Elizabeth de Feydeau, historienne spécialiste du parfum, multiplie les ponts entre histoire, art de vivre et parfum. Après plusieurs ouvrages sur ces thèmes et la création en 2011 d'Arty Fragrance - une collection de bougies parfumées- elle propose désormais de découvrir Versailles d'une manière inédite avec ses ateliers olfactifs. Rencontre avec une créatrice aux mille talents.
Bonjour Elizabeth, petite, étiez-vous déjà passionnée par les parfums?
En réalité, j'étais très attirée par la musique.. J'ai appris à jouer du piano très jeune et souhaitais devenir concertiste mais j'ai abandonné cette idée assez rapidement finalement car l'odorat a très vite occupé une place centrale dans ma vie. Sans doute un héritage familial lié à ma grand-mère qui habitait en Tunisie. De délicieuses effluves de fleur d'oranger, de concrètes de jasmin s'échappaient chaque jour de son armoire et de ses plats. Ensuite, l'achat de mon premier parfum à seize ans m'a marquée. Accompagnée de maman, celle-ci m'oriente alors plutôt vers des jus sobres comme c'était la mode à l'époque pour les jeune-filles (Cristal de Chanel, Caline de Patou) mais je me suis sentie totalement envahie par l'Heure bleue de Guerlain. J'ai en plus succombé à la poésie de son nom puisqu'il s'agit du moment où le jour et la nuit se rencontrent...
À quel moment décidez-vous que les parfums dépasseront la sphère intime et envahiront aussi votre vie professionnelle?
Assez rapidement. Après des études de lettres supérieures, j'ai choisis d'orienter mon travail de recherche de maîtrise sur l'impact de l'industrie française du parfum - thème qui n'avait jamais encore été traité à l'époque. Deux professeurs m'ont alors encouragée à aller plus loin...J'ai ainsi obtenu en 1997 mon doctorat d'histoire contemporaine avec la soutenance de ma thèse intitulée "De l'Hygiène au Rêve : l'industrie française du parfum, de 1830 à 1945". Ce travail de réflexion m'a permis d'être embauchée au sein du département affaires culturelles de Chanel et Bourgeois où j'ai mis en place et géré le conservatoire . J'ai appris à connaître les matières premières de la parfumerie. L'orgue à parfums m'a finalement ramenée vers mes amours de jeunesse - le piano ! Mais j'ai aussi découvert que si dans un premier temps j'avais été attirée par les publicités, les flacons des parfums, dorénavant les odeurs me captivaient plus que tout. Parallèlement à cette révélation, j'ai visité Versailles et son Château. J'ai découvert cet univers fantastique, ces lieux chargés d'histoire mais aussi de senteurs...
De là naît l'envie de créer Arty Fragrance?
Oui, tout à fait. J'ai alors eu l'idée de recréer ces senteurs oubliées qui sont de véritables témoignages historiques d'un art de vivre des XVII et XVIIIième siècles qui fait encore rêver aujourd'hui. Cela participe selon moi à la "culture de la parfumerie" en créant des ponts entre "la petite Histoire" et "la grande Histoire". La Collection de la Cour à travers 7 bougies aux noms évocateurs (L'Enfant-Roi, La Fleur du Roy, Le Rêve de la Reine, Délice des Libertins, Potager Royal, Alcôve Royale et Jardins et Bosquets) est directement inspirée par la Cour de Versailles et renvoie à cette vie fastueuse. La seconde rend hommage plutôt à l'exhubérance et l'extravagance. Lux, La Montespan, Barocko, Les Précieuses, L'Élégante et l'Aristocrate évoquent l'esprit baroque et l'art de vivre français . Dernières nouveautés dans cette collection : La Sans Pareille....L'Eau Sans Pareille était une "eau personnelle" à base de fleurs et de fruits arrivée à la Cour de Versailles sous Louis XV. On la buvait pour se protéger des maladies et des épidémies mais elle constituait aussi une eau de toilette et de beauté incontournable, douée de propriétés toniques et rafraîchissantes. Et la Bougie Royale en verre soufflé bouche, laqué gris Trianon, qui est une présentation exclusive et luxueuse en 3 ou 5 mèches pour les senteurs des deux collections. C'est un véritable hommage à Colbert - ministre de Louis XIV - qui a instauré à Versailles la tradition du luxe. Nous venons aussi de lancer les ateliers olfactifs d'Arty Fragrance, une manière inédite de découvrir la Cité Royale, "nez au vent". Ce parcours olfactif s'accompagnera de personnages mythiques comme Louis XIV bien sûr mais aussi Madame de Pompadour ou la Reine-Marie-Antoinette.
En 2010, vous avez été nommée Chevalier des Arts et des Lettres par le Ministre de la Culture Frédéric Mitterrand. En juin dernier, c'est un tout autre trophée que vous avez-reçu, une récompense de coeur remise par le CEW. Pouvez-vous nous en dire plus?
Effectivement, j'ai reçu en juin dernier un Achiever Createur de la part du CEW (Cosmetic Executive Women) et cela m'a beaucoup émue. Car il repose sur le vote de femmes de tête et de coeur engagées qui se mobilisent pour une très belle cause : le partage, la solidarité active pour payer des soins de beauté aux femmes qui en ont le plus besoin car hospitalisées. Je partage ces mêmes valeurs et la conviction que la beauté n'est pas si futile que cela. En plus ce prix m'a été remis en personne par Vera Stubi, qui a énormément oeuvré dans l'univers du parfum (lancement d'Angel de
Thierry Mugler) et qui a rappelé certains essentiels oubliés dans les années 90 : que le parfum c'est avant tout une histoire qui vibre et qu'il doit toucher la sensibilité des consommateurs, leur apporter du rêve.
Enfin, quels sont les parfums qui vous font le plus rêver?
Encore une fois l'Heure Bleue de Guerlain. Je l'appelle "ma pantoufle de verre" car c'est la quintessence du rêve....J'y suis très fidèle ce qui ne m'empêche pas d'aller parfois butiner ailleurs... J'aime beaucoup tout ce qui est fleuri-ambré donc je porte parfois le N°5 de Chanel dans sa version eaux premières car il est alors très ambré-vanillé. En ce moment je redécouvre les parfums de mon ami Serge Lutens et notamment l'Iris qu'il m'a offert...
Crédit photo Arty Fragrance
La Bougie Royale crédit photo Arty Fragrance.