Qui est Meriem Salmi, la psy qui murmure à l'oreille des athlètes ?

Meriem Salmi compte parmi ses patient-e-s le judoka Teddy Riner, l'escrimeuse Ysaora Thibus ou encore la pentathlonienne Élodie Clouvel. Cette psychologue et psychothérapeute a bien voulu discuter avec nous de son métier, entre écoute de soi, performance et santé mentale.

Qui est Meriem Salmi, la psy qui murmure à l'oreille des athlètes ?
© Meriem Salmi en 2014 par SIPA

Avocat-e-s, artistes, politiques… La patientèle de Meriem Salmi réunit l'élite française. Dans son cabinet se pressent aussi de nombreux-euses athlètes, qui, comme Teddy Riner, la consultent parfois depuis plusieurs décennies. Rencontre. 

Journal des Femmes : Quel a été votre parcours avant de devenir psychologue du sport ?
Meriem Salmi :
J'ai toujours baigné dans le sport. Mon père était boxeur amateur, moi-même j'ai été gymnaste, basketteuse et désormais, je suis karatéka. Enfant, j'ai même intégré la première école sport-études de France ! Plus tard, j'ai été bénévole dans des structures sportives, j'ai monté un club de préformation de football avec des ami-e-s… Mais professionnellement, je n'ai pas commencé par de la psychologie du sport, car cela n'existait pas quand j'ai débuté mes études à la faculté de Jussieu. À l'époque, j'hésitais entre math sup et psycho. J'ai choisi la deuxième option alors que cette discipline jouissait d'une connotation péjorative : elle était synonyme de fragilité et de faiblesse. Avant de me focaliser sur le sport, j'ai travaillé dans les quartiers, dans la rue avec les usager-ère-s de drogue, ainsi qu'en prison. J'ai toujours été intéressée par les gens et leurs parcours.

Quand avez-vous commencé à exercer votre profession avec des athlètes ?
J'ai lancé mes premiers entretiens avec des sportif-ve-s de haut niveau en 1995-1996, dans le centre de préformation de football que j'ai aidé à créer. J'ai ensuite travaillé dans différentes structures comme les Creps (Centre de ressources, d'expertise et de performance sportive). On commençait alors à envisager le fait que la préparation mentale était intéressante, mais on n'en était pas encore à ce que je proposais, à savoir un acte sur l'humain et non sur la performance. Aujourd'hui, tout le monde parle de santé mentale, mais pendant très longtemps, personne n'abordait ce sujet. Alors à mes débuts, beaucoup pensaient que mon travail était inutile, voire qu'il abîmait les athlètes. Aux JO de Rio, en 2016, un journaliste m'a même demandé : "Vous êtes sûre que vous servez à quelque chose ?"

Comment est-ce que votre travail a évolué au cours des années ? 
Je suis arrivée à l'Insep à la fin des années 90 par l'entremise du chef de service de l'époque, Eric Josselin. J'étais alors intervenante extérieure et je faisais de la prévention, puis je suis devenue responsable de suivi psychologique, et au fur et à mesure, on a franchi des étapes. Mais il faut se souvenir qu'au départ, la discipline n'intéressait pas du tout les médias. Le chemin pour populariser notre travail s'est fait très lentement. Quelques athlètes ont néanmoins pris la parole, comme Pascal Papé après sa tentative de suicide, ou encore Teddy Riner, notre meilleur ambassadeur. Il a fallu mener beaucoup de combats pour que la santé mentale soit considérée. Cette évolution est aussi à mettre en parallèle avec le chemin qu'a fait la société par rapport à la psychothérapie. Pendant des années, on ne nommait pas le fait de consulter un psy, on disait pudiquement : "Je vais voir quelqu'un".

Pour quelles raisons les athlètes poussent-iels la porte de votre cabinet ?
Les sportif-ve-s viennent généralement me voir quand iels ne vont pas bien, parce qu'il y a des contreperformances. On ne peut pas dire que ça ait beaucoup évolué, même si dernièrement, j'ai reçu un footballeur qui m'a dit : "Moi, je vais bien, je veux juste être le meilleur". Ce qui a changé, c'est qu'aujourd'hui, les athlètes sollicitent de plus en plus les psychologues. Les gens osent davantage aller consulter. Et c'est vraiment génial, parce qu'il ne faut pas attendre d'aller mal pour agir. Il faudrait que l'on consulte les psychologues aussi spontanément que l'on consulte les médecins, D'autant que les deux disciplines vont ensemble. Les douleurs chroniques, par exemple, ont un impact direct sur la santé mentale. 

Comment travaillez-vous concrètement avec les sportif-ve-s ?
Si j'hésitais entre math sup et psycho lorsqu'il fallait choisir ma voie, c'est parce que la psychologie, c'est mathématique. Un-e athlète vient me voir, iel a des compétences et veut les améliorer : j'ai une approche systémique et je passe en revue l'ensemble de la personne que je reçois. À quelle fréquence s'entraîne-t-elle, est-ce qu'elle travaille, a des enfants, est en couple, fait des études… Je lui donne des connaissances sur le fonctionnement du cerveau, qui expliquent pourquoi elle réagit de telle ou telle manière. Si un-e patient-e s'adresse à moi parce qu'iel fait des contreperformances, il est nécessaire trouver à quoi ces dernières sont liées. On met souvent ça sur le compte du mental, alors que c'est généralement dû à une fatigue extrême. Il faut donc déterminer comment s'entraîner efficacement et définir les limites. Si les sportif-ve-s n'arrivent pas à ressentir leur fatigue, c'est parce qu'iels ont une tolérance à l'effort physique qui est hors norme. Ce qui est compliqué, c'est que la performance se situe dans les zones rouges : si je ne pousse pas, je ne sais pas quelles sont les limites. Il faut donc réussir à doser. On apprend à récupérer, à faire de la qualité lors de l'entraînement. Plutôt que de faire une répétition 100 fois, comment le faire moins, mais mieux ? En définitive, la performance, c'est une harmonie.

On dit souvent que le mental des athlètes français leur fait défaut lors des grandes compétitions. Qu'est-ce qui diffère d'avec leurs homologues américain-e-s ou britanniques ?
La France est très en retard sur la question de l'accompagnement psychologique par rapport à la Chine, aux pays de l'Est, à la Grande-Bretagne ou aux États-Unis. Ce n'est pas que nous sommes moins bons mentalement, c'est plutôt que nous avons adressé la question de la santé mentale bien après les autres pays qui, entretemps, ont avancé. Et puis, nous ne sommes pas un pays de sport, l'activité physique est uniquement considérée comme un loisir et n'est pas du tout valorisée. Personnellement, j'ai toujours pensé que les athlètes de haut niveau étaient des surdoué-e-s. À une certaine époque, tenir ce discours faisait pouffer de rire les assemblées. En France, on valorise l'intelligence académique, alors que par définition, l'intelligence, c'est la capacité à s'adapter, ce que font les sportif-ve-s à longueur de journée. 

Aidez-vous les athlètes à anticiper l'après ?
Oui, bien sûr, il faut absolument travailler la fin de carrière. C'est fondamental, parce qu'il s'agit de périodes de très grande vulnérabilité au cours desquelles il faut s'adapter à un autre monde. Il faut se souvenir que les athlètes sont avant tout des êtres humains, pas seulement des pourvoyeur-euse-s de médailles. Iels entendent souvent qu'iels ne revivront jamais les émotions qu'iels ont connu en tant que sportif-ve-s. Alors oui, ce n'est pas la même manière de vivre les émotions, mais elles sont tout aussi intenses. Il faut que les athlètes, qui assimilent ces clichés depuis leurs débuts, réussissent à en sortir. Sinon, cela supposerait qu'il n'y a que dans le monde sportif que l'on peut vivre des sensations extraordinaires. Pourtant, en réalité, il y a plein de manières de vivre des expériences tout aussi galvanisantes.