Céline Tran (ex-Katsuni) : "Le porno a été un chemin initiatique"

Céline Tran, connue sous le pseudo de Katsuni, retrace ses 13 ans de carrière pornographique dans son autobiographie "Ne dis pas que tu aimes ça". L'ex-hardeuse nous a a raconté sans tabou son parcours, son évolution et sa reconversion en coach sexuelle, tout en abordant le féminisme, les inégalités et les relations amoureuses dans le milieu du X. Interview fleuve.

Céline Tran (ex-Katsuni) : "Le porno a été un chemin initiatique"

Du porno au nirvana. C'est la pensée qui m'est venue après avoir passé une heure enrichissante à discuter avec Céline Tran de son parcours dans le X, ce chemin initiatique qui semble l'avoir amenée vers l'apaisement, voire l'ataraxie. Katsuni n'est plus, vive Céline Tran ! Parce qu'elle est désormais parvenue à allier corps et esprit, elle se met au service des autres pour les inviter eux-aussi à trouver la paix en proposant des massages, des séances d'hypnose et du coaching sexuel (entre deux visionnages de films de zombies), quand elle ne revêt pas sa casquette de directrice de collection pour les éditions Glénat. Confidences recueillies autour d'un Perrier-citron.

Le Journal des Femmes : Pourquoi avez-vous souhaité publier cette autobiographie ?
Céline Tran :
L'envie d'écrire un livre est là depuis que je suis petite. Etudiante, je rêvais de devenir écrivain, mais je n'avais rien à raconter ! Je me suis dit que le jour où j'aurais quelque chose à transmettre, je raconterais mon histoire, et pour cela il fallait avant tout vivre mes expériences. J'ai tenu ma promesse. Il fallait d'abord que je vive pleinement le métier d'actrice X sans jugement et que je prenne ensuite du recul. Le fait de publier est un acte de partage. Si j'avais voulu faire un produit purement commercial, je l'aurais fait écrire par quelqu'un d'autre ou je l'aurais sorti plus tôt. Ce n'est pas une success story mais un récit initiatique et intime.

Si vous aviez écrit ce livre avant, auriez-vous revendiqué les mêmes choses ?
Céline Tran : Je ne revendique rien en fait. Mon discours a toujours été le même : j'ai choisi le porno parce que j'aimais ça. Ça ne veut pas dire que j'ai pris mon pied à chaque fois, mais ça a toujours été mon choix et les moments difficiles en font partie. Choisir quelque chose uniquement pour le meilleur est complètement idéaliste. Les moments douloureux et les erreurs enseignent leurs leçons. Si je l'avais écrit avant, j'aurais probablement manqué de recul.

Quand vous faisiez du X, que répondiez-vous aux gens qui vous demandaient ce que vous faisiez dans la vie ?
Céline Tran : Il m'est arrivé de m'inventer des métiers pour m'amuser ou tout simplement pour éviter d'attirer l'attention. Ca dépendait de mon humeur et des circonstances. Quand les gens avaient un doute, je les laissais chercher : soudain ils devenaient écarlates en se souvenant  où ils m'avaient vue. Quand la personne, peu importe son genre, fait la connexion entre ses souvenirs et moi, cela créé un sourire de connivence, comme si on avait passé du temps ensemble ! C'est mignon. Mon livre s'appelle Ne dis pas que tu aimes ça, car il concerne aussi le spectateur de films X. Là aussi il y a un rapport à la pudeur et à l'intime.

Vous considérez-vous comme féministe ?
Céline Tran : Le terme "féministe" me fait grimacer : il est utilisé à tort et à travers, sa définition n'est pas claire, elle suffit à créer la polémique. Je ne me considère pas comme féministe, je suis pour tous les humains.  Mais j'entends souvent dire que mon livre est perçu comme tel car il parle d'identité, de liberté, de sexualité, et par conséquent la définition de la féminité y est abordée. Ce qui m'intéresse n'est pas le constat de ce qui nous rend faibles, mais la prise de conscience de ce qui nous rend forts.

Le porno est un secteur où les inégalités sont plus visibles. C'est ambivalent : les femmes sont mieux payées que les hommes. A contrario, elles sont considérées comme "femmes-objets", mais on leur refuse des scènes avec plusieurs hommes.
Céline Tran : On m'a en effet déconseillé, dans le milieu du X, de faire des scènes où j'aurais trop de partenaires masculins (rires). Ça m'a toujours fait sourire : il y aurait donc un nombre politiquement correct ! Si un homme se met en scène avec une dizaine de femmes, on le verra comme un pacha dans son harem. Une femme sera perçue comme une traînée qui ne se respecte pas, qui est manipulée ou jetée en pâture aux mâles. Je ne fais pas allusion aux tournantes ou aux formes de viol, ni aux scènes qui peuvent être violentes, mais de la pratique en elle-même surtout, de l'intention qui la porte. Pour moi, la sexualité devrait être synonyme de plaisir et d'épanouissement. De partage. C'est une histoire de choix et de conditions. A chacun et chacune de trouver la sexualité qui lui convient. Mais restons lucides : dans le jeu du désir, chacun est objet ! Et il n'y a rien de dégradant là-dedans. Quant aux hardeurs, ils sont eux-aussi des objets sexuels, puisque c'est quasi exclusivement leur sexe qui est montré !

L'actrice a t-elle véritablement le droit de dire non ?
Céline Tran :
Bien sûr, mais comme dans tout métier, il faut parvenir à être suffisamment fort et clair pour à la fois s'adapter à un marché, faire sa place, et se faire respecter. C'est une problématique qui touche n'importe quel corps de métier ! Mais elle interpelle davantage par rapport à ce milieu puisqu'on y parle de sexualité. Il y a des abus partout et il ne faut pas forcément compter sur les réalisateurs ou producteurs pour avoir de l'empathie, ils font leur boulot et attendent des acteurs et actrices qu'ils fassent le leur. La première protection, c'est de connaître soi-même ses propres limites. Reste ensuite à les faire entendre. L'éducation des filles prime, car il est primordial qu'elles aient cette confiance pour s'affirmer et ne pas être victimes des abus sexistes lorsqu'elles seront adultes. Cela passe par la prise de conscience de son corps, de celle de la nécessité de s'exprimer, de choisir.

Avez-vous été confrontée à des formes d'abus dans le X ?
Céline Tran : J'ai vu des filles qui ne savaient pas dire non, mais je ne les ai pas vues se faire menacer. Les contrats oui, sont souvent abusifs en revanche, concernant les cessions de droits à l'image. Ce que je retiens, et ce que j'ai toujours apprécié dans ce milieu, c'est que c'est hyper clair. Les gens ne sont pas frustrés car tout le monde a des rapports sexuels. Les réalisateurs sont des hardeurs ou sortent avec des actrices. On s'amuse beaucoup sur les tournages. J'ai vu des gens se détruire, hommes comme femmes, acteurs ou producteurs, mais ils étaient déjà arrivés fissurés. Faire du porno n'arrange pas les choses.

Je n'ai jamais pris de drogues, j'ai essayé plus jeune, quand j'étais à Sciences Po, pas pendant ma carrière et ça m'a vite rebutée ! J'avais ma conscience professionnelle très forte. Mon corps était mon outil de travail, il fallait que j'en prenne soin., donc avoir une bonne hygiène de vie et être sérieuse m'ont toujours importé. C'est trop facile d'accuser l'industrie. Il faut dénoncer les abus et les violences, mais pour changer un milieu, il faut commencer par soi et montrer l'exemple.

Finalement, votre carrière dans le X a été un outil introspectif pour parvenir à vous aimer.
Céline Tran : Je l'ai en effet perçu comme un chemin initiatique et je l'ai compris mes leçons par l'expérimentation et la prise de recul. C'était ma conquête du corps. comme si ma puberté avait duré 13 ans ! Quand j'étais gamine, j'avais l'impression d'être un alien né dans un corps d'humain (rires). Faire du strip-tease puis du X a été une manière de l'apprivoiser et l'aimer. Ce qui n'est pas la meilleure des manières, il y en a des plus rapides et des plus saines (rires). Le sport est venu plus tard et a été une super école pour apprendre à l'écouter, continuer à le pousser dans la notion de performance, toujours avec du plaisir et une volonté de s'épanouir. Si aujourd'hui je fais des massages et du yoga, c'est dans cette dynamique-là. Quand on fait du porno, de la même manière que lorsqu'on est comédien, on a la sensation d'être fort parce qu'on construit un personnage que les gens vont désirer et on se sent aimé à travers ça. C'est une illusion. Dès qu'on compte sur notre image pour se rassurer, on en devient esclave. L'image est malléable, elle vieillit, elle est manipulée par les autres, on ne la contrôle pas. Le vrai déclic a été de tomber amoureuse et de retrouver la foi : c'est ainsi que j'ai retrouvé les notions d'intimité et de confiance. Ce n'est pas le porno en lui-même qui m'a permi de m'aimer, mais il a été un chemin parsemé de déclics et de prises de conscience.

Vous écrivez : "Baiser, faire l'amour, quelle différence ?" Comment fait-on le distinguo entre vie privée et pro quand on est en couple avec un hardeur ?
Céline Tran : Au moment où j'écris cette phrase , c'est totalement cynique. Je souffre alors du fait que je rêve de faire l'amour à l'homme que j'aime car tout à coup ma sexualité a pris du sens, elle signifie quelque chose, elle témoigne de nos sentiments mêlés au désir. Mais pour lui qui est hardeur et dans un état émotionnel différent, la perception de l'acte est elle aussi différente. Il donne tout à toutes…Il ne s'agit pas de faire une hiérarchie des pratiques" romantiques" ou hards. Faire l'amour est un acte fusionnel et intime. Baiser est un acte de plaisir pulsionnel beaucoup plus tourné vers la satisfaction d'une pulsion. Ce n'est pas une histoire de performance, mais d'intention.

Comment gère-t-on sa relation quand on évolue dans le porno ?
Céline Tran : Pour certains, les choses se font plutôt spontanément. Certains pratiquent par exemple l'échangisme, ou parviennent vraiment à faire la part des choses, mais de mon côté, ça a rarement été simple.Il y a forcément à un moment donné de la culpabilité, de la jalousie. Je pense que c'est un métier de célibataire mais pas très sain dans le cadre d'une relation. Et en même temps…. Tout est possible !

Après un tournage, comment on fait, sexuellement parlant ?
Céline Tran : Ça dépend de la relation qu'on a avec son partenaire. Quand on tourne, ça compte pour du beurre. (rires) Avec des copines hardeuses, on disait parfois : "J'ai pas baisé depuis 3 semaines !", alors qu'on tournait tous les jours. Le corps exécute une performance sexuelle, mais il n'y a pas de réel moment d'intimité. En revanche, c'est une activité qui puise beaucoup d'énergie. Pour ma part, lorsque j'étais amoureuse, tourner tous les jours ne diminuait en rien mon appétit sexuel pour mon petit-ami. En revanche, il est arrivé que mon corps, lui sature, et que j'aie besoin de prendre des jours de repos.

Comment en prend-on soin quand on est hardeuse ?
Céline Tran : Pour ma part, j'ai toujours comparé le métier de hardeuse à celui de sportive : je dormais beaucoup, je réglais mes repas en fonction de mes scènes sortais peu. C'était routinier. Quand j'ai arrêté, retrouver des sensations naturelles m'a fait beaucoup de bien. J'étais 100 fois plus sensible. Quand je flirtais avec des mecs "normaux", juste une main sur la mienne ou un frôlement d'épaule prenait une dimension folle. Il y avait la notion de doute, d'improvisation, sans caméra. Psychologiquement, c'était super excitant. J'ai 100 fois plus de sensations quand on m'embrasse dans la nuque que quand on me tire par les cheveux, même si je peux aimer si c'est bien amené. Le problème du X est que c'est focalisé sur ce qu'on voit car c'est un produit de consommation visuel, alors qu'un rapport sexuel est basé sur la sensation.

Avez-vous ressenti de la jalousie de la part d'autres femmes du milieu ?
Céline Tran : Oui, il y a des personnes qui ont voulu me nuire, notamment quand je recevais des récompenses par l'industrie du X. Je suis plutôt solitaire donc je m'en suis préservée et je n'aime pas dépenser mon énergie pour des personnes qui cherchent à polluer ma vie.

Avez-vous eu des cyber-harceleurs comme l'actrice Nikita Bellucci ?
Céline Tran : Non. Il y a des messages des quelques mecs dérangés qui atterrissent directement dans mes spams mais je n'ai jamais eu de menaces physiques, même dans la rue. C'est même plutôt l'inverse. Je suis moi-même étonnée de l'attitude des gens, parce qu'ils sont vraiment cools, et je reçois chaque jour des messages de remerciement et d'encouragement. Bien entendu, avoir arrêté et changé d'activité a changé mon rapport au monde, et être travailleuse du sexe, de manière générale, attire souvent des commentaires ou propositions irrespectueux. Certains ne font pas la part des choses.

Vous avez eu de la chance d'avoir de la bienveillance dans votre carrière. Récemment, l'actrice Stoya a accusé son ex, l'acteur James Deen, de l'avoir violée.
Céline Tran : Je n'ai pas rencontré que de la bienveillance, mais j'ai fait en sorte de travailler avec les personnes avec qui je me sentais à l'aise. Je ne prends pas parti dans ce genre d'affaire. Je ne sais pas, je n'étais pas présente, je n'ai aucun droit de juger l'un ou l'autre, seulement avoir une supposition qui ne regarde que moi. Pour ma part, cet acteur a toujours été adorable avec moi. S'il y a des jeux qui peuvent en effet déraper sur certains tournages, ils peuvent blesser des femmes mais aussi des hommes. De manière générale, je suis fatiguée de cette image de violeur en puissance que l'on veut donner aux hardeurs.

Est-ce que le porno ne serait pas un miroir de la société ?
Céline Tran : Il y a des cycles, mais le porno est une belle loupe grossissante des moeurs d'une société. A travers ce que consomment les gens, on peut se rendre compte de leurs fantasmes, de leurs tabous, et ça dit beaucoup de l'aspect transgressif. On va être excité par ce qui est a priori interdit. Ou on va être fasciné par ce qui se passe soi-disant chez le voisin, ce qui explique pourquoi Jacquie et Michel cartonnent. Il y a une vraie étude sociologique à faire sur le X. Ce sont les pays qui subissent le plus de censure qui en consomment le plus !

Comment voyez-vous votre futur professionnel ?
Céline Tran : Lumineux ! L'écriture y tient une place prédominante, parallèlement à mon exploration qui se poursuit autour du corps et du bien-être… Je suis certifiée en massages bien-être, en yoga. Je pratique aussi les arts martiaux et me forme en tant que praticienne en hypnose. Je veux rassembler tout ça, allier corps et esprit, et transmettre ce qui m'a aidée à m'épanouir.  Tout mon passé a été un cheminement. c'est pour ça que l'évoquer ne me dérange pas. C'est ma richesse et c'est ce qui me permet de faire ce que je fais aujourd'hui. Finalement, tout commence maintenant !

Vous êtes désormais co-directrice de a collection BD Porn'Pop pour les éditions Glénat, lancée en septembre 2018.
Céline Tran : Ça s'est fait spontanément. J'avais écrit deux scénarios de BD pour Ankama et de fil en aiguille j'ai rencontré des personnes chez Glénat avec qui il y a eu un bon feeling. Ils m'ont proposé de gérer cette collection dédiée au sexe.L'idée n'est pas de transposer le porno en BD, mais de traiter de la sexualité à travers des fictions ou des guides, de montrer du contenu explicite qui puisse être fun, décomplexé. Tout est possible !

En parallèle, vous avez votre blog et vous êtes désormais coach en sexualité.
Céline Tran : J'ai tenu un temps,  un "courrier des lecteurs" sur mon blog, mais c'était chronophage. J'ai donc opté pour une méthode professionnelle. Je réponds désormais à distance ou en cabinet, sur Paris. Il y a d'autres questions qui concernent la pratique sexuelle en elle-même, sur un plan "technique", mais la dimension relationnelle et le rapport au corps sont essentiels. Si on ne s'aime pas soi, que l'on porte en nous trop de blocages, il y a peu de chances de pouvoir rencontrer l'autre pleinement. La confiance, la communication, l'envie d'avoir du plaisir et de partager sont à la base d'un rapport. La sexualité est un langage intime. Il n'est pas question pour moi d'imposer des pratiques mais de guider, proposer, encourager. Je ne prétends pas guérir ou sauver, mais si à mon échelle je peux contribuer à un meilleur être pour quelqu'un et son couple, ça me va ! Les techniques d'hypnose pourront par la suite participer à mes séances, les résultats sont édifiants. Nous portons tous en nous nos solutions.

Pour plus d'informations sur les massages et conseils dispensés par Céline Tran, rendez-vous sur son blog www.maviedeninja.com.

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© Fayard

Ne dis pas que tu aimes ça de Céline Tran (Fayard), 18 euros.