GLORIA MUNDI ou le cri de colère de Robert Guédiguian
GLORIA MUNDI avec Ariane Ascaride, Anaïs Demoustier, Jean-Pierre Darroussin... sort en DVD et BRD le 2 juin. Ce film est probablement le plus sombre du réalisateur Robert Guédiguian qui tire la sonnette d'alarme face à un capitalisme débridé qu'il accuse de cancériser le monde. A commencer par la famille qu'il immortalise ici. Focus.
Il regarde le monde avec "les yeux bleus plein de bonté" de sa mère et façonne ses films avec "les mains de travailleur dessinées et massives" de son père. Cette métaphore lui va. A cette évocation, il sourit d'ailleurs, tendrement. A 65 ans, Robert Guédiguian n'a en tout cas rien perdu de son humanisme et de sa rage salvatrice, comme l'illustre si bien son nouvel opus Gloria Mundi, présenté en septembre dernier à la Mostra de Venise où sa femme et muse, Ariane Ascaride, a remporté la Coupe Volpi de la Meilleure Actrice. Elle y incarne une mère de famille nucléaire remariée à un homme aimant (Jean-Pierre Darroussin) et confrontée au retour au bercail de son ex-mari (Gérard Meylan), après un séjour en prison. S'ouvrant sur la naissance de sa petite-fille, cet opus ausculte la déconfiture d'une smala au sein de laquelle les enfants se déchirent, tous rattrapés et contaminés par une réalité socio-économique aliénante. Pour Le Journal des Femmes, le maestro Robert Guédiguian commente quelques aspects de son labeur.
La Gloire du monde ?
Le titre signale, de manière antithétique, que tous les enfants qui naissent doivent avoir droit à cette gloire du monde. Ça devrait être le lot de chaque nouvel être humain. Pourtant, dans le film, on sent que cette possibilité est probablement refusée à cet enfant. Est-ce que Gloria aura droit à la gloire ?... (réflexion) J'essaye de ne pas être pessimiste. Sénèque disait à son élève : 'Quand je t'aurai appris à désespérer, je t'apprendrai à vouloir.'
Au fond, je veux donner des choses à un enfant qui nait. Ce que j'entends déplorer ici, par rapport à notre société, c'est cette contamination du discours des dominants chez les dominés.
De mon point de vue, Gloria Mundi est noir parce qu'il raconte une défaite idéologique des classes populaires, lesquelles adhèrent au modèle qu'on leur impose et propose, à cette culture de l'égoïsme, de l'individualisme, de la réussite individuelle. On ne pense plus aujourd'hui qu'il peut y avoir du partage et de la solidarité.
Gloria Mundi, des personnages obscurcis
Ce qu'il convient de juger, ce ne sont pas mes personnages, mais la société qui les a créés. Sylvie (Ariane Ascaride), la mère, est antisyndicale, raciste… Et le film explique pourquoi elle en arrive là ; parce qu'elle n'a pas d'autres solutions pour aider sa fille et sa petite-fille et les faire sortir des difficultés. Ceux qui décident, qui ont une puissance politique ou intellectuelle sont bien plus responsables du monde dans lequel on vit qu'un chômeur ou un tricard. Il y en a qui se révoltent et d'autres qui se soumettent.
La famille de Gloria Mundi fait partie de cette deuxième catégorie. Ils sont aliénés car ils ont adopté le discours de l'adversaire. J'en vois tous les jours des gens comme eux. Des smicards trouvent normal qu'on n'augmente pas le SMIC, dévalorisant ainsi leur talent, leur qualification, pensant qu'ils ne méritent pas plus. Ils se disent : 'Si on l'augmente, il va falloir en faire de même avec les autres salaires et ça peut porter préjudice à l'entreprise'. Il y a 50 ans, jamais un ouvrier n'aurait dit une chose pareille. Aucune justification n'est admissible : qu'ils baissent leurs salaires pour donner davantage aux autres.
Tout part de la colère
A la base, je voulais réaliser une comédie (rires). Mais une accumulation de faits autour de moi -de Salvini aux défaites de la gauche aux Européennes, des violences policières à une phrase de Macron, etc...- m'a éconduit.
A l'heure actuelle, il y a des raisons d'être inquiet devant le niveau de régression internationale, sociale, civilisationnelle ; sur l'avortement, le repli identitaire, le débat sur le voile qui est invraisemblable… On durcit les conditions de chômage… J'ai l'impression que le capitalisme n'a plus de frein, il est de plus en plus débridé. Si ce discours est admis et soutenu par les plus pauvres, persuadés qu'il y a un moyen de s'en sortir de manière individuelle avec ces illusions imposées par le néolibéralisme, on va vers une espèce de totalitarisme.
Quand on est pris dans le désir de l'autre, on est foutu. Les pauvres, avant, étaient dans la résistance. Aujourd'hui, ils veulent vivre comme ces riches dont on voit la vie à la télé, dans la presse... Ils pensent que le bonheur passe par là et en ressortent frustrés. Gamin, je n'avais jamais vu de yacht. Il n'y a plus de contre-culture. Le capitalisme a gagné.
De l'importance des acteurs…
Je continue de penser que les acteurs composent l'essentiel d'un film. Le cinéma, c'est eux. On peut parler du directeur de la photographie, du monteur, du scénariste, etc… Mais un film, c'est surtout voir un corps s'agiter, quelqu'un parler. Les plus belles récompenses pour moi sont les prix d'interprétation. Je n'ai pas cet égo de cinéaste. J'accepte les prix quand on me les offre… Attention ! (Rires) Mais je trouve vachement bien qu'Ariane ait eu un prix à Venise.
L'avantage de la troupe que j'ai composée avec le temps, c'est de pouvoir tout se permettre parce qu'il n'y a pas de rapport de force. On ne s'est pas choisi pour ce film là, on se connait depuis longtemps. Personne n'hésite à dire 'Je ne sais pas, je ne suis pas sûr'… Si un acteur veut refaire une prise, pas de problème. Moi-même, je n'hésite pas à dire quand je suis dans une impasse. Ce n'est jamais tendu. Je leur dis mes doutes, je leur rappelle qu'ils sont essentiels, que je tiens à eux… Je n'aime pas faire les choses seul. J'ai toujours besoin d'être entouré. Finalement, je reproduis sur le plateau ce que j'aime dans la vie : la familiarité.
Un film de ROBERT GUÉDIGUIAN
Avec ARIANE ASCARIDE, JEAN-PIERRE DARROUSSIN, GÉRARD MEYLAN, ANAÏS DEMOUSTIER, ROBINSON STEVENIN, LOLA NAYMARK, GREGOIRE LEPRINCE-RINGUET
Durée : 1h47
Sortie en DVD et Blu-Ray le 2 juin 2020