Michel Fourniret et "la Vierge", Guy Georges "gentil": Perversion des tueurs en série

Les tueurs en série fascinent autant qu'ils effraient. Quelle est leur histoire et comment expliquer leurs gestes abjects? Deux psychologues se sont penchés sur leur parcours et couchent les clés de leur inconscient "sur le divan". Selon Joseph Agostini, que nous avons interrogé, "pour un tueur en série, sortir de la perversion c'est s'effondrer".

Michel Fourniret et "la Vierge", Guy Georges "gentil": Perversion des tueurs en série
© Michel Fourniret et Guy Georges/BRUNO ARNOLD/AP/SIPA et HADJ/SIPA

Michel Fourniret, Guy Georges, Le Dr Petiot ou encore Thierry Paulin: autant de tueurs en série qui ont fait frémir les Français et fait les gros titres de la presse. A eux seuls, ils ont officiellement tué plus de 63 personnes! Mais ces serial killers sont-ils vraiment seulement des monstres ? Comment ces êtres humains, autrefois enfants et eux-mêmes victimes ont-ils pu sombrer dans une telle abomination ? Dans l'ouvrage Tueurs en série sur le Divan (Ed. Envolume), Joseph Agostini, et Jean-Benoît Dumonteix, psychologues cliniciens et psychanalystes, tentent de retracer les itinéraires du crime de ces tueurs en série. Un voyage captivant dans le perversion dont nous parle avec des mots simples et une analyse très poussée Joseph Agostini.

Vous évoquez dans votre ouvrage plusieurs tueurs en série à savoir Michel Fourniret, Marcel Petiot, Guy Georges et Thierry Paulin. Pourquoi eux et pas d'autres ?
Joseph Agostini:
Ils nous intéressaient davantage. Michel Fourniret était encore récemment au cœur dans l'actualité. Marcel Petiot était un tueur en série historique. Les crimes de Guy Georges et de Thierry Paulin sont restés dans les mémoires des quadras que nous sommes avec Jean-Benoît. Je fêtais mon 20e anniversaire quand Guy Georges a été arrêté métro blanche et j'habitais une station de métro plus loin. Cela m'a personnellement impacté.

Joseph Agostini © DR

On dit souvent que Michel Fourniret était plus intelligent que d'autres tueurs en série. Qu'en pensez-vous ?
Joseph Agostini: 
Michel Fourniret écoutait France Culture et corrigeait à la virgule près les romans de Dostoïevski qui étaient mal traduits selon lui. C'était un homme qui se voulait érudit et cultivé à la différence d'Émile Louis et de Marc Dutroux par exemple. 
Je ne sais pas si Michel Fourniret avait une intelligence au sens strict du terme, mais une intelligence perverse et machiavélique sans aucun doute. Il a prémédité ses crimes de manière abominable et élaboré des plans stratégiques comme un pêcheur attrape ses proies au fur et au mesure. Il se distinguait aussi par son phrasé alambiqué. 

Il vouait un culte à Marie, mais faisait la chasse aux vierges. Cette ambivalence est-elle commune aux tueurs en série ?
Joseph Agostini: 
Le sacré n'est pas une manière d'éviter la perversion loin de là. Souvent, c'est même une manière de l'abriter, de la théoriser. Michel Fourniret se basait sur la théorie de la virginité pour légitimer ses crimes. Il disait: "comme ma première épouse n'était pas vierge, je cherche des vierges et je voue un culte à la vierge". C'était une façon de justifier l'abjection par le religieux. 

Michel Fourniret semblait assez imperméable sauf quand on lui parlait de sa sexualité. Est-ce que c'était l'une de ses failles ?
Joseph Agostini: 
La sexualité c'est partager or Michel Fourniret était dans la toute-puissance. La sexualité des humains lui était inaccessible. Il avait un tout petit pénis et avait difficilement des érections. C'est paradigmatique des pervers sexuels. Contrairement à ce qu'on pourrait imaginer ce ne sont pas des gens à l'aise avec leur sexualité ou avec leur genre. Quand on parlait de sa sexualité avec Monique Olivier, Michel Fourniret était très mal à l'aise car faire l'amour à sa femme le renvoyait à la norme. En revanche quand il avait une petite inoffensive sous la main, qu'il pouvait terroriser à souhait, l'animal se réveillait. 

"La sexualité c'est partager or Michel Fourniret était dans la toute-puissance"

Parlons de Guy George. Vous dites, reprenant les propos d'un psychiatre, qu'il était damné depuis l'enfance. Est-ce qu'une enfance brisé est caractéristique chez les tueurs en série ?
Joseph Agostini: 
Pour accéder à des états si graves en termes de perversion et de psychopathie, il faut forcément avoir des carences abandonniques. C'est édifiant concernant Guy Georges. Il a été abandonné par sa mère, son père, ses grands-parents et enfin par sa famille d'accueil ! Certes on ne devient pas forcément tueur en série quand on a eu une telle histoire mais à l'inverse on peut dire que quand on a eu une telle histoire de quadruple abandon et de racisme latent il est difficile de ne pas sombrer. La haine nait de situations où on est dans l'impossible. D'ailleurs on peut légitimement se demander: comment survit-on à cela?

"Guy Georges a été abandonné par sa mère, son père, ses grands-parents, sa famille d'accueil"

Justement, comment Guy Georges a-t-il survécu à tout cela ?
Joseph Agostini: 
Il a réussi à cliver. Quand il n'était pas en prison, Guy Georges a réussi à avoir une vie amoureuse, à vivoter dans sa vie professionnelle. Il ne s'en est pas trop mal sorti au point de vue psychologique, mais au prix du clivage. Il y avait d'un côté sa vie adaptée et de l'autre sa vie abjecte. Pour ne pas se suicider ou terminer dans un HP à 16 ans avec des troubles schizophréniques, il est tombé dans la perversion. 

Guy Georges était aussi bénévole dans des associations et a été volontaire au SAMU social. Il pouvait donc se montrer généreux et empathique ?
Joseph Agostini: Oui mais c'est à ce prix. Il a purgé sa haine dans la partie mauvaise et dans la partie bonne et il a plus ou moins réussi à faire preuve d'altruisme et de solidarité. Sa petite amie dira d'ailleurs qu'il ne l'a jamais violenté et qu'il était au contraire extrêmement gentil et courtois. Il faut savoir que, comme Michel Fourniret, il a bénéficié d'une impunité. On a mis Guy Georges en prison pour vol de scooters ! Il est ressorti 3 mois après. Imaginez l'extase quand il a été convoqué et qu'on lui a dit qu'il était là parce qu'il avait volé un scooter alors qu'il avait déjà tué 5 femmes.

Est-ce que Guy Georges a reconnu ses crimes ?
Joseph Agostini: 
Il était tellement clivé qu'il était est dépassé par ce qu'il avait fait. Il était moins dans la maitrise que Michel Fourniret et avait un comportement plutôt comparable à celui Thierry Paulin. Ce sont des personnes qui ont tellement vécu le racisme, le rejet et la méchanceté des autres qu'ils se sont auto justifiés. Pour Michel Fourniret c'était beaucoup plus assumé car il avait théorisé ses crimes avec un bric à brac religieux et intellectuel.

Guy Georges et Thierry Paulin, surnommé le tueur de vieilles dames, ont-ils une histoire commune ?
Joseph Agostini: 
Effectivement. Thierry Paulin a été rejeté par sa mère et sa grand-mère. Il était homosexuel et noir et a failli se faire descendre à l'armée par des homophobes qui l'ont malmené, humilié et violé. Quand il est arrivé à Paris, il s'est dit qu'il voulait réussir. Il était plutôt beau gosse et travaillait dans le milieu de nuit et de la drogue. Il n'avait pas d'argent et, un jour, il s'est dit qu'il allait piller des vieilles dames. Pourquoi ? parce qu'il a été rejeté par sa mère et sa grand-mère et s'en est donc pris à des figures féminines pour leur rendre la monnaie de la pièce. Il avait une perversion telle qu'il a trouvé un complice en la personne de Jean Thierry Mathurin. 

Vous associez Jean-Thierry Mathurin à Thierry Paulin. Est-ce que cela veut dire que Thierry Paulin n'aurait pas commis ces crimes sans lui ? 
Joseph Agostini: 
C'était son double spéculaire. Cette histoire d'amour explique beaucoup de choses : l'amour donne des ailes, il autorise et tout ce qu'on se dit sur l'oreiller peut être un carburant dans la vie. Il permet de soulever des montagnes et a été une vraie poudrière dans la perversion de Thierry Paulin. C'était aussi le cas de Michel Fourniret et de Monique Olivier. 

Est-ce que Guy Georges a entrepris une forme de thérapie en prison ?
Joseph Agostini: 
Oui mais le problème du pervers c'est qu'il se paie la tête du psy car il a un problème avec la toute-puissance. Or une relation thérapeutique  exige qu'on prenne l'autre pour un semblable et qu'on essaie de travailler le lien humain Pour le pervers c'est compliqué car le lien humain est mis à mal. Le lien thérapeutique ne veut rien dire pour lui : il veut seulement utiliser le psy pour sortir de prison. 

Est-ce que les tueurs en série sont des causes perdues ?
Joseph Agostini:
Je ne dirais pas cela. Il faut donner la chance à l'individu, à la singularité et à la subjectivité psychique. Il ne faut pas poser de diagnostic hâtif ou catégoriser. En revanche pour ces gens-là, sortir de la perversion c'est s'effondrer. C'est une problématique difficile quand on la met en lien avec la société. D'ailleurs l'univers carcéral les contient et leur fait beaucoup de bien. Ils se sentent bien en prison et d'ailleurs certains veulent y retourner. 

"La sublimation permet de ne pas céder à nos pulsions mais de les vivre par procuration"

© Ed. Envolume

Les tueurs en série fascinent. Pourquoi ?
Joseph Agostini: 
Nous vivons dans une société ou la télévision et notamment l'émission Faites entrer l'accusé ont très bien scénarisé les faits divers.  Quand on regarde des séries Netflix ou qu'on lit des faits divers, on va à la rencontre de cette perversion pour ne pas succomber nous même à notre propre perversion. C'est de l'ordre du voyeurisme et de l'intellectualisation, de l'intérêt abstrait pour la chose de manière à ne pas tomber dans l'agir. Cela s'appelle la sublimation : cela permet de ne pas céder à nos pulsions mais de les vivre par procuration.

C'est positif donc ?
Joseph Agostini: 
Nous n'avons pas le choix. Je sais que c'est difficile à comprendre pour les familles des victimes mais c'est salutaire car cela montre que la société ne commet pas l'innommable mais l'imagine et se laisse fasciner pour pointer du doigt et juger les tueurs en série.