Adolescence et sexualité : quel rôle pour les parents ?

 Dans le film Trust, une adolescente de 14 ans a un rapport "consenti" avec un adulte de 40 ans qu'elle a rencontré sur Internet. Ses parents sont peu à peu informés par la police de tous les messages qu'elle a pu envoyer, de son ressenti, de ses pratiques de "flirt" au collège, ce qui entraîne incompréhension, disputes, conflit et même tentative de suicide de la victime, qui se sent jugée par son père et rejetée par ses camarades de classe.  

Selon vous, quelle attitude doivent adopter les parents face aux premiers émois amoureux de leurs enfants ?
Les premiers émois amoureux constituent un moment important dans la vie de chacun. La découverte d'une nouvelle dimension du rapport à l'autre, et bien sûr à soi. Ils coïncident généralement avec l'entrée dans l'adolescence et le chamboulement physique, affectif, émotionnel, pulsionnel qu'elle implique. Le jeune se décentre du milieu familial et s'engage ailleurs. C'est la raison pour laquelle les parents ne doivent être ni inquisiteurs ni intrusifs, ce qui aurait pour effet de favoriser les oppositions, les blocages ou les révoltes et le lot de mensonges, d'agressivité ou de violences qui vont avec. Les parents doivent être simplement vigilants, aux premières relations amoureuses comme ils l'ont été et doivent continuer de l'être par rapport aux fréquentions en général. Tout en respectant l'intimité de leur enfant, ils doivent rester attentifs, particulièrement à des changements dans la manière d'être, des petits riens qui sont souvent révélateurs de troubles, de souffrance, d'incertitude ou de tristesse par exemple. C'est évidemment une position délicate. L'important avec un adolescent est de ne pas rompre le dialogue. Encore faut-il qu'il ait pu s'installer un jour. L'adolescent doit savoir qu'il peut compter sur ses parents, qu'il peut avoir confiance en eux. Et cette confiance doit avoir été établie dans l'enfance bien sûr.

Peut-on "éduquer" à la sexualité ?
L'éducation à la sexualité est un problème qui se pose depuis longtemps et qui n'est toujours pas résolu. Il y a un gouffre entre le silence sévère du début de 20ème siècle au début des années 60 et le déballage vulgaire de notre époque, où beaucoup d'adolescents et même de préadolescents "s'éduquent" eux-mêmes en regardant des émissions de téléréalité, rêvant même d'y participer et parfois en ayant accès à la pornographie. Ainsi on a commencé à parler d'éducation à la sexualité parce que les jeunes n'étaient pas informés ; aujourd'hui l'éducation à la sexualité s'impose parce que les jeunes sont trop et très mal informés. C'est la raison pour laquelle les adultes doivent être d'autant plus vigilants et tenir un discours "vrai" aux enfants et adolescents. Le rôle des parents est important, celui des enseignants aussi, et à divers niveaux. Il existe ainsi, dans certains pays (comme le Canada par exemple), des programmes de prévention contre les agressions sexuelles qui sont appliqués en milieu scolaire afin non seulement d'apprendre à respecter l'autre et le corps de l'autre mais aussi apprendre à éviter d'être victime d'agressions sexuelles (à partir de quoi réagir, comment réagir etc.). Ce travail de prévention est d'autant plus important que la sollicitation sexuelle, aujourd'hui, peut être permanente et s'adresse à des jeunes qui ne sont pas assez mûrs pour faire la part des choses.

Comment parer au besoin de transgression des adolescents ?
Le désir de transgression fait partie du développement normal de l'individu. C'est une façon de reconnaître les limites, de les tester, de les éprouver. Déjà dés 3 ans le petit enfant s'y exerce. A l'adolescence, le besoin de se détacher des images parentales contribue à une remise en cause, plus ou moins totale, des valeurs et des règles. C'est un passage difficile mais presque obligé. Là encore le bon sens doit primer : il est des transgressions plus graves que d'autres, mais chaque transgression ne doit pas être banalisée, elle doit donner lieu à une réaction adaptée des adultes. 

Comment les aider à prendre leurs distances avec les messages érotiques véhiculés par les médias ?
Il y a une sorte d'envahissement de messages plus ou moins érotiques ou pornographiques dans notre société. C'est la raison pour laquelle il est important de ne pas laisser les préadolescents et les adolescents seuls face à ce type de sollicitation. Là encore le rôle des adultes est primordial et doit s'exercer non à travers un discours rigide et interdicteur mais à travers un véritable dialogue. Le silence, l'évitement sont aussi à bannir. Il est important que le jeune puisse faire la part du côté mercantile de la sexualité, véhiculé par la pornographie qui utilise le public en manipulant ses fantasmes et le libre exercice de la vie sexuelle et amoureuse. 

 Dans quelle mesure laisser ses enfants"communiquer" avec l'extérieur (connexion Internet, ordinateur ou téléviseur dans la chambre, téléphone portable, sorties entre amis...)
En résumé, on pourrait dire que les adultes, parents, éducateurs au sens large du terme, ont fort à faire pour contrebalancer l'impact de l'irruption de la pornographie et de la perversion (c'est le cas de la pédophilie telle qu'elle est présentée dans le film Trust, justement). Peut-être en premier lieu est-il important de ne pas laisser son enfant seul des heures entières devant la télévision ou l'ordinateur, d'être présent et disponible autant que possible, d'avoir de vraies discussions familiales, de vrais échanges, de savoir aussi poser des règles, savoir interdire et expliquer pourquoi. Faire comprendre à l'enfant qu'on veut le protéger parce qu'on l'aime et qu'on veut lui éviter des déconvenues et des souffrances. Les enfants ont besoin de se sentir bien entourés, bien "contenus". S'ils se sentent aimés, ils sauront se respecter et respecter les autres et ne considèreront pas leur corps comme un objet ou une monnaie d'échange, comme le fait par exemple une adolescente dans le film Polisse, prête à tout pour récupérer son portable...

Jacqueline Finkelstein-Rossi

Maître de conférences en psychologie clinique et psychopathologie à l'Université de Picardie Jules Verne, mère de deux enfants, elle est l'auteure de nombreux articles scientifiques et d'un livre sur la violence.
Laboratoire : Cognition, Langage, Emotion, Acquisition (CLEA).
Thèmes de recherche : Adolescence et délinquance. Habiletés sociales et rôle des émotions dans les comportements antisociaux. Rôle de l'environnement familial et trajectoires interculturelles. Psychopathie. Etats limites. Personnalités narcissiques.