TROIS ETES : 3 bonnes raisons d'investir la fracture sociale brésilienne
En salles le 22 juin, "Trois étés" de la Brésilienne Sandra Kogut scanne avec précision les scissions de sa société en faisant d'une gouvernante le témoin de la chute programmée de ses riches patrons. Le Journal des Femmes s'est laissé porter par ce projet modeste et ambitieux. La preuve par trois.
Trois Etés : une construction narrative habile
Après Mutum (2007) et Campo Grande (2015), la cinéaste Sandra Kogut, formée à l'école du documentaire, nous revient cette année avec une intéressante peinture sociétale de son pays : le Brésil. Au centre de son intrigue ? Mada, la gouvernante d'une maison cossue où les propriétaires organisent chaque été une grande fête en prenant soin (ostentation et opulence incluses) d'inviter tout le gratin alentour. En dupliquant trois fois ses unités de temps et de lieu –la période estivale et la demeure tout confort–, le scénario a recours à la répétition et aux ellipses, qui s'avèrent très efficaces, pour nous conter l'inexorable déconfiture des tenanciers, sur trois étés, comme l'indique fort à propos le titre de ce troisième long-métrage de fiction. Ces derniers sont en effet fatalement rattrapés par des scandales financiers et par un monde néo-libéral, enténébré, qui semble manger les pissenlits par la racine.
Trois Etés : un point de vue plus inédit
Pour Sandra Kogut, Trois Etés est né d'un constat : celui de l'état d'un pays dont les aléas et turpitudes politiques sont devenus, pour tous les citoyens, des épisodes d'un feuilleton télévisé. Son intrigue s'offre d'ailleurs comme un laboratoire où le spectateur, tout à fait voyeur, est convié à ne rien manquer des crevasses dans lesquelles sombrent les plus riches et puissants. Et pour ce faire, Kogut a tenu à adopter le point de vue de la gouvernante, incarnée par l'excellente Regina Casé, octroyant justement une voix claire à celles et ceux qui n'ont pas le luxe du droit de cité. Dans son labeur, la question posée est la suivante : que deviennent ceux qui dépendent financièrement des plus nantis quand les activités de ces derniers périclitent et qu'ils se retrouvent derrière les barreaux ? La cinéaste y répond dans une espèce de reconquête du terrain évoquant, par certains aspects, le récent Parasite de Bong Joon-ho.
Trois Etés : un film représentatif du Brésil
A bien des égards, le travail de Sandra Kogut sur Trois Etés s'inscrit parfaitement dans le sillage d'un cinéma brésilien contemporain toujours plus enclin à interroger les fondements d'une société divisée –entre riches et pauvres, Noirs et blanc, etc… On se souvient notamment de La Cité de Dieu de Fernando Meirelles ou du sublime Central do Brasil de Walter Salles qui, dans un geste de renouveau total, mettaient la main dans le cambouis du pays. Kleber Mendonça Filho, un des fers de lance de cet art, a également perpétué la tradition de l'exploration des misères sociales avec Aquarius ou Bacurau, tous deux sélectionnés à Cannes. Et même quand il emprunte les voies du fantastique, avec le brillant Les Bonnes Manières de Marco Dutra et Juliana Rojas, le septième art made in Brasil, actuellement mis à mal par des coupes économiques, épate par sa volonté de témoigner. Kogut l'a bien compris et entre dans les rangs d'un cinéma engagé.