"Le TGV a été notre 3e maison pendant 10 ans" : ils s'aiment mais ne veulent pas vivre ensemble

"Célicouples" ou "Couples non-cohabitants". 7% des couples français ne vivent pas ensemble. Pourtant, ils s'aiment et entre eux, c'est du solide. À l'instar des mythiques Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, qui se sont aimés séparément 50 ans durant, deux couples nous racontent leur histoire.

"Le TGV a été notre 3e maison pendant 10 ans" : ils s'aiment mais ne veulent pas vivre ensemble
© 123rf-desperada

Lola est une sexagénaire épanouie et "très indépendante, financièrement, intellectuellement""Dans mes précédentes aventures, j'ai toujours vécu chez mes compagnons. J'ai tenté d'entretenir quelques histoires chez moi, qui ont totalement foiré." Chat échaudé craint l'eau froide, Lola tient à préserver son chez elle. "D'où mon choix de vivre seule chez moi, tout en ayant un amoureux.C'est en extérieur que Lola croise pour la première fois son Francisco de 4 ans son aîné. "Nous nous sommes rencontrés en 1983, lors d'un festival de rock à Bordeaux." Ils se perdent de vue puis se recroisent par hasard en 1985.

"Après plusieurs tentatives d'incruste, il a lâché l'affaire"

"Puis rapprochement, puis flirt, puis davantage…!" Ils vont tenter de s'installer ensemble. Peine perdue. Après quelques semaines, chacun retourne chez soi. "Pour mieux travailler et mieux vivre." C'est décidé. Leur amour se vivra séparément, ou mourra. Et cette distance imposée, c'est Lola qui va l'initier. "Après plusieurs tentatives d'incruste, il a lâché l'affaire. Ne pas vivre ensemble, un désir-obligation pour moi qui ai besoin d'espace et de calme, car je n'ai pas d'horaire pour créer." Quant à Francisco, réalisateur de documentaire et journaliste, il s'arrange volontiers de cette séparation de corps. Comme Lola, il exerce un métier passion qui exige des déplacements réguliers. "C'est un voyageur noctambule", dit Lola de son âme-soeur.

"Je sors, je lis, je mets la musique à fond ou j'écoute le silence quand je veux. Liberté totale !"

Si l'on peut penser que les couples qui ne vivent pas ensemble doivent s'organiser pour entretenir la flamme, Lola vient balayer les certitudes. "Aucune! Tout se fait au feeling. J'aime chiner aux puces, dans les vide-greniers, et prendre le temps ensuite de recycler et créer dans mon atelier, qui est également mon appartement et inversement", explique la créatrice qui évolue seule, à son rythme, dans un espace de plus de 90 m2 en plein cœur de Montpellier. "Je vis, je mange, je sors, je dors, je travaille, je lis, je mets la musique à fond ou j'écoute le silence quand je veux. Liberté totale !" s'exclame-t-elle. Même son de cloche pour Francisco. "Il a autant besoin de calme, de place et de liberté que moi" poursuit Lola. C'est peut-être le secret de longévité de leur couple. "Nous fêtons cette année nos quarante ans de rencontre" conclut Lola.

Coup de foudre sur un banc public

Luce a 34 ans lorsqu'elle rencontre par hasard Jean*, qui en a 38. Nous sommes en avril 1999. Ils sont chacun dans une histoire de couple conventionnelle. Elle est avocate, mariée et mère de 2 enfants. Elle vit sur le littoral méditerranéen. Il est metteur en scène et professeur de théâtre et vit en région parisienne, avec femme et enfants. Rien ne laissait présager d'une histoire d'amour durable entre les deux que tout oppose. Pourtant, lorsqu'ils s'assoient sur le même banc de ce jardin public il y a 25 ans, entre eux, tout va devenir très rapidement évident : c'est le coup de foudre et il va être compliqué de se séparer. "Nous avons passé 4 heures sur ce banc, à discuter de tout et de rien, mais en étant dans l'impossibilité de nous quitter", se souvient très clairement Luce, attirée dans ce jardin par sa fille, alors qu'elle accompagnait son mari au Marathon de Paris. "Un coup de foudre comme on n'imagine pas que cela puisse exister." Ils s'échangent leurs numéros et se séparent. "On a tenu un mois, deux mois, puis on s'est rappelés, et on s'est revus et notre histoire a commencé et on a très vite compris que notre vie allait se vivre ensemble", poursuit-elle.

"Le TGV a été notre 3e maison pendant 10 ans"

Pendant une dizaine d'années, Jean est resté en région parisienne pour son travail et ses enfants, tout comme Luce dans le sud de la France. "Il voulait rester auprès de ses enfants et j'avais mon cabinet dans le sud et ne souhaitais pas séparer mes enfants de leur père" explique l'avocate. "Le TGV a été notre 3e maison pendant 10 ans." Des allers-retours qui ne vont que renforcer leur certitude : ils sont faits l'un pour l'autre et sont très amoureux.

Lorsque Jean décide de monter une école de théâtre vers chez Luce, immédiatement, le couple doit faire face aux critiques et aux clichés. "On a tout entendu, de moi cédant à la tentation du coup de foudre pour un artiste parisien, 'ça va te passer', de lui qu'il profitait de la situation aisée d'une avocate aisée, personne ne pariait une cacahuète sur notre histoire", s'amuse Luce. En 2013, Jean, libéré de ses obligations parentales, s'installe définitivement dans la même ville que Luce.

"C'est lui qui m'a dit qu'il préférait avoir son propre appartement"

"Cela me paraissait évident que nous allions vivre ensemble", pensait Luce. Et c'est Jean qui va trancher. "C'est lui qui m'a dit qu'il préférait avoir son propre appartement" dit-elle. Une décision qui va heurter Luce dans un premier temps, mais qui finira par très bien lui convenir. Car la grande angoisse de Luce était justement qu'une vie commune sonne le glas de leur amour. "Finalement, il a pris la décision pour nous et cela m'a très bien convenu et continue de très bien me convenir!", s'exclame-t-elle. "Nous avons deux caractères forts et sous le même toit, ça aurait été compliqué." "De toute façon, il travaille le soir souvent tard et moi en journée, nos horaires très différents ne nous auraient pas permis de vivre ensemble." Une vie commune aurait été vouée à l'échec.

"A la moindre tension, je rentre chez moi ou lui chez lui pour que chacun retrouve l'apaisement"

"Si on avait vécu ensemble, ça n'aurait pas duré 6 mois. Nous avons bâti notre relation sur la distance, et même lorsque nous avons eu l'occasion de vivre ensemble et même d'avoir un enfant, nous avons choisi de rester chacun chez soi. Cela nous convient très bien jusqu'à présent." Et c'est aussi pratique en cas de dispute : "A la moindre tension, je rentre chez moi ou lui chez lui pour que chacun retrouve l'apaisement." Si Luce et Jean sont indépendants, ils n'en sont pas moins amoureux et tiennent à se retrouver régulièrement. Ils mettent en place leur rituel. "Nous nous accordons quelques pauses, soit par nécessité familiale, soit par envie. Un petit morceau de routine qui nous conforte dans l'amour que nous nous portons toujours" conclut Luce.

*prénoms d'emprunt / Chiffres Ined