Sabine Bruto : "J'ai été amputée de 6 ans de la vie de mes enfants"

Six longues années : c'est le temps qu'il aura fallu à Sabine Bruto pour retrouver ses fils Adam et Alexandre séquestrés par leur père en Tunisie. Six années qui ont transformé cette maman et changé sa vie. Rencontre avec une éternelle optimiste !

Sabine Bruto : "J'ai été amputée de 6 ans de la vie de mes enfants"
© Sabine Bruto

Ne dites pas à Sabine Bruto qu'elle est une mère courage ou une pasionaria. "Je suis la maman d'Adam et d'Alexandre, une mère qui s'est battue pour que ses enfants soient libres", martèle cette jeune femme de 37 ans qui raconte son histoire dans un livre J'irai chercher mes enfants paru chez City Editions et qui n'aurait jamais imaginé ce qui allait lui arriver.
En 2000, Sabine n'a que 18 ans quand elle rencontre un jeune homme prénommé Rachid en Tunisie lors de vacances avec sa meilleure amie. Charismatique, le jeune homme présente bien et se montre très ouvert. Cette histoire d'amour finalement banale va donner naissance à deux enfants et tout d'abord à Adam en septembre 2003. L'année suivante Sabine demande à Rachid de l'épouser ce qu'il accepte, mais cette union qui doit leur permettre d'ouvrir une nouvelle page de leur histoire va en fait marquer le début de la fin de leur amour et du cauchemar.
Car Rachid a changé. Depuis qu'il crée des sociétés avec le soutien de Sabine, l'homme se montre possessif, macho et l'argent qu'il amasse commencer à lui monter à la tête.
"C'est quand je suis tombée enceinte d'Alexandre que nos chemins ont commencé à se séparer car nous n'avions plus les mêmes projets de vie et la même vision de la famille. Les relations n'avaient jamais été simples en raison notamment de différences culturelles, mais nous étions passé outre ", raconte Sabine qui s'est installée quelques temps avec son mari en Tunisie, le projet étant de revenir s'installer sur Fontenay.
Désormais les compromis n'ont plus lieu d'être car Rachid qui n'a pas eu une enfance facile se montre fermé et ne supporte pas que sa jeune épouse qui ne sent pas bien exprime ses sentiments. 
Quand la jeune femme accouche de son deuxième enfant fin septembre 2006, après que la famille se soit réinstallée en France mais que Rachid continue d'effectuer des allers-retours, elle est seule. "J'ai trop de travail", lui rétorque son mari quand elle l'appelle pour l'informer du l'imminence du terme. 
"Cela a été l'élément déclencheur. Je n'ai pas supporté qu'il privilégie son travail à sa famille. A la maternité, je criais déjà : je veux divorcer", confie Sabine et cette histoire d'amour s'essouffle peu à peu. La requête en divorce est enregistrée en mai 2009 à Créteil. Etrangement Rachid encaisse plutôt bien la nouvelle et semble gérer la séparation quand Sabine lui confie les enfants lors des vacances de Pâques. "J'ai appris par la suite qu'il avait déjà prémédité son acte : alors que nous avions décidé de ne plus vivre ensemble, il est venu en France pour récupérer des actes de naissance, vider des comptes et rapatrier de l'argent en Suisse", raconte Sabine.
Fin juin 2009, c'est Fabrice le frère de Sabine qui est chargé d'emmener les enfants voir leur père pour les grandes vacances.  Il est prévu que Sabine vienne les récupérer en août. 

"Les garçons vont rester vivre ici"

© Sabine Bruto

"Rachid me demande alors de rester une semaine de plus pour profiter de ses enfants ce que j'accepte.  Mais je sens que quelque chose se trame car il n'habite plus dans sa maison, se montre très agressif, autoritaire et cassant. C'est la veille du départ qu'il m'annonce froidement : les garçons vont rester vivre ici. Je suis anéantie et j'ai l'impression de vivre un cauchemar", raconte alors Sabine qui constate que son ex-mari a subtilisé les passeports de ses enfants et sans son accord et ces documents, elle ne pourra pas quitter le pays.

Refusant d'abandonner Adam et Alexandre, Sabine va alors être otage volontaire pendant 3 mois durant lesquels elle va vivre l'enfer. Menacée et victime d'intimidations, elle ne mange pas à sa faim et n'a pas le soutien de l'ambassade qui est située à plus de 500 km et qui la laisse désespérément seule. "Durant ces 3 mois, je rentre seulement une fois en France pour récupérer des papiers et alerter les autorités et les médias mais quand mon ex-mari l'apprend, il entre dans une rage folle" confie Sabine.

Fin octobre, à bout de force, elle décide de rentrer sous la pression de sa famille et de ses avocats car elle commence à perdre la raison même si sa mère remue ciel et terre.
 "Quand je pose le pied en France : je pèse 44 kilos et psychologiquement je suis épuisée", précise Sabine qui décide cependant de mener un combat sans merci pour récupérer ses enfants. 
Sauf que son ex-mari a entamé les mêmes démarches qu'elle en Tunisie : Il a demandé le divorce ainsi que la garde de ses fils et a porté plainte prétextant que Sabine a enlevé ses enfants. 
Même si ces démarches sont complètement illégales, Sabine se retrouve face à un mur : "je n'ai alors aucun poids face à la justice de ce pays : je suis une femme et une Française donc pas grand-chose face à lui qui est Tunisien et qui a de l'argent"
Au bout d'un mois, Rachid obtient la garde exclusive de ses fils en Tunisie et la justice tunisienne accorde à leur mère un droit de visite ridicule de 48 heures par mois.
Amputée d'une partie d'elle-même, Sabine survit comme elle le peut et parallèlement à l'affaire civile décide de poursuivre son ex-mari devant la cour pénale pour rétention et  séquestration d'enfants.
Mais la justice est très, trop lente. Sabine décide de créer un comité de soutien appelé "Adam et Alexandre retenus" et mobilise les médias. Elle obtient enfin le droit de garde de ses enfants accordé par la justice française quelques mois plus tard toujours 2009 car la justice tunisienne est déclarée incompétente dans cette affaire.

"Il a tenté de me tuer"

Le 12 janvier 2010, Sabine apprend que son ex-mari Rachid a été arrêté en France car sous le coup d'un mandat d'arrêt international et espère qu'elle va enfin récupérer ses enfants. Las, il est libéré et Sabine va alors passer son temps au gré de ses convocations et des visites à ses enfants au palais de justice de Medenine. A bout de forces, elle envisage même de s'enfuir avec ses enfants sur un voilier avant de devoir renoncer à son projet.
Pendant ces 4 premières années de séparation, Sabine ne voit ses fils qu'au compte-goutte et à chaque fois qu'elle les quitte Adam et Alexandre hurlent : "maman ne nous laisse pas" pendant que leur père, sourire aux lèvres leur répète : "votre mère préfère être en France plutôt qu'ici avec nous".  
Commence alors la révolution de Jasmin en Tunisie et Rachid devient en plus en plus incontrôlable. Un jour persuadée que Sabine enlève ses enfants alors qu'elle a décidé de leur faire visiter la capitale, il la poursuit en voiture, manque de lui faire avoir un accident et appelle les autorités. 
"Il a tenté de me tuer et à plusieurs reprises on a voulu m'intimider et me mettre en prison d'où me sortira mon avocat", confie Sabine qui peut heureusement compter sur quelques soutiens : Jean-François Voguet, le maire de Fontenay, Patrick Beaudoin, député UMP, Boris Boillon, l'ambassadeur de France en Tunisie, son avocate, maitre Annie Koskas et sa mère, infatigable soutien depuis le début du combat de Sabine.
1000 jours après l'enlèvement d'Adam et d'Alexandre, Sabine interpelle Nicolas Sarkozy, président de l'époque, et est reçue à l'Elysée par des conseillers du Président, mais la défaite de l'homme politique face à François Hollande l'oblige à recommencer ses démarches avec le nouveau locataire de l'Elysée. 
Durant l'été 2012, elle rencontre Moncef Marzouki lors d'une visite en France mais le nouveau président tunisien semble surtout offusqué d'entendre dire que des enfants sont privés de liberté dans son propre pays.
En décembre 2013, la jeune femme fait une grève de la faim car c'est son dernier espoir et parce qu'elle a peur pour ses enfants dans un pays plongé dans la guerre civile. François Hollande la rencontre le lendemain de ses vœux télévisés. L'espoir renait pour Sabine.

En mai 2014, la jeune femme apprend qu'elle attend un enfant de l'homme avec qui elle vit et qui la soutient dans son combat. Ils se marient en juillet sous la pluie et la petite Lynn vient au monde en janvier 2015. "Il m'a fallu 3 jours pour accoucher car psychologiquement je n'étais pas en mesure de me dire que j'allais mettre un enfant au monde alors que mes deux ainés étaient séquestrés. Cet accouchement a été traumatisant jusqu'au moment où une sage-femme m'a dit que j'avais le droit d'être heureuse et que ce n'est pas parce que j'allais avoir un autre enfant que j'allais abandonner les premiers", raconte Sabine.

Libérés au bout de 2000 jours de captivité

L'immense joie d'une mère et de ses fils enfin réunis © Sabine Bruto

Le 3 juin 2015, au bout de 2000 jours, son avocate l'appelle pour lui dire que ses fils reviennent le lendemain : Adam et Alexandre ont désormais presque 9 et 12 ans. 
"Ils sont rentrés car je n'ai pas lâché : je me suis battue en France et aussi devant les tribunaux tunisiens. C'est parce que je suis proactive et grâce à mon tempérament que j'ai enfin pu retrouver mes fils", raconte Sabine avant d'ajouter : "Je ne regrette rien car je l'ai fait en mon âme et conscience et si c'était à refaire, je referai les choses exactement de la même façon".
Si les premiers mois ont été difficiles pour Adam et Alexandre qui ont été victimes de l'emprise psychologique de leur père, ont été maltraités et privés de liberté, aujourd'hui ils vont bien. 
"Le temps va panser leurs blessures mais nous avons été marqués au fer rouge. Qu'on le veuille ou non, nous nous sommes construits sur cette histoire mais nous ne pouvons pas faire abstraction du passé. Il faut en tirer une force et c'est ce que j'essaie d'inculquer à mes enfants même si ce n'est pas toujours évident", tient à préciser Sabine qui a tiré une grande sagesse de cette expérience traumatisante. "Si demain à 18 ans ils veulent retourner en Tunisie je ne les empêcherai pas car ils auront les bases, ils auront fait leur bonhomme de chemin dans leur tête et pourront peser le pour et le contre car ils seront aussi libres de pouvoir repartir en étant adultes", confie cette maman très respectueuse des attentes et des envies de ses fils.

Sabine se bat désormais pour que soient créées des cellules de soutien afin d'aider les parents dont les enfants sont enlevés et séquestrés à l'étranger. "Ces cellules existent dans d'autres pays et je voudrais que les pouvoirs publics prennent le problème à bras le corps et financent ces structures. J'ai dépensé pour ma part plus de 300 000 euros dans mon combat et j'ai presque été à la rue", rappelle Sabine Bruto.

Le combat d'une mère

© City Editions

C'est dans cet objectif que la jeune femme avait déjà repris ses études de médiation en 2014 et qu'elle a créé avec son nouveau compagnon une structure de médiation et de négociation en Suisse. "Avant je dirigeais un club de sport mais mon combat a changé mon chemin de vie.  Désormais je veux aider les autres car la médiation m'a permis de redevenir actrice de ma vie", note Sabine qui précise que son ex-mari continue à la persécuter en menant des procédures de justice mais qu'elle a décidé de refuser de céder à la peur. "Je n'ai pas de haine envers lui car je ne veux pas dépenser de l'énergie pour rien et c'est grâce à cela que j'ai réussi à garder le cap pendant 6 ans", note Sabine.

"Pouvant faire écho à tous les types de combats, mon livre montre qu'il faut toujours garder espoir. Il est dédié à mes enfants qui le liront quand ils seront plus grands afin de comprendre ce qu'il s'est passé et envisager leur avenir plus sereinement. Nous avons été amputés de 6 ans de vie et je leur dois vraiment bien cela", conclut Sabine.  Une leçon de vie... et d'amour !