Massoud Bakhshi signe un coup de maître avec YALDA, LA NUIT DU PARDON

Huit ans après "Une Famille Respectable", présenté à Cannes à la Quinzaine des Réalisateurs, le cinéaste iranien Massoud Bakhshi a obtenu le Grand Prix à Sundance avec "Yalda, la Nuit du Pardon", son nouveau film en salles le 7 octobre. Il y dresse le portrait d'une jeune femme, condamnée à mort pour avoir tué accidentellement son mari, qui participe à une télé-réalité pour être hypothétiquement graciée par le pardon de la fille du défunt. Focus.

Massoud Bakhshi signe un coup de maître avec YALDA, LA NUIT DU PARDON
© Images Distribution/NEWSCOM/SIPA

Inspiré d'une vraie émission

Après un premier film frontal sorti en 2012, Une Famille Respectable, qui parlait de corruption, j'ai reçu les foudres des autorités, au point d'être blacklisté. Ce n'était pas évident. J'ai dû prendre sur moi pendant presque quatre ans pour commencer à travailler sur mon deuxième film. Il fallait que l'administration change. L'attente et la patience ont rendu Yalda, la Nuit du Pardon possible. C'est une œuvre que je voulais absolument tourner en Iran, en farsi, malgré la volonté de mon producteur de le faire ailleurs. Il en était hors de question. J'ai en tout cas profité de ces années difficiles et de cet isolement personnel pour mener des recherches et approfondir le récit. J'ai consulté de nombreux avocats afin de mieux appréhender mes personnages et leurs parcours ; cela a enrichi le scénario et son niveau d'authenticité.  

Mon film est centré sur un show télévisé qui a existé pendant plusieurs années. C'était sur le thème du pardon, avec des invités et des histories variés. A la base, il était destiné pour une programmation durant le mois de Ramadan, car nourri de bonnes intentions et animé par la promotion du pardon, par cette envie de gracier les gens.

Les affaires qui marchaient le mieux en audience parlaient de la mort. Du coup, je me suis basé sur ce constat pour dramatiser encore plus la télé-réalité qui tient lieu de cadre à mon film. Juste après la sortie de Yalda, la Nuit du Pardon, ils ont arrêté l'émission en question, très discrètement et sans justification, sûrement grâce ou à cause du sujet que j'explore.

Le regard critique du film a dû faire comprendre des choses aux gens. Le show a été populaire parce que, pour le grand public, il était important de voir à l'écran ces histoires si récurrentes. Parfois, à cause d'un accident, quelqu'un meurt et les verdicts lourds qui tombent font que la famille du coupable perd aussi un membre. C'est comme ça...  

Le système du pardon

Le film a été montré au Festival National en Iran et il est sorti en salles à la fin du confinement. Les revenus d'exploitation locale ont été reversés à une ONG iranienne dirigée par des femmes extrêmement courageuses. Le but ? Libérer deux condamnés à mort. Ces femmes sont très proches des familles de victimes et essayent de les convaincre de pardonner aux responsables. La loi permet en effet, dans des cas non-intentionnels, de pardonner et gracier les criminels. Ces deux personnes ont donc été sauvées. Preuve que la réalité rattrape parfois la fiction. Et ce geste a modifié la réception du public, qui a mieux compris les enjeux en présence. Au départ, les avis étaient très divisés ; les médias officiels ont humilié le film, arguant qu'il n'avait pas de valeur artistique, qu'il s'agissait d'une imitation de télé. Mais avec son succès international, les retours ont été de plus en plus positifs.

Sadaf Asgari dans "Yalda, la Nuit du Pardon". © Pyramide Distribution

La peine de mort est une tradition en Iran, parfois même respectable par ses racines religieuses. Mais les problèmes liés à la vie urbaine montrent qu'il faut trouver une solution à ce système punitif. Plusieurs ONG et œuvres de bienfaisance y travaillent.

Il y a deux ou trois ans, le parlement iranien a par exemple voté une loi pour annuler 6000 condamnations à mort de prisonniers. Pendant mes recherches, j'ai découvert que, dans la loi, le juge qui signe un verdict d'exécution peut chercher lui-même le pardon chez la famille de la victime.

Au ministère de la justice, il y a même un bureau dédié aux demandes de pardon -encore une fois, que dans les cas non-intentionnels. Si pardon il y a, le jugement est ensuite cassé et le prix du sang doit être versé à la famille de la victime… Le pardon est à la fois un concept très moral et religieux. Mais, comme je l'ai dit plus tôt, la société, très jeune, est consciente qu'on ne peut pas exécuter quelqu'un pour un crime non-intentionnel.  

Une héroïne puissant

Comme tous les autres personnages du film, qui ne sont pas nécessairement noirs ou blancs, Maryam est très réaliste. Cette héroïne, merveilleusement incarnée par Sadaf Asgari, n'est ni un ange ni un coupable. Elle est comme nous tous.

Elle vient d'une couche défavorisée et, d'une certaine façon, elle est totalement victime de sa propre mère qui veut tout faire, à grands coups de manipulations, pour grimper dans la hiérarchie sociale. Sa mère veut sa part du gâteau, elle veut posséder des biens, avoir de l'argent…  

Le film s'inscrit dans un contexte de tensions sociales, qui sont liées à la fragilisation de l'économie, surtout ces dernières années. Cela vient des sanctions, des embargos américains qui fragilisent les gens. Les choses changent : la façon dont les gens se comportent dans la rue, les bagarres, la manière de conduire en circulation…

Pour autant, je ne veux pas faire de ce film un représentant de la société iranienne ; cela serait trop réducteur. Après tout, quand on voit un film de Michael Haneke, on ne dit pas qu'il s'agit d'une représentation de la société autrichienne (rires).

J'ai voulu qu'il ait une portée universelle. On a voulu créer des personnages très différents les uns des autres et il y a beaucoup de femmes, car le personnel est majoritairement féminin sur les plateaux télévisés. Les femmes en Iran ont beaucoup de pouvoir, même dans les familles traditionnelles. Dans la culture iranienne, ces dernières sont puissantes, y compris les femmes au foyer. Il y a d'ailleurs désormais plus d'étudiantes que d'étudiants, ce qui donne le pouls de la société. Les femmes veulent faire des études. Et c'est formidable.