Louise Bourgoin : "La maternité m'a permis d'être plus courageuse"

Face à Jalil Lespert et Mélanie Doutey, elle complète merveilleusement le triangle amoureux qui compose "L'Enfant Rêvé", le nouveau long-métrage de Raphaël Jacoulot, en salles le 7 octobre. Magnétique et intense, Louise Bourgoin brille dans un rôle tout en rétention, pour lequel elle laisse exploser son talent.

Louise Bourgoin : "La maternité m'a permis d'être plus courageuse"
© Paname Distribution

En une douzaine d'années, Louise Bourgoin continue de creuser un joli sillon dans le cinéma français. Depuis ses débuts remarqués dans La Fille de Monaco d'Anne Fontaine en 2008, qui lui a valu une nomination au César du Meilleur Espoir Féminin, elle peut se targuer d'avoir tourné pour de nombreux auteurs: Rémy Bezançon, Guillaume Nicloux, Nicole Garcia ou Joachim Lafosse...
Une belle trajectoire qui la mène cette année chez Raphaël Jacoulot, pour l'un des plus beaux rôles de sa carrière. Celui d'une femme qui offre à un homme (Jalil Lespert) L'Enfant Rêvé qu'il ne peut pas avoir avec sa femme (Mélanie Doutey).
Souriante et chaleureuse, elle nous rejoint dans les salons feutrés d'un hôtel de l'est parisien. La voix est douce et drapée d'une plénitude contagieuse. Entretien.  

Raphaël Jacoulot parle de votre présence dans son film comme d'une forme de don. Un commentaire à ce propos ?
Louise Bourgoin :
Je suis très touchée qu'il le prenne comme un don. De mon côté, je l'ai plutôt vu comme une nouvelle expérience qui venait nourrir une volonté de recherche. C'est étrange le travail d'actrice, surtout pour moi qui n'ai pas fait d'études pour le devenir. Je n'ai jamais pris de cours. J'ai appris en tournant. (…) J'ai accepté de jouer dans L'Enfant Rêvé bien avant de savoir, trois mois avant le début du tournage, que je serais enceinte. Le sachant, j'ai maintenu mon engagement et me suis un peu basée sur ma vie pour livrer un jeu très naturaliste. Le premier clap a été avancé afin qu'on filme le début de ma grossesse. On a ensuite fait un break pour reprendre à mon terme. Certains séquences, trop physiques, ont été modifiées. Les producteurs ont en tout cas gentiment accepté de me garder alors que, pourtant, assurer une actrice enceinte coûte plus cher.

Une actrice qui joue une femme enceinte porte un faux ventre. Ce qui n'est pas le cas ici : les lignes entre le réel et la fiction sont brouillées. Comment avez-vous vécu cela ?
Louise Bourgoin :
C'était intéressant pour moi. Etre enceinte met quand même dans un état particulier. Je l'avais déjà vécu une première fois. Et j'avais vraiment envie de le revivre, parce que c'est fascinant. Il a fallu que je contienne ma grande labilité émotionnelle. Je ne voulais pas donner dans le pathos. Je préfère contenir, retenir ; quand on se laisse trop aller dans le sentiment, on empêche le spectateur de se projeter dans les choses. Ce qui m'a troublée, c'est cette idée que je ne m'appartenais pas complètement. J'avais l'impression d'avoir un locataire dans mon ventre et qu'il avait aussi un droit sur cette partie de moi. Pour les scènes d'amour, j'ai presque ressenti un sentiment de désobéissance ou de transgression.

Louise Bourgoin et Jalil Lespert dans "L'Enfant Rêvé". © Paname Distribution

On vous a rarement vue autant dans l'épure. Vous abordez l'émotion dans l'os… 
Louise Bourgoin :
Je crois que c'est parce que je voulais contrer ma grande émotivité. Enceinte, on se lève, il n'y a plus de croissants, et on pleure, quoi ! (rires) Moi, ça me fait ça en tout cas. Lors de ma première grossesse, mon copain m'avait promis des artichauts. J'en avais trop envie. Il n'y en avait pas et j'en ai pleuré. Sur le tournage, j'étais tout de même à l'aise avec Raphaël parce qu'il a une façon douce de diriger et d'amener les acteurs vers ce qu'il veut. Il n'a pas ce côté capricieux et colérique que certains metteurs en scène peuvent avoir. Sa façon de travailler est nourrie de son expérience de professeur au Cours Florent. Même quand il s'énerve, ça ne se voit pas. 

Avez-vous rêvé votre premier enfant ?
Louise Bourgoin :
Ah oui ! Tous mes amis vous le diront. Je comprends totalement le désir du personnage de Jalil Lespert. Et ce désir est souvent traité au cinéma pour la femme, mais pas pour l'homme. Ces derniers accompagnent souvent le désir de la femme.

"Mes parents m'ont transmis une indépendance affective"

Vous dites souvent qu'en devenant maman, vous avez arrêté de vous raconter des histoires… 
Louise Bourgoin :
C'est vrai. 

Quelles histoires ?
Louise Bourgoin :
J'ai du plaisir à être aux côtés de mes enfants. Je rentabilise d'ailleurs les moments où je ne peux pas être avec eux. Je perds donc moins de temps à me prendre la tête. Je suis davantage dans l'action, j'ai plus de discernement, je prends mieux les choses en main pour avancer. La maternité m'a permis d'être plus courageuse. Elle m'a décentrée. J'ai moins de temps pour m'occuper de ma petite personne et me poser des questions psychanalytiques sur un peu tout. C'est un piège tendu par ce métier: on a beaucoup de temps, on a beaucoup d'argent, on peut vite passer des heures et des heures en analyse. Entre les journalistes qui nous posent des questions, les films qui nous interrogent, les personnages, les metteurs en scène, tout est centré sur nous… On nous infantilise sur les plateaux, on vient nous chercher en voiture, on nous fait à manger, on nous coiffe… Ma mère m'a toujours dit qu'être maman permet de rallier tout un pan social auquel on n'aurait pas habituellement accès. Je vais par exemple souvent à des anniversaires ou des goûters d'enfants où je croise des personnes de milieux différents, des parents qui font plein de choses passionnantes… Tout ça évite le côté consanguin du milieu du cinéma…

"Je veux développer l'imagination de mes enfants que j'éloigne le plus possible des écrans"

L'Enfant Rêvé parle aussi de la transmission. Qu'avez-vous envie de transmettre à vos enfants ?
Louise Bourgoin :
Bonne question… Mes parents m'ont transmis une indépendance affective en me disant notamment que rencontrer l'amour n'est pas une fin en soi. Il faut apprendre à vivre seule et, surtout, à trouver une passion qui permet une forme d'élévation de l'âme. Il s'agit de réussir à être indépendant sans souffrir de la solitude. La fin d'une bonne psychanalyse, c'est justement ça: réussir à vivre seule (rires). Mon papa et ma maman m'ont appris à me nourrir culturellement et intellectuellement. C'est sûrement grâce à eux que j'ai bien vécu le confinement. Je sais que ça peut paraître obscène de donner mon avis sur ça, car je suis une privilégiée, mais disons que j'ai eu beaucoup de gens au téléphone qui s'ennuyaient. Grâce à mes parents, c'est quelque chose que je ne connais pas. Ils m'ont appris à m'occuper l'esprit, à cultiver des plaisirs simples… Et en tant que mère, je veux transmettre ça,  je veux développer l'imagination de mes enfants que j'éloigne le plus possible des écrans. (Réflexion) Le confinement m'a permis de me sentir concrètement dans le présent et de ne plus me projeter en permanence. Depuis le déconfinement, je vois les gens que j'ai envie de voir. J'arrête de faire les choses par diplomatie ; il y a trop de salamalecs qui tuent dans ce métier. 

"J'arrête de faire les choses par diplomatie"

Vous incarnez un des rôles principaux de la série hospitalière Hippocrate. Elle a été interrompue en raison de la pandémie. Comment avez-vous vécu votre retour ?
Louise Bourgoin :
J'ai accouché en janvier et j'ai eu besoin d'un mois et demi de récupération. J'ai repris le tournage une semaine avant le confinement. Egoïstement, j'étais contente d'allaiter et d'être avec mon enfant, le temps d'un congé maternité plus humain. Vous savez, dès la saison 1 de la série, on montre que le milieu hospitalier va mal, qu'il y a une pénurie des moyens… Ajouter la Covid là-dessus et c'est terrible. Ma compassion envers le corps médical est totale. 

Quel est votre antidote face à la morosité du monde ?
Louise Bourgoin :
La philosophie (rires). Ne pas prendre la vie trop au sérieux, alléger les choses car on n'en sortira pas vivants. Modérer ses ambitions, rester raisonnables et prendre du plaisir avec les petites choses.