Affaire James Foley : l'insupportable message de l'Etat islamique

Depuis le meurtre du journaliste américain James Foley et la diffusion de la vidéo de son exécution mardi 19 août, l'opinion internationale est en émoi. Pour les djihadistes de l'Etat islamique, le message est passé.

Mardi 19 août. Onze jours après les premiers raids aériens américains contre des positions tenues par l'Etat islamique, les extrémistes sunnites de l'EI affirment avoir tué le journaliste américain James Foley, disparu près de deux ans plus tôt en Syrie. Une vidéo de son exécution circule alors sur Internet : James Foley se tient à genoux dans le désert, en tenue orange, comme pour rappeler celle des prisonniers américains. Il est alors forcé d'encourager ses compatriotes à se soulever contre son "vrai meurtrier", "le gouvernement américain". Derrière lui, un homme masqué et entièrement vêtu de noir demande la fin des frappes aériennes américaines contre l'Etat islamique en Irak et menace de tuer un autre journaliste, Steven Sotloff, si ses demandes ne sont pas respectées.

Le journalisme freelance, un métier dangereux dont James Foley a payé les frais. Le 22 novembre 2012, après avoir été dans un café Internet, James Foley et un confrère prennent un taxi en direction de Damas. C'est là que trois hommes armés les kidnappent.
Depuis la mort de la photographe Marie Colvin à Homs, en 2012, la plupart des médias ont cessé d'envoyer leurs correspondants en Syrie. Selon James Harkin, un journaliste parti rechercher des traces de James Foley, 80 % des journalistes qui se trouvent dans le pays sont freelance comme l'Américain.
A 40 ans, James Foley ne faisait pas partie des reporters aventuriers, c'était au contraire un "journaliste très expérimenté", selon les propres termes de Didier François, un confrère français longtemps retenu en otage à ses côtés. Il avait notamment couvert le soulèvement contre le régime de Bachar Al-Assad pour le site d'information GlobalPost, l'Agence France Presse ainsi que d'autres médias. Nicolas Hénin, lui aussi otage en compagnie des deux journalistes, a confié à L'Express que James Foley était "vraiment plus maltraité". Et pour cause : "En fouillant dans son ordinateur, ils ont découvert que son frère travaillait dans l'US Air Force. A cause de cela et en tant qu'Américain, il a eu droit 'à un traitement de faveur'. Il est devenu le souffre-douleur des geôliers", a-t-il affirmé.
Diane Foley, la mère du journaliste américain, a réagi avec émotion sur Facebook quelques heures après l'annonce de l'assassinat : "Nous n'avons jamais été plus fier de notre fils. Il a dédié sa vie à montrer la souffrance du peuple syrien. Nous implorons ceux qui l'ont kidnappé d'épargner la vie des autres otages. Comme Jim, ils sont innocents, ils n'ont aucun contrôle sur la politique du gouvernement américain en Irak, en Syrie, ou ailleurs dans le monde".

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James Foley en Syrie, en 2012 © Nicole Tung/AP/SIPA

Qui sont les djihadistes de l'Etat islamique ?

L'Etat islamique en Irak et au Levant est une organisation armée djihadiste dont la création remonte à 2006. Elle accompagne son édification d'exécutions, de crucifixions, de décapitations, de punitions en tout genre. Son but ? Fédérer un maximum de rebelles pour mener la lutte contre le régime syrien, mais aussi et surtout s'affirmer par les conquêtes comme le vrai chef des sunnites. Son outil ? La violence. L'EI est accusé par l'ONU, la Ligue arabe, les Etats-Unis et l'Union Européenne de crimes de guerre et de crime contre l'humanité.
Cet été, une opération secrète de l'armée américaine, qui visait à secourir James Foley et d'autres otages, capturés par l'EI en Syrie, a échoué. Barack Obama, le président des Etats-Unis, s'est exprimé au lendemain de l'annonce de l'exécution du journaliste américain et a jugé que l'Etat islamique "n'a pas sa place au XXIe siècle". Il ajoute que "l'EI ne parle au nom d'aucune religion. Aucune religion ne dit de massacrer des innocents. Leur idéologie est creuse" et précise que les Etats-Unis continueront de prendre les mesures nécessaires pour protéger leurs citoyens.

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Barack Obama s'est exprimé sur le drame © Capture d'écran Youtube

Fallait-il partager cette vidéo ? 

Une réserve est en premier lieu émise au moment de l'annonce de la mort de James Foley, avant que la Maison Blanche ne confirme l'authenticité des images le 20 août.
La vidéo est insoutenable, la mise en scène est sordide et très vite après sa publication, elle est supprimée de YouTube... Avant d'être inlassablement remise par certains comptes. S'il semble important pour tout journaliste de connaître son sujet en regardant la vidéo, elle n'est certainement pas à mettre à la vue de tout le monde.
La chaîne américaine CNN a quant à elle choisi de montrer des captures de la vidéo montrant James Foley et son bourreau avant l'exécution, mais aucune chaîne ne montrera l'exécution en elle-même. Le New York Post, lui, va plus loin et choisit d'afficher sur sa Une une capture d'écran de la vidéo quelques dixième de secondes avant la décapitation (attention, l'image peut choquer).
Pour beaucoup, le partage de ces images ne fait que renforcer l'EI et le hashtag #ISISMediaBlackOut, qui invitait les médias à ne pas diffuser les images, s'est répandu comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux.
Est-ce la solution pour autant ? Montrer, c'est informer et c'est surtout dénoncer. Les règles que l'on applique à la télévision sont différentes de celles utilisées sur la Toile : pour l'Observatoire des Médias, nous regardons la télévision de manière passive "on ne connaît pas forcément, à l'avance ce qui va passer", mais sur Internet, "le clic est un acte volontaire, conscient".

Pendant ce temps, les extrémistes ultra-radicaux de l'EI lancent eux aussi leur hashtag #AmessageToAmerica. Partager cette vidéo sert de propagande aux djihadistes : sur les réseaux sociaux, les pro-djihad s'en réjouissent et tapissent leur profil d'images de l'exécution du journaliste.
Pour eux, il s'agit là d'une victoire en ce qu'ils sont parvenus à renforcer le populisme et les clichés. Les Etats-Unis bombardent l'Etat islamique sur le terrain et l'EI bombarde les Etats-Unis sur Internet.