Avec "Trois étés", Sandra Kogut regarde la société brésilienne droit dans les yeux

En salles le 22 juin, "Trois Etés" de Sandra Kogut raconte avec adresse les conséquences de la déconfiture économique d'une famille nantie sur la vie de leur domestique. Un projet passionnant sur lequel la cinéaste brésilienne revient pour le Journal des Femmes.

Avec "Trois étés", Sandra Kogut regarde la société brésilienne droit dans les yeux
© Andrew Medichini/AP/SIPA

Un film ancré dans le réel

L'action du film se déroule entre 2015 et 2017, à un moment où de nombreuses opérations anti-corruption ont été menées par la police. C'était du jamais-vu et ça a d'ailleurs pris beaucoup de place dans le débat public et dans les médias. On dit souvent que les Brésiliens connaissent par coeur les onze noms des joueurs de l'équipe nationale de foot. C'est désormais pareil pour ceux des onze juges de la Cour Suprême. Au bout d'un moment, on a compris qu'il y avait toutefois, derrière ces actions, un agenda politique. Certaines personnes étaient en effet plus ciblées par les enquêtes que d'autres. L'ancien Président Lula s'est justement fait arrêter à cause de ces investigations. Une ambiance de haine et de suspicion s'est installée dans tout le pays. Et ce contexte a été clairement favorable à l'ascension du gouvernement d'extrême droite que nous avons aujourd'hui.

Regina Casé dans "Trois Etés". © Paname Distribution

Adopter le point de vue des domestiques 

Trois Etés raconte la façon dont la déconfiture économique d'un couple, à cause de scandales de corruption, va avoir une incidence sur la vie de ses domestiques. Face aux médias, c'est une question que je me posais régulièrement : que deviennent ceux qui gravitent autour des riches quand ces derniers sombrent ? A mes yeux, il était donc important d'épouser ce point de vue. Je suis inconsciemment attirée par les personnages qui sont en marge : des enfants, des personnes âgées ou, ici, les domestiques. Ce sont des regards singuliers, aigus, émouvants… Je voulais aussi parler de ce projet néo-libéral dans lequel tout le monde rêve d'être patron. Mada, la gouvernante de la maison, est entre deux mondes : patronne des employés et employée des patrons. Tout le monde y parle d'argent. Tout s'apparente potentiellement à un business, à une marchandise, soit par espoir, soit par avidité. J'évoque une société où le collectif n'existe plus, où c'est chacun pour soi, où la méfiance grandit entre les gens.

Regarder les failles sans sourciller

Le Brésil est un des pays le plus inégaux du monde, avec des différences entre les classes sociales tellement criantes. Quand on y grandit, c'est difficile de ne pas en parler. On devient très sensibles à ça, aux fractures qui le parcourent. Elles sont si présentes dans l'expérience du pays, si flagrantes. Le Brésil n'a jamais fait son travail sur ces problématiques, il n'a jamais vraiment réfléchi à ces choses là. Par exemple, dans le débat public, on n'essaye pas de comprendre ce que représente l'esclavage. On a quand même été le dernier pays à l'abolir, ce n'est pas anodin. On a aussi vécu une dictature. Et, en 1985, à son terme, il n'y a pas eu de procès, de tribunaux, comme au Chili notamment. Une amnistie généralisée a eu lieu pour les victimes comme pour les bourreaux. Aujourd'hui, on vit l'ascension au pouvoir de personnes qui ont la nostalgie de cette époque. Bolsonaro est lui-même un ancien militaire dont les héros sont des bourreaux de la dictature.

Une construction habile

J'aime les ellipses, dans les films comme dans le livres. C'est un outil narratif qui se prêtait parfaitement à ma vision du projet. Je ne voulais pas en faire un exercice de style. L'intrigue se déploie ainsi sur trois été, sur cette semaine particulière entre Noël et le Nouvel An où tout est exagéré : il fait très chaud, tout est extrême, bruyant, coloré, il y a des orages, etc… Tout ça était très emblématique de la tempête littérale et figurative qui s'abat sur les personnages. La réalité est en tout cas mon laboratoire. Je viens du documentaire. J'aime le cinéma de fiction mais c'est un gros cirque qu'on installe, qu'on monte et qui peut devenir trop figé. Moi, au contraire, j'aime ne jamais oublier que quelque chose est toujours plus grand que le film. La vie doit constamment être plus forte que le travail qu'on fait, elle doit nous remettre en question. 

Découvrez Trois Étés, de Sandra Kogut, en salles le 22 juin.

"Trois étés // VOST"