Sandrine Kiberlain : "J'espère jouer les grands-mères et les arrière-grand-mères"

Elle est l'une des nos meilleures actrices. L'une des plus drôles, aussi. Sandrine Kiberlain le prouve une nouvelle fois dans la comédie "Les 2 Alfred" de Bruno Podalydès, qui a reçu le label Cannes 2020. Elle y incarne une working girl névrosée et accro aux nouvelles technologies. Un régal.

Sandrine Kiberlain : "J'espère jouer les grands-mères et les arrière-grand-mères"
© UGC Distribution

"C'est une des rares actrices capables de rougir à l'écran". C'est ainsi que le cinéaste Serge Bozon évoque Sandrine Kiberlain. Une façon si géniale de dire que la comédienne sait tout jouer. Si elle a longtemps marqué les esprits dans des rôles dramatiques, l'actrice étoffe son répertoire comique depuis quelques années, notamment confortée par le succès de Neuf mois ferme d'Albert Dupontel et par le César qu'elle a remporté pour son rôle. Cette année, Bruno Podalydès lui offre une nouvelle partition comique de haute volée dans le brillant Les 2 Alfred. Elle y incarne Séverine, cadre sup névrosée d'une start-up, conduite par une voiture sans chauffeur et bientôt entourée de deux hommes en passe de changer sa vie. Rencontre avec une actrice géniale. 

Vous dites que quand on entre dans l'univers de Bruno Podalydès, on y reste. A quel point ?
Sandrine Kiberlain :
En réalité, j'aurais dû dire "On espère y rester" parce que je ne suis pas décisionnaire (rires). Je me sens à ma place avec lui parce que je suis accueillie de façon privilégiée. Il nous met en confiance et on peut tout oser, un peu comme un enfant qui sait qu'il peut aller loin dans le jeu et la partie. Bruno Podalydès instaure dans ses films quelque chose de très simple. Lui-même est doux, tendre, anti-conflictuel. Je suis hypnotisée par sa voix. Impossible de l'imaginer en train de s'énerver. Comme actrice, je suis rassurée par sa patience et son écoute.   

Avez-vous une manière similaire d'observer le monde ?
Sandrine Kiberlain :
J'ai accepté de rejoindre ce projet parce que j'aime comment il voit le monde. Ce qu'il a par exemple anticipé autour de notre usage des technologies de communication, du virtuel, du manque de contact ou de la peur de perdre son emploi est assez saisissant. Ils s'intéressent à des choses qui, a priori, ne me touchent pas, à l'instar des start-ups et du monde de l'entreprise… Mais dans notre façon d'être différents, on est très semblables. On a la même manière de rire des choses, d'essayer de ne jamais se prendre au sérieux, d'éviter le pathos...

Sandrine Kiberlain, Denis Podalydès et Bruno Podalydès dans "Les 2 Alfred". © UGC Distribution

Sous couvert d'humour, sa vision de la vie en entreprise est hyper dure et réaliste. Que trouvez-vous de plus violent dans ce monde interconnecté ?
Sandrine Kiberlain :
Dans son film, ce que je trouve très violent, c'est l'exemple qu'il prend pour témoigner de la folie humaine à travers un chef d'entreprise qui ne veut pas que ses employés aient d'enfants. C'est en même temps très crédible car je peux imaginer un patron dire à une femme "Vous ne serez jamais numéro 1 si, en même temps, vous devez faire la lessive, vous occuper de votre enfant, etc…". Mais pour répondre véritablement à votre question, je trouve que ce qui est violent, c'est le manque qu'on a de l'autre. La communication réelle et concrète devrait primer sur le virtuel. La technologie a pris beaucoup de place avec la Covid…

Mais en même temps, elle nous a aussi réunis…
Sandrine Kiberlain :
C'est ce que j'allais dire… Si on n'avait pas Facetime, on n'aurait pas pu voir nos parents, nos grands-parents... Mais où est la limite de ces choses ? Quand c'est trop présent, il faut faire gaffe. Que des écrans existent à des moments compliqués, comme ceux qu'on a pu vivre, c'est génial. Mais pourvu qu'on les oublie quand on arrivera à être pleinement ensemble. Ce monde technologique ne m'attire pas du tout, il m'est inconnu. Je suis nulle dans tout ça. Je suis parmi les plus ignares. J'écris encore à la main… Alors oui, je vais un peu plus vite avec l'ordi mais ne me demandez pas de le reconfigurer… Les rendez-vous et autres apéros sur Zoom me dépriment par ailleurs ; c'est atroce. Je préfère donner et recevoir des nouvelles par mail ou par téléphone. Je téléphonais à ma mère pendant le confinement. On s'envoyait des photos et tout.

"Pour les femmes, c'est une pression qu'on vit différemment parce qu'il y a encore de nombreuses inégalités."

De quelles technologies modernes vous ne pourriez pas vous passer ?
Sandrine Kiberlain :
Des vertus du téléphone. Quand je le perds, c'est dur… On est tous pareils, on en est accros. Quand on a des enfants, encore plus. J'aime beaucoup la photo, j'en fais avec mon téléphone. J'aime photographier l'instant…

Comprenez-vous ces femmes qui renoncent à la maternité par pression professionnelle ?
Sandrine Kiberlain :
Je peux tout comprendre… Mais c'est un malheur absolu si c'est contraint et forcé. Si on renonce à une envie d'avoir un enfant par dépit, je trouve ça horrible. Je sais ce que c'est d'être mère. La force de Bruno est, malgré la violence du propos, de traiter ça avec humour. Les situations drôles nous font réfléchir sur nous, sur les choses de la vie… Le premier degré entraînerait quelque chose de trop moral, de trop sérieux. Là, en riant, on dénonce des choses, l'air de rien. Et là est la force du film.

Vous dites dans le dossier de presse du film qu'on vit dans une société prête à faire le nettoyage à partir de la cinquantaine. C'est une réflexion que vous vous êtes fait avant le film ?  
Sandrine Kiberlain :
Je ne le vis pas à titre personnel… Mais j'ai conscience que ça existe. Les acteurs n'ont pas d'âge même si je joue désormais davantage les mères de jeunes adultes et que d'enfants (rires). Bientôt, j'espère jouer les grands-mères et les arrière-grand-mères.

Sandrine Kiberlain et Luàna Bajrami dans "Les 2 Alfred". © UGC Distribution

Derrière ses excentricités, Séverine semble être une femme d'aujourd'hui. Avez-vous le sentiment qu'elles sont nombreuses en France, les Séverine ?
Sandrine Kiberlain :
J'en ai vu en tout cas. Il y a des Séverine qui sont mères au foyer et qui ne travaillent pas dans des start-ups, des femmes dépassées avec 7 enfants, qui doivent faire la bouffe, gérer les devoirs etc… Les Séverine ont une pression à un endroit de leur vie et sont au bord de la crise de nerfs, car elles veulent tenir et bien faire les choses. Pour moi, elle très concrète. Une fois que je l'ai visualisée et identifiée, comme un gosse qui joue à Zorro, j'ai pleinement vécu les situations auxquelles elle est confrontée. Au début, elle est face à sa pression, elle accepte de mentir au travail, etc… Et, par la suite, elle fait des rencontres qui la reconnectent à ce qu'elle est : une personne sensible. Le film nous redit combien les rencontres nous transforment.

Est-ce que, comme les personnages du film, il vous est déjà arrivé de mentir ou de tricher pour avoir un rôle ou garder un boulot ?
Sandrine Kiberlain :
 Je me suis battue pour mon premier film, Les patriotes. Beaucoup de filles avaient plus de chance. Je me suis coupé les cheveux pour les essais, en voulant être sûre d'être choisie. Je crois qu'on se bat toujours, ne serait-ce que pour rendre la confiance qu'un metteur en scène nous donne. Pour Neuf mois ferme de Dupontel, ça a été le cas. J'ai accepté de faire les essais car il n'était pas sûr de moi et je voulais me convaincre que je pouvais tenir le rôle. Il avait un doute. C'est sain et normal dans ce cas de passer des essais… Il s'interrogeait sur la possibilité que j'avais d'être comique, de m'abandonner… Il m'imaginait à travers ce qu'il avait vu de moi. Il pensait que j'étais une actrice faite pour des choses fragiles ou graves.

Bruno Podalydès sait débusquer un peu partout la poésie. Et vous, où la trouvez-vous ?
Sandrine Kiberlain :
J'hésite entre la chanson et le cinéma. La musique est l'endroit du rêve par excellence, on peut tout y projeter. Elle a une place primordiale dans ma vie. Et le cinéma… Disons que je peux revoir des films cent fois pour la même phrase.