Asia Argento : "Il ne faut plus que les femmes soient des courtisanes, en position de soumission"

Asia Argento, 44 ans, est la première présidente du jury de l'Histoire du Festival International du Film Fantastique de Gérardmer. A cette occasion, nous sommes allés à la rencontre d'une femme libre, conquérante et passionnée, qui fut une figure emblématique du mouvement #MeToo.

Asia Argento : "Il ne faut plus que les femmes soient des courtisanes, en position de soumission"
© AdriA Salido Zarco/SIPA

Elle était toute désignée pour fouler les terres fantastiques de Gérardmer où, chaque année, le meilleur de l'effroi joue des coudes. L'actrice, réalisatrice et chanteuse italienne Asia Argento a en effet grandi avec un papa qui fait office d'ambassadeur du cinéma de genre et de chantre du giallo : Dario Argento. Autant dire que son avis sera parfaitement affûté pour départager, aux côtés d'un jury composé notamment de Niels Schneider et Arielle Dombasle, les dix films de la compétition. Dans les salons cosy du Grand Hôtel géromois, elle a répondu, le regard pénétrant, aux questions du Journal des Femmes. Sur le cinéma de genre ou encore l'état du monde post#MeToo. Entretien en français, langue qu'elle a apprise "grâce aux chansons de Gainsbourg".  

La peur est-elle un des sentiments que vous recherchez le plus en allant au cinéma ?
Asia Argento :
Non, pas forcément… Je crois que la peur est un sentiment nécessaire à l'être humain. Depuis petit, on la cherche pour devenir courageux. Face à l'écran, j'aime globalement être divertie et sortir de la salle avec la tête qui tourne et qui pense.

Le cinéma d'horreur met souvent en lumière la marge et épingle la masse. Est-ce pour ça que vous l'affectionnez, vous qui aimez tant la singularité ?
Asia Argento :
Oui, bien sûr, c'est une raison claire. Les fans du cinéma de genre ne sont pas comme les autres. Ce sont des geeks, des passionnés (sourire)… Il n'y a aucun autre genre qui est célébré avec la même force. Il réunit les gens… J'aime cette expérience commune qui consiste à ressentir, tous ensemble, la même chose, au même moment. Sursauter avec les autres pour une bonne scène, c'est quelque chose d'extatique. Un peu comme à l'église, c'est un moment sacré. Aujourd'hui, la télé, Netflix et toutes les plateformes digitales tendent à rompre cette tradition de la salle.

Vous êtes la première présidente du jury de l'Histoire du Festival International du Film Fantastique de Gérardmer, est-ce important pour vous ?
Asia Argento :
On me pose beaucoup cette question et je n'ai pas de réponse politique… Vous savez, je sais très bien quelle est la place des femmes au cinéma, surtout les réalisatrices… Nous sommes toujours en minorité. Il n'y a pas d'égalité. Mais c'est bien que ce festival lance un tel message et affiche une sélection incluant deux réalisatrices… Nous sommes aussi trois femmes dans le jury (avec Alice Winocour et Arielle Dombasle, ndlr).

Vous avez été l'une des figures de proue du mouvement #MeToo. Depuis trois ans, trouvez-vous que des changements soient notables ?
Asia Argento :
Non… Pas vraiment… Je ne veux pas être négative mais je suis réaliste. Depuis des lustres, le matriarcat a été tué… Pourtant, on n'avait pas de guerres quand les femmes étaient au pouvoir. Ceux qui l'ont, ce sont les mecs. Je crois que ça va nous prendre des siècles pour que les choses évoluent. 

Plusieurs mouvements sont en marche. Une prise de conscience mondiale semble s'être opérée, non ?
Asia Argento :
Ce n'est pas en enfilant une robe avec un pin's et en disant "Je suis contre" que ça changera. C'est une façade. A titre personnel, je ne voulais pas entrer dans cette machinerie hollywoodienne. #MeToo, ça fait deux pas en avant et quatre derrière, surtout quand on voit le combat acharné mené aux Etats-Unis pour interdire l'avortement. Il faut faire gaffe.

"L'industrie du cinéma m'a tuée..."

Que préconisez-vous, à part les pin's, pour faire bouger les lignes ? Vous avez en tout cas eu le courage de prendre la parole… Ce n'est pas rien…
Asia Argento :
J'ai fait ce geste kamikaze en 2018 à Cannes et dit la vérité devant tout le monde (elle révélait s'être fait agresser sexuellement à 21 ans par Harvey Weinstein, ndlr). J'étais complètement à nu. Après ça, l'industrie du cinéma m'a tuée. Même les femmes ont eu peur de moi. A la suite de ce discours, tout le monde m'a tourné le dos. On me regardait comme quelqu'un souffrant d'une maladie contagieuse. La seule personne qui est venue me dire bravo, c'est Spike Lee… J'étais été mal perçue par tous les autres. C'est sûrement plus acceptable de voir une femme avec une robe Dior sur un tapis rouge… Peut-être que mon message était trop fort et que je dois apprendre de Nelson Mandela ou Desmond Tutu… Je le regrette.

Vraiment ?
Asia Argento :
Oui, je regrette tout. 

Pourquoi ?
Asia Argento :
Parce que j'en ai payé le prix fort. J'ai perdu mon boulot. Voir ce que j'ai pu soulever ne me procure rien. J'ai aidé beaucoup de femmes, mais je ne souhaitais pas avoir de publicité autour de ça. Je ne voulais pas que tout ça devienne un produit hollywoodienne. Les hommes ont par la suite parlé de chasse aux sorcières et ça me trouble beaucoup. Ils n'ont pas à avoir peur. Moi, je parle précisément d'un homme qui a abusé de plus de 80 femmes. Il est inutile de craindre le jeu amoureux, la séduction, etc… C'est l'abus de pouvoir qui est insupportable ; il ne faut plus que les femmes soient comme des courtisanes, en position de soumission.

"Le mettre sous le tapis ne fera pas disparaître le monstre"

Qu'attendez-vous du procès de Harvey Weinstein ?
Asia Argento :
Je continuerais à avoir peur tant qu'il n'aura pas payé pour ce qu'il a fait. C'est un sociopathe, il ne peut pas s'arrêter. Il a un côté serial. Les cures de désintoxication sexuelle ne marchent pas pour lui, c'est un malade. J'ai très peur de lui, comme de nombreuses femmes. Il a fait beaucoup de mal. Il a même engagé le Mossad pour enquêter sur nous et était prêt à détruire nos carrières…

Allez-vous mieux aujourd'hui ?
Asia Argento :
Oui, je me suis détachée de tout ça. J'essaye de ne pas y penser. Après, il est clair que je ne peux pas étouffer le traumatisme. Le mettre sous le tapis ne fera pas disparaître le monstre. 

Que peut-on vous souhaiter pour 2020 ?
Asia Argento :
La paix.