ROUGE : 3 bonnes raisons d'applaudir ce thriller écolo

En salles le 11 août, "Rouge" est la seconde réalisation du cinéaste franco-algérien Farid Bentoumi. Labellisé Cannes 2020, cet opus très abouti, comme on en fait rarement dans le paysage cinématographique français, nous plonge au cœur d'une intrigue qui conjugue thriller écologique et drame social.

ROUGE : 3 bonnes raisons d'applaudir ce thriller écolo
© Ad Vitam

Rouge, un ovni en France

D'ordinaire, c'est un sillon dans lequel ne s'engouffre (quasiment) aucun cinéaste hexagonal. Si les documentaires faisant de la question écologique leur sujet central fleurissent tout au long de l'année, le thriller vert est en effet une denrée bien plus rare dans notre paysage cinématographique. Tout juste peut-on citer Petit Paysan et ses contours pouvant, dans l'atmosphère qu'ils exhalent, faire songer au genre. Rouge, le second long-métrage du cinéaste franco-algérien Farid Bentoumi, vient enfin bousculer la donne en plaçant ses pas sur ceux de Dark Waters (Todd Haynes), Erin Brockovich (Steven Soderbergh), Night Moves (Kelly Reichardt) ou Promised Land (Gus Van Sant); toutes ses œuvres américaines qui partent d'un terreau réaliste pour lui administrer une dimension fictionnelle emballante.
Son point de départ ? L'arrivée de la jeune Nour dans l'usine chimique qui emploie son père, figure emblématique des lieux et délégué syndical. Rapidement après sa prise de fonction, l'héroïne perce de sombres secrets concernant l'établissement, et notamment sur ses rejets polluants. Un dilemme l'assaille : faut-il se taire ou, au risque de trahir son père, éventrer une intolérable omerta ?

Farid Bentoumi : un redoutable sens du suspense

Aux origines, il y a un récit très personnel pour le réalisateur Farid Bentoumi, lequel a vécu dans le milieu ouvrier, menant des grèves et des blocages d'usines aux côtés de son père, délégué syndical et de sa mère, syndicaliste dans l'enseignement. Au-delà cette trajectoire intime, il s'est par ailleurs inspiré d'une usine de Gardanne qui rejetait des déchets toxiques sous forme de boue rouge en pleine Méditerranée.
C'est ce carrefour entre le vécu et les multiples observations qui a donné vie et corps à un film jonglant habilement entre le drame social et le thriller pur. Car de suspense, il en est constamment question dans cette œuvre concise et maîtrisée qui s'appuie sur un savant dosage de réalisme -l'approche est presque documentaire- et de fictionnalisation. La tension prend précisément sa source dans le choix cornélien que doit affronter la protagoniste, hésitant entre le silence ou le déballage de l'entière vérité (avec le concours d'une journaliste prête à tout). Rouge a cette qualité de ne jamais schématiser, de ne pas sombrer dans une vision trop simpliste du cadre relaté. Ici, Bentoumi ne se pose jamais en juge car chaque décision prise, aussi aberrante fusse-t-elle de prime abord, est prise par des personnages qui ont leur raison. Et ces raisons, il les regarde droit dans les yeux.   

Sami Bouajila dans "Rouge". © Ad Vitam

Zita Hanrot, Céline Sallette, Sami Bouajila... : un casting fabuleux  

Il n'y a pas de grande histoire sans grands personnages. Farid Bentoumi le sait et soigne chacune des trajectoires en présence en leur offrant pour écrins des comédiens au diapason.
Dans le rôle de la lanceuse d'alerte, initialement écrit pour un garçon, Zita Hanrot tutoie la grandeur de son interprétation naturaliste de Fatima -rôle qui lui a valu un César du meilleur espoir féminin- pour brosser le portrait vivant d'une jeune femme moderne, ancrée dans son temps et bien décidée, malgré les diktats familiaux, à imposer sa voix.
Face à elle, Sami Bouajila lui donne le change, participant à l'évidente réussite du rapport filial que Bentoumi dépeint avec justesse et sensibilité. La ressemblance est d'ailleurs telle que les deux comédiens paraissent vraiment être père et fille. Entre eux, vigoureux et jusqu'au-boutiste, trône le personnage de la journaliste, incarnée par Céline Sallette, en passe de convaincre l'héroïne de divulguer ses secrets. Disposant d'un trio en or, le cinéaste livre une direction d'acteurs qui ne laisse rien au hasard -la précision métronomique des dialogues y contribue allégrement- et insuffle dans chaque personnage une forme de vérité qui les rend lumineux, puissants et incarnés. Son passé d'acteur y est sûrement pour beaucoup.
Impeccablement pensé, Rouge s'avère in fine être un important manifeste poussant à ouvrir les yeux et à trouver le courage de la vérité, surtout lorsque celle-ci est vitale.