PASSION SIMPLE, auscultation fiévreuse du sentiment amoureux

En salles le 11 août, "Passion Simple" marque la 5e réalisation de Danielle Arbid. La talentueuse cinéaste franco-libanaise adapte avec brio le roman homonyme de l'écrivaine Annie Ernaux, plongeant corps et âme dans une relation amoureuse aussi nourrissante que destructrice. Voici 3 bonnes raisons d'y succomber.

PASSION SIMPLE, auscultation fiévreuse du sentiment amoureux
© Pyramide Distribution

Les mots d'Annie Ernaux transcendés

Les défis, Danielle Arbid les aime. Quiconque a lu Annie Ernaux vous dira, a fortiori dans le cas de Passion Simple, que ses mots ne forment pas toujours des images. Bien au contraire. Elle est une auteure de l'intériorité, du fragment, de la sensation, des petits gestes, de tout ce qui circule emmailloté dans une cape d'invisibilité. Face à cette épineuse réalité littéraire, la réalisatrice franco-libanaise a quand même tenté l'impossible: les traduire sur grand écran, convertir leur pouvoir suggestif en morceaux de cinéma tangibles. Et elle l'a réussi haut la main. Sûrement parce que ce livre, elle le connait bien. Il a longtemps vécu dans le creux de sa poche de jean, comme s'il était le prolongement de sa chair, l'excroissance de son esprit. Les phrases lui ont parlé. Toutes. Elle a été emportée par cet amour dévorant, hypnotique, de ceux qui brisent le continuum espace-temps. Celui que ressent Hélène pour Alexandre. Son obsession qui consume. Son envie de voler chaque parcelle de son corps pour le garder en son sein.
C'est sans l'aide d'Ernaux -qui lui a toutefois accordé l'entièreté de sa confiance- que Danielle Arbid en a assuré la transposition. Avec adresse, elle place immédiatement le spectateur sur les rails de ces montagnes russes qui serpentent les cœurs amoureux. Et qui, dans leur violence, font perdre tout contrôle et toute raison.  

Laetitia Dosch, incandescente    

Il en est la carte et le territoire. C'est sur lui que s'ouvre le film, le temps d'un gros plan somptueux qui annonce la couleur des sens. Le visage de Laetitia Dosch, plongé dans une nuit où dansent quelques lumières. Cette introduction suffit à comprendre qu'on va aimer ce personnage et qu'on va le suivre jusqu'à perdre haleine. Danielle Arbid le sait: la bonne tenue d'un tel projet dépendait à 100% du niveau d'implication de celle qui en est la matérialisation à l'écran. Pour habiter Hélène, il fallait ainsi une actrice libre, conquérante, indépendante et, surtout, capable d'émietter les contraintes pour embrasser un lâcher-prise indispensable.
Révélée dans La Bataille de Solferino de Justine Triet ou, plus récemment, dans Jeune Femme de Léonor Serraille, Laetitia Dosch trouve ici un rôle à la mesure du large spectre de son talent. En effet, Passion Simple lui permet à la fois d'imposer son charisme naturel, sa fragilité brute, et d'oublier son corps jusqu'à devenir l'inévitable pinceau avec lequel la réalisatrice va peindre sa toile.
Danielle Arbid n'hésite d'ailleurs pas à dire qu'elle a aimé la façonner à son goût, afin qu'elle ressemble à Annie Ernaux, mais aussi à Catherine Deneuve dans La Chamade ou aux héroïnes buñueliennes. Pari réussi. Et si Sergei Polunin lui donne le change dans le peau de l'homme aimé, c'est bel et bien de Laetitia Dosch que le feu arrive.   

Laetitia Dosch et Sergei Polunin dans "Passion Simple". © Pyramide Distribution

Passion Simple : une mise en scène sensorielle

Quand on est amoureux, le rapport au temps est littéralement explosé. Avec l'être aimé, une journée passe en une minute. A l'inverse, sans elle.lui, une minute peut s'apparenter à une éternité. Si la littérature aide à expliciter ces distensions temporelles, à leur poser des mots métaphoriques et audibles, il est nettement plus complexe de le faire au cinéma. Et c'est sur ce point précis que résidait tout le challenge de la mise en scène. Méthodologie adoptée ? Pour filmer le temps filant, Danielle Arbid a donc eu l'excellente idée de s'attarder sur l'absence, sur l'ombre prégnante de celui qui ne cesse de partir. Ainsi, en 90 minutes, on assiste, désorientés et épuisés, aux va-et-vient aléatoires d'Alexandre et aux meurtrissures qu'ils imposent à Hélène. Passion Simple est ainsi construit sur une alternance de manques et de retrouvailles; une dynamique qui donne aux heures qui filent toute leur place et tout leur poids. Mieux, les instants de retrouvailles sont filmés comme des bougies qui illumineraient le ventre d'un abysse.
Deux corps qui se cherchent et se frottent avec passion, engendrant une lumière aussi vivace que fragile. Lumière ardente qui, selon le propre vœu de Danielle Arbid, contribue à magnifier les acteurs, à en faire des figures incandescentes.
Labellisé Cannes 2020, ce long-métrage rythmé par une bande originale magnifique rappelle en tout cas tout le talent d'une cinéaste au regard sensible et charnel.