande, le client serait en mesure d'imposer son prix, un phénomène causant davantage de précarité pour les travailleurs du sexe.

Par ailleurs, Slate rappelle que l'abrogation du délit de racolage et l'objectif de dépénalisation des travailleurs du sexe n'a pas empêché la ville de Toulouse de verbaliser 28 prostituées, dans la nuit du 24 au 25 octobre, lors d'une "opération coup de poing". La loi française ne parviendrait donc pas à protéger les travailleurs du sexe, au contraire. 

Pays-Bas : vers une réglementation de la profession

Aux Pays-Bas, où la prostitution est légale, le désir de protéger les travailleurs du sexe pousse les législateurs à réfléchir à une autre forme de pénalisation des clients. Alors que la question de la fin des vitrines du Quartier Rouge à Amsterdam se pose, un projet de loi a été initié par le ministère de la Justice et préconise de limiter les abus et la prostitution des mineurs en réglementant la profession.

Ainsi, les prostituées devront posséder un permis et être âgées d'au moins 21 ans pour exercer ce métier. Elles devront également disposer d'un téléphone à tout instant afin de pouvoir signaler d'éventuels débordements. Est-ce là la solution pour (enfin) protéger les travailleurs du sexe ? La panacée n'a pas encore été dénichée.