Eva Ionesco : "Je suis restée extravagante"

A la fois baroque et moderne, sexy, rock'n'roll et délicieusement surannée, "Une Jeunesse Dorée", le 2e film d'Eva Ionesco est un objet cinématographique très attachant. La réalité des années Palace, son lyrisme, ses passions, son hystérie, ses costumes clinquants, sa bande-son endiablée..., la "réalisactrice" nous les présente, émouvante, captivante, embrasée. Rencontre.

Eva Ionesco : "Je suis restée extravagante"
© Apaydin Alain/ABACA

Le Journal des Femmes : Diriez-vous qu'"Une jeunesse dorée" est le récit du premier amour ?
Eva Ionesco : C'est l'histoire d'un apprentissage, avec, en miroir, deux jeunes gens fusionnels, paumés, sans argent, qui s'aiment et vivent d'un rien. L'intention principale est de raconter les épreuves, les embûches de ce couple qui se perd dans la nuit telle Eurydice.

Vous avez écrit le scénario avec Simon Liberati, votre conjoint. Est-ce évident de travailler avec celui qu'on aime ?
Eva Ionesco : Il y a eu une tonne de versions différentes à la suite de problèmes techniques et financiers. Je n'arrivais pas à écrire toute seule, donc je lui ai demandé son aide. Travailler avec Simon, c'est à la fois difficile et très agréable. Le projet initial était complètement autobiographique, violent et sexuel. Sous sa plume, nous nous sommes concentrés sur l'aspect "premier amour".

Cette jeunesse dorée est clinquante, baroque, sexy. Quelle était l'importance de la mode, pour vous, à cette époque ? 
Eva Ionesco : Le monde de la nuit était un théâtre qui impliquait de s'habiller et d'être vu. Il fallait s'apprêter des heures, des jours, pour les fêtes au Palace organisées par Fabrice Emaer. Ce propriétaire de night clubs parisiens vantait un idéal de liberté. Chaque sortie était différente et suivait un calendrier de la mode avec des thèmes : Anges et Démons, Venise, Magie noire, Jungle Fever... Je me souviens de Farida Khelfa ou Jamila qui venaient d'Algérie et qui arboraient une bouche rouge et des cheveux noirs. Elles étaient flashantes, tout le monde adorait. 

Cette extravagance vous manque-t-elle ?
Eva Ionesco :
Non, je suis restée extravagante, les gens qui m'entourent également. J'accorde énormément d'importance aux vêtements. J'aime les chiner, les classer, les regarder. C'est un vrai rapport affectif, rien à voir avec l'achat compulsif. J'ai toujours adoré m'habiller aux puces, j'avais des valises pleines à craquer dans mon vieil appartement à Magenta. D'ailleurs, je ne fréquente pas les boutiques modernes. Je cherche des pièces rares, impossible d'acheter comme tout le monde dans les grandes enseignes.

Votre film commence comme une romance et se poursuit comme un conte initiatique... Pouvez-vous nous en dire plus ? 
Eva Ionesco : Rose et Michel sont des fugitifs car Rose, mineure, n'est pas allée à ses cours de pâtisserie... Elle n'a que 16 ans et risque d'avoir des problèmes avec la DDASS. Les deux amoureux sont donc forcés, contraints d'emménager chez Lucile et Hubert (joués par Melvil Poupaud et Isabelle Huppert, ndlr). Dans ce manoir chargé tant en histoire quand décoration avec une bibliothèque incroyable, un pont de Venise comparable au vrai, du beau monde qui a franchi le palier et, bien sûr, des soirées époustouflantes…

"On se défonçait beaucoup plus que dans le film"

Les excès, l'alcool et la débauche sont-ils les corollaires de cette époque ?
Eva Ionesco :
Effectivement, la nuit on sniffait, on buvait, on fumait... On se défonçait beaucoup plus que dans le film. J'ai choisi de ne pas montrer cette réalité trash. J'aurais pu le faire, mais je ne souhaitais pas effrayer le spectateur. J'ai préféré quelque chose de plus naïf, enfantin, moins réaliste.

La consommation de ces substances modifiait-elle votre rapport au corps, à la séduction, votre conscience de plaire ?
Eva Ionesco : Les paradis artificiels font passer d'un état d'extase à un autre, détestable. Sous l'emprise de cocaïne ou de l'opium, on ne couche pas, les hommes ne peuvent pas avoir d'érection. Les relations sont tactiles. Dans ma jeunesse, on se droguait, on dormait à plusieurs, on s'embrassait, on se caressait, mais ça n'allait pas plus loin que le toucher et la discussion.

La véritable addiction de Rose, au final, ce sont les sentiments...  
Eva Ionesco : Oui, elle a besoin d'être aimée et d'être protégée.

Vous souvenez-vous d'une chanson de cette époque ?
Eva Ionesco :
Je dansais beaucoup sur Hamilton Bohannon, sur Yma Sumac et son Mambo! Ou encore Le Freak de Chic, James Brown, Michael Jackson... A la maison, j'écoutais plus de la New Wave comme Joy Division ou les B-52's.

Y a-t-il un morceau qui vous arrache encore les larmes ?
Eva Ionesco :
Les chansons du groupe Flash and the Pan.

Quel regard portez-vous sur votre film ?
Eva Ionesco :
Je suis très contente de l'avoir fait et de l'avoir fini. Cela a été très compliqué, plus dur que pour mon premier opus, My Little Princess, en 2011.

Quelle(s) émotion(s) aimeriez-vous susciter chez le spectateur ?
Eva Ionesco :
Je voudrais qu'il se souvienne d'images fortes, exotiques, originales et du visage des acteurs. 

Une Jeunesse Dorée, un film d'Eva Ionesco avec Isabelle Huppert, Melvil Poupard, Galatea Bellugi et Lukas Ionesco (1h 52)