Ludovic Bergery, créateur d'une ETREINTE magnifique

"L'Etreinte" est le premier long-métrage en tant que réalisateur du comédien Ludovic Bergery. Avec talent, énergie et sensibilité, il offre à Emmanuelle Béart un rôle en or: celui d'une femme esseulée qui, à cor et à cri, essaye de se reconnecter aux autres et se sentir de nouveau vivante. Pour le Journal des Femmes, l'intéressé revient sur trois facettes de sa passionnante exploration.

Ludovic Bergery, créateur d'une ETREINTE magnifique
© Céline Nieszawer

Une quête universelle

Je voulais parler d'un personnage qui se cherche tout en cherchant les autres. D'une femme plus particulièrement, de son errance, du caractère flottant de son existence, de sa sensibilité. Elle est née de manière instinctive et inconsciente; il y a quelque chose de ma mère en elle. Je suis fils unique. Toute mon enfance, j'ai vu cette femme seule se déployer dans la vie.

Parallèlement, à l'adolescence, les portraits de femmes au cinéma m'ont beaucoup touché, notamment chez Cassavetes. J'avais donc cette volonté de raconter le cheminement d'une femme, l'idée de l'abandon, de la dépendance à l'autre, du ressenti de la peau. J'ai un rapport à l'autre assez féminin, c'est impalpable.

J'aime par ailleurs le motif de la solitude sur grand écran. A mon sens, elle permet à l'imaginaire de travailler et de prendre, peut-être, la place des autres. On se constitue ainsi un monde où tout est possible. Quand je pars seul deux-trois jours pour un week-end, c'est différent que quand je suis entouré. On est en éveil par rapport à ce qui nous entoure. On est plus à l'écoute de nos sensations, de la lumière, d'une peau, d'un arbre… La perception du monde n'en est que plus aigüe; il y a une sensibilité à ce qu'on peut vivre qui est nécessaire. Les limites se posent en effet différemment quand on est en famille. La solitude nous rend plus créatifs, car il faut remplir le vide et inventer. On est à fleur de peau.

L'héroïne de L'Etreinte n'a pas touché de corps et n'a pas été touchée depuis des années. Elle retrouve l'autre par ce biais et c'est presque un choc de la peau, du baiser… Tout à coup, le corps de l'autre occupe l'espace et révèle le sien; car à son contact, on existe. L'autre nous entoure, nous étreint et nous empêche de flotter. Il nous inscrit dans une réalité et nous redonne notre place dans le monde : c'est comme révélateur.

Emmanuelle Béart, l'évidence

Je connaissais Emmanuelle Béart. Je l'observais, je la regardais, je suivais son parcours. Elle possède deux choses qui caractérisent parfaitement le personnage de Margaux. D'une part, elle a quelque chose d'évanescent, ce regard dilué, qui peut sembler perdu.

D'autre part, elle est très ancrée dans la réalité et ça se perçoit dans sa façon d'aborder le monde, son existence, de manière très prosaïque. Elle a aussi en elle un truc de l'ordre de l'enfance, et ça servait Margaux.

Cette héroïne traverse tous les âges ; elle peut en effet être adolescente dans son attitude. En tout cas, elle n'en est pas moins volontaire, active dans sa quête. Ce n'est pas une passive, elle agit, elle se trompe, elle se cherche.

Avec Emmanuelle, on pouvait jouer sur toutes ces facettes. Je dirais que ça a été une histoire naturelle, avec de la confiance immédiate entre nous. Elle était dans un abandon total: j'ai eu de la chance. Il n'y avait pas de résistance.

Elle a fait souffler un vrai élan de liberté pour le film. Et c'est ce qu'il fallait puisque tout y est basé sur l'instinct, le ressenti et la sensibilité. Et non sur la psychologisation. Elle l'a bien compris, l'a accepté et nous a donné le meilleur d'elle. Je n'ai pas senti d'appréhension de son côté. Elle n'a pas consulté le scénario. C'était son souhait.

Elle découvrait la trame et les dialogues au fur et à mesure du tournage. C'était assez fou de la voir, au gré des journées, recomposer le personnage, sans avoir envie de comprendre mais en étant constamment à l'affut de tout. C'était un exercice intéressant. Le fait d'être acteur m'a aidé car ça élimine l'angoisse de ne pas savoir comment aborder le jeu. On a davantage de confiance pour communiquer avec les acteurs.

Emmanuelle Béart dans "L'Etreinte". © Pyramide Distribution.

Une mise en scène sensorielle     

J'ai fait le choix de tourner en pellicule pour plein de raisons, notamment parce que le film fait référence à des portraits de femmes que j'ai vus enfant. Je voulais retrouver cette patine des films des années 70-80. Et je fais très peu de prises…  Vous savez, avec la pellicule, c'est différent car on sait qu'on ne peut pas faire 750 prises. Tout s'inscrit dans certaine une temporalité qui nous pousse à nous lancer…

Il faut dire qu'Emmanuelle le permet. J'obtenais toujours vite ce que je voulais.
Elle fait tout de suite jaillir des choses avec justesse et précision. (...) J'avais à cœur de filmer les silences, les moments qui s'arrêtent, les contemplations, Margaux qui regarde la nuit, qui observe des joueurs de foot, seule avec elle-même… Ce sont ses gestes qui ont constitué le rythme du film et le rapport au temps. Ils ont dicté la réalisation.

J'adore le silence. C'est lié à ma sensibilité, j'aurais encore pu en mettre plus (rires). J'aime ces moments où tout se passe et rien ne se passe. Le silence, c'est ça. Il est une respiration, il permet de reprendre son souffle, c'est le poumon du rapport à l'autre. Je voulais par ailleurs enfermer le personnage dans le cadre, en étant le plus proche de lui. Là est le paradoxe puisqu'il s'agit de l'enfermer pour parler de son rapport à la liberté, à la libération. L'air circule ailleurs, par la peau, les regards, sa vision des choses, du réel, des hommes.

Le toucher, c'est le sens du film. Parfois, on n'a pas de prise sur les choses : on essaye d'attraper, de toucher et d'accepter la peau de l'autre, en vain... Le spectateur est en tout cas tout de suite placé à l'endroit de l'intimité, il entre très vite dans l'étreinte, devenant comme une sorte de troisième personnage.