J'ai participé à un raid exclusivement féminin en Martinique et c'est l'une des expériences les plus géniales de ma vie

Du 5 au 10 décembre 2023 se tenait la 8ème édition du Raid des Alizés en Martinique. Une compétition sportive réservée aux femmes, à visée caritative.

J'ai participé à un raid exclusivement féminin en Martinique et c'est l'une des expériences les plus géniales de ma vie
© Raid des Alizés/@scoopdyga

Une immense valise fuchsia et un horaire de départ. C'est à peu près tout ce dont je disposais, le mardi 5 décembre, lorsque j'ai pris la direction de l'aéroport. L'organisation de l'événement m'avait prévenue : "Tu devrais rapidement trouver les participantes, vous avez toutes le même sac à roulette". Et ça ne manque pas : dès l'Orlybus, je repère trois bagages roses et leurs propriétaires. Un sourire complice, un signe de tête et c'est parti pour un périple de 10 heures, direction la Martinique. C'est sur cette île des Caraïbes que se déroulera jusqu'au dimanche 10 décembre le Raid des Alizés. Cette compétition sportive, coorganisée par TV Sports Event et le Comité martiniquais du tourisme, réunit chaque année des centaines de femmes pour quatre jours de sport intenses à la découverte de la faune et de la flore locale. Sur place, les concurrentes, qui sont venues par équipe de trois pour essayer d'atteindre la première marche du podium, dorment en tente et mangent sur le bivouac installé dans les jardins du château Depaz, producteur de rhum local. C'est à quelques mètres de la distillerie que les sportives résideront jusqu'à la fin des épreuves. Mais pour l'heure, l'apéro n'est pas au programme. Dans chaque tente attendent un oreiller, un duvet et un tapis de yoga. Un équipement sommaire sur lequel s'écrouleront sans ménagement les sportives, chaque soir, pour un repos bien mérité.

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Le bivouac des Alizés dans les jardins du château Depaz © Raid des Alizés/@scoopdyga

En attendant, elles ont rendez-vous sous le barnum, sous lequel se tiendront tous les repas, pour le premier brief de la semaine. Présentation des équipes, des 200 bénévoles, du régiment du Service Militaire Adapté de la Martinique et récapitulatif des règles de vie qui régissent le bivouac. La grande nouveauté, cette année, c'est la présence de Lucile Woodward, première coach féminine du raid (!) en huit ans d'existence. Chaque matin, elle prodiguera ses conseils et organisera un rapide échauffement physique ou psychologique selon les jours. Steve, le maître de cérémonie du raid, fait monter sur l'estrade quelques équipes pour qu'elles se présentent et racontent leur histoire. Les participantes découvrent une partie des associations soutenues par les autres équipes (en fonction du classement final, 30 000 euros au total leur seront reversés) et font la rencontre de la plus jeune de l'événement, âgée de 21 ans, ainsi que de la doyenne, de 51 ans son aînée. Enfin, Steve appelle Christophe sur la scène. Les participantes ne le savent pas encore, mais ce dernier s'apprête à devenir leur bête noire. L'homme qu'elles maudiront tout au long des épreuves qu'il a imaginées pour elles. Il faut dire que ce monsieur a un esprit particulièrement retors. Sa spécialité : pousser les sportives dans leurs retranchements, pour qu'elles se dépassent au-delà de ce qu'elles pensaient pouvoir réaliser. Chaque soir lors du brief, il dévoilera le programme du lendemain. Ainsi, le mercredi 6 décembre, les 75 équipes concurrentes s'élanceront de Saint-Pierre, la ville voisine du bivouac, pour effectuer une boucle de kayak de 4,5 kilomètres dans la mer, suivie d'un parcours de VTT de 9 km et d'une course d'orientation d'une heure. C'est parti !

Jour 1 – L'acclimatation en douceur

4h29. Le silence est total sur le bivouac. 225 Alizés dorment à poings fermés. 4h30. Steve, l'ambianceur autoproclamé, pousse les enceintes à fond : "Radio Alizé, good morning ! Réveil en musique, réveil tonique !". Deux heures plus tard, les filles, emmenées par Lucile Woodward, entament un footing dans les champs de canne à sucre environnants, jusqu'à une plage où les attendent 75 canoës. Je saute dans une embarcation avec Lucile Woodward et Pauline, l'une des CM de l'événement, et on se met à pagayer. Une grande première pour moi, qui tient évidemment la rame dans le mauvais sens. Droite, gauche, droite, gauche, les épaules commencent à chauffer, les psoas à brûler, ça va être long… Mais entre la beauté du parcours, les filles qui scandent les mêmes paroles en chœur et mes acolytes qui se montrent patientes, nous accostons sur la plage 45 minutes plus tard. Les filles grimpent toutes sur leurs VTT orange et partent pour un parcours vallonné. Pendant que je me ravitaille en Tuc et cacahouètes, les premières de l'épreuve apparaissent, l'équipe 7. Je les reconnais ! Il s'agit des Savoyardes avec lesquelles j'ai partagé mon trajet de bus il y a une éternité, le matin précédent. Avec Lucile et Pauline, nous attendons que quelques autres équipes arrivent, puis nous débutons à notre tour la course d'orientation. Nous sommes munies d'une carte et d'un pointeur, et nous devons trouver un maximum de balises en l'espace d'une heure. Il faut impérativement être rentrée au bout des 60 minutes réglementaires, parce que pour chaque minute de retard, les équipes prennent 5 minutes de pénalité. Pas le temps de traîner ! Pourtant, difficile de résister à l'envie de flâner. Le parcours a été pensé pour nous faire découvrir Saint-Pierre et ses principaux points d'intérêt. Les ruines de la maison du gouverneur, le cachot dans lequel aurait survécu un prisonnier lors de l'éruption de 1902, la fresque en mémoire des victimes de l'esclavage… Bref, une visite touristique express, avec en prime pas mal de dénivelé.

Les Alizés emmenées par Lucile Woodward lors de la première journée © Raid des Alizés/@scoopdyga

Une fois l'épreuve terminée, direction le bivouac. Les participantes vont déjeuner sur place, mais moi, j'ai la chance, avec les autres journalistes, de me rendre à L'Habitation Céron. Ce lieu atypique, niché au cœur de la forêt tropicale, abrite un bar, un restaurant, un jardin luxuriant et une chocolaterie. Au menu : une dégustation à l'aveugle de la carte concoctée par le chef, Hugo Thierry. Au service, sa femme, tandis que la sœur de celle-ci, officie aux commandes de la chocolaterie. La table, locavore et responsable, propose quasi exclusivement des produits récoltés au sein de la propriété, tandis que les viandes et les poissons servis sont tous martiniquais. Sans surprise, le repas est délicieux, digne d'un confort à Koh-Lanta, et les saveurs surprenantes à souhait. Le must ? Le gâteau au chocolat servi pour le dessert, à base des fruits de cacao qui poussent dans le jardin. Mais il est déjà temps de retourner sur le bivouac pour assister au "Steve Show". Avant de dîner, l'ambianceur, qui anime des courses et des raids depuis 2014, revient en images sur la journée qui vient de se dérouler. Les équipes photo et vidéo du raid ont capturé des moments insolites et des scènes émouvantes sur la ligne d'arrivée. C'est aussi le moment au cours duquel le Comité martiniquais du tourisme et Depaz offrent des récompenses à l'équipe coup de cœur du jour et aux premières de l'épreuve. Enfin, Christophe annonce l'épreuve du lendemain. 17 kilomètres de VTT avec un dénivelé effrayant. "Il se pourrait que le parcours soit plus difficile que prévu en raison de la gadoue". Bah voyons.

Jour 2 – Le VTT de l'horreur

Il est 4 h, le bivouac s'éveille. Pour se rendre à la Baie des Trésors, rhumerie qui dispose de la dernière sucrerie encore en activité en Martinique, il faut faire 1h30 de bus. Les Alizés, les yeux collés par la fatigue, grimpent à bord des véhicules pour un trajet tout en virages. Sur place, pas de surprise vue la pluie qui est tombée pendant la nuit : le terrain est humide, très humide. Et dès les premiers coups de pédale, le constat. Ça va être long, très long. Les filles se suivent à la queue leu-leu entre les champs de canne à sucre. Elles tombent, se relèvent, glissent à nouveau, râlent un peu de ne pas pouvoir pédaler dans la bouillasse. Mais elles ne sont pas (et moi non plus) au bout de leurs peines. La boue macule les jambes, les baskets virent au marron foncé, de la terre se coince dans les chaînes des VTT. Heureusement, une rivière à traverser sur le parcours permet de retrouver apparence humaine. Mais pour combien de temps ? Quelques kilomètres plus tard, c'est une montée infernale qui attend les participantes. Visqueuse, glissante, pentue (c'est un euphémisme)… Elle doit bien mesurer 17 kilomètres — on me dit dans l'oreillette que c'est impossible, puisque 17 kilomètres, c'est la longueur du parcours entier — en tout cas, niveau ressenti, on y est. Chaque mètre parcouru est suivi d'une glissade d'autant et le slow motion est une avance rapide par rapport à la vitesse moyenne de progression. Les pédales griffent les jambes, les VTT pèsent une tonne, les filles maudissent Christophe d'une seule voix.

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Les Alizés en pleine épreuve de VTT © Raid des Alizés/@scoopdyga

D'un autre côté, cette épreuve est aussi l'occasion de prouver la solidarité qui règne chez les Alizés. Les participantes s'entraident toutes, peu importe le nom qui figure sur leur dossard. Moi qui navigue en solo, je rencontre les cousines de la team 17 et les collègues de la team 23, avec qui je partage un bout de trajet. Mais c'est seule que je passe la ligne d'arrivée, au terme de 4h d'effort. Pas mal pour une première fois à VTT. Ah, attendez, les premières, l'équipe 7, a effectué le trajet en 1h40 (lol). À peine le temps de se rincer au tuyau qu'il est temps de déguster un repas dans les jardins de la Baie du Trésor. Ce lieu produit, en plus du sucre, du rhum depuis le XIXème siècle. Les crus se nomment Plein soleil, Fleurs du vent ou Fruit des pluies en fonction de l'exposition des parcelles de cannes à sucre qui ont été utilisées pour les produire. Sur le bivouac, l'heure est au débrief. Oui, c'était dur, oui on s'en souviendra toute notre vie, mais nous sommes (presque) toutes arrivées au bout ! À retenir : la fierté d'avoir bravé les éléments. Mais pas le temps de trop s'écouter. Le lendemain, c'est l'épreuve phare qui attend les participantes : le trail. En allant me coucher, une question demeure : pourquoi est-ce que je ne sens plus mes bras alors qu'il s'agissait d'une épreuve de VTT ?

Jour 3 – Trail en montagne

Aujourd'hui, ça va être plus facile, c'est sûr ! Pas si vite : l'épreuve de la journée est l'ascension de la montagne Pelée. Plus qu'un simple mont, il s'agit en fait d'un ancien volcan, dont la plus tristement célèbre éruption date de 1902. À l'époque, la ville de Saint-Pierre qui se trouve en contrebas, avait été complètement détruite. Seules trois personnes y auraient survécu : Louis-Auguste Cyparis, un prisonnier qui séjournait dans un cachot, Léon Compère-Léandre, un cordonnier et Havivra Da Ifrile, une petite fille qui se serait échappée sur la barque de son frère. Retour en 2023. Les Alizés auront pour mission de parcourir 17,24 km avec un dénivelé de 1 207 m. Détail qui a son importance : une barrière horaire a été établie à 3h45, au premier refuge. Pour cette troisième journée d'épreuves, je me greffe à l'équipe 40, composée d'Eloïse et Isabelle, dont la troisième membre a dû abandonner suite à une chute à VTT la veille. Pendant l'ascension, leur comparse ne quitte pas leurs pensées : elles veulent la rendre fière et lui redonner le sourire. Mais il va falloir s'armer de courage, parce que ça monte sec. Durant 9 kilomètres, on avance, pas après pas, dans la forêt, puis le long de la montagne Pelée. Une longue file d'Alizés en rose et bleu, qui se suivent et s'entraident dès qu'elles en ont l'occasion. "C'est dur, mais au moins, on n'a pas de vélo", se répètent-elles pour se motiver.

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Les Alizés dans le brouillard de la montagne Pelée © Raid des Alizés/@scoopdyga

Tout en haut, le brouillard nous cueille, accompagné d'une fine pluie qui trempe les imperméables des participantes. Et c'est parti pour la descente, encore plus dure, si c'est possible, que la montée. La roche volcanique est mouillée, donc glissante. Pour éviter de tomber, je passe souvent en mode toboggan, sur les fesses. Comme ça, pas de risque de me blesser. Arrivées au refuge, c'est la désillusion pour l'équipe 40 et pour un grand nombre d'Alizés. La barrière de temps, qui a déjà été allongée de 15 minutes, a été dépassée. Elles ne pourront pas finir l'épreuve et écoperont donc d'une pénalité. Je m'élance alors toute seule sur le parcours et je retrouve rapidement la dernière équipe à avoir pu l'emprunter. "Ça s'est joué à quelques secondes, on a pleuré de joie à l'idée de pouvoir continuer, et de tristesse pour les autres filles arrivées juste après nous", m'explique l'équipe 38, les AliZoé venues pour soutenir l'association française du syndrome de Rett. Avec elles, je découvre le parcours dans la jungle, les cordes nécessaires pour franchir le relief boueux, les passages dans les rivières… À la forêt tropicale succède les champs de canne à sucre. Une vraie bonne nouvelle, puisque cela signifie que l'on se rapproche du château Depaz. Une foulée puis l'autre, ça y est, je vois enfin la ligne d'arrivée !

Jour 4 – Kayak de l'extrême et ultime trail

Ce matin, le réveil a un goût particulier. C'est le dernier jour, il faut d'ailleurs plier bagage avant de gagner le lieu de l'épreuve. Les militaires s'activent : iels plient les tentes, rangent les valises dans les camions et nettoient le bivouac en un temps record. Une fois arrivées aux anses d'Arlet, les filles grimpent toutes sur le ponton duquel elles devront courir pour rejoindre leurs canoës disposés sur la plage. Pendant 6,5 km, elles vont ramer dans "un décor de carte postale", dixit Christophe. Les participantes ont appris à se méfier de ses déclarations, mais ce matin, elles y croient et moi aussi. Le soleil brille dans un ciel azur, ça devrait aller à toute vitesse. Naïves. Comme le premier jour, je fais équipe avec Lucile Woodward. Moi devant, elle derrière et entre nous, les éléments. Parce que quelques minutes après notre départ, c'est le vent, puis la pluie (ressenti grêle) qui s'abattent sur nous. Gauche droite gauche droite et bim, on tamponne l'équipe 56, et bam, on se prend les 75… Pour la carte postale, on repassera. Et puis d'un coup d'un seul, c'est le flow, cet état un peu bizarre qui fait qu'on se retrouve hors de soi, malgré les cloques qui se forment sur les doigts, malgré les douleurs au niveau du dos, malgré les crampes aux épaules. Gauche droite gauche droite gauche droite et hop, notre kayak touche le sable ! Juste le temps de boire un verre de Coca et de manger des Tuc qu'il faut repartir pour 6,18 km, avec 315 tout petits mètres de dénivelés. Ils nous auront fait pester, avec Lucile, quand il fallait utiliser, encore (pourquoi ?) nos jambes éreintées pour grimper. Mais au terme de 1h28, elle est enfin là, la ligne d'arrivée, posée sur le sable, avec une véritable haie d'honneur d'Alizés des deux côtés qui nous acclament.

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Les Alizés accueillent les finishers avec une haie d'honneur © Raid des Alizés/@scoopdyga

Plus que quelques mètres, c'est bon… On l'a fait. Les unes après les autres, les équipes passent sous l'arche Raid des Alizés qui symbolise la fin de leur aventure. Elles se marrent, pleurent, dansent avec leurs coéquipières, fières d'avoir réussi à enchaîner quatre jours d'épreuves intenses. C'est ce qu'elles raconteront au micro de Steve, dans quelques heures, lors de la soirée qui marque la fin du raid des Alizés à l'hôtel Pierre & Vacances – un rêve après quatre nuits de tente et de toilettes dans des préfabriqués. Les filles, toutes habillées en blanc, étaient nombreuses à arborer sur leurs cheveux des maré tèt, ces foulards multicolores noués par les mains expertes de la styliste éco-designer Emmanuelle Soundjata. Samir Boudjemaa, directeur de la société coorganisatrice, TV Sport Events, leur dira : "J'espère qu'après ce raid, vous avez toutes trouvé ce que vous êtes venues chercher en Martinique. Il y a 8 ans, lorsque nous avons imaginé cet événement, nous souhaitions en faire une compétition sportive. Très vite, vous avez réécrit le récit de cet événement pour en faire une aventure humaine. Vous êtes toutes arrivées au bout de ce raid et maintenant, vous avez rejoint la famille des Alizés".

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L'équipe 7, grande gagnante du raid des Alizés © Raid des Alizés/@scoopdyga

Au cours de cette dernière soirée, l'équipe 7, les Savoyardes qui ont dominé toutes les épreuves, ont tenu à partager leurs prix, comme la veille, avec certaines participantes du raid. Après avoir distingué toutes les teams arrivées en dernier lors des trois premières épreuves de la compétition, elles ont cette fois-ci offert leurs récompenses à l'équipe 59, composée notamment d'une femme atteinte de sclérose en plaque et de son infirmière, mais aussi à leurs challengeuses, l'équipe 21, et à Steve, inénarrable ambianceur de l'événement, touché aux larmes. Il n'est pas le seul à être bouleversée; moi aussi, après ces longues heures passées en compagnie des Alizés, je suis émue. Au début de l'aventure, chaque équipe a dû se définir en un mot. Je crois pouvoir affirmer que celui qui résume le mieux le Raid des Alizés est sororité. D'ailleurs, moi qui ai vécu l'aventure en solo, je peux le dire : pendant 4 jours, je n'ai pas eu de team, mais j'ai fait partie de 75 équipes.