Sara Giraudeau : "La mort est très présente dans ma famille"

Dans "Les Envoûtés" de Pascal Bonitzer, en salles le 11 décembre, Sara Giraudeau incarne avec conviction une pigiste qui part à la rencontre d'un homme afin d'enquêter sur une mystérieuse histoire de fantôme. Un nouveau rôle qui prouve, s'il en est, l'étendue de sa palette de jeu.

Sara Giraudeau : "La mort est très présente dans ma famille"
© Jacques BENAROCH/SIPA

Après des débuts probants au théâtre, Sara Giraudeau, 34 ans, s'est taillée une place de choix dans le paysage cinématographique français, faisant le choix des auteurs et des projets singuliers. Popularisée par son rôle de Marina Loiseau dans la série à succès Le Bureau des Légendes, César de la meilleure actrice dans un second rôle en 2018 pour Petit Paysan, la comédienne se distingue cette année dans Les Envoûtés, le nouveau film de Pascal Bonitzer. Elle y incarne Coline, une pigiste qui tombe amoureuse d'un homme sur lequel elle enquête (Nicolas Duvauchelle) et qui estime avoir vu le fantôme de sa mère avant que celle-ci ne meure. Pour Le Journal des Femmes, la comédienne revient avec sincérité sur cette expérience aux échos personnels.  

Qu'est-ce qui vous a plu d'emblée chez Coline ?
Sara Giraudeau :
Avant le personnage, c'est le scénario qui m'a saisie. J'aime cette histoire d'amour passionnelle qui se déroule dans une espèce d'ambiance assez étrange, angoissante… Le fantastique devient ici un prétexte pour nourrir le sentiment amoureux et la jalousie sur laquelle l'héroïne n'aura plus de prise. Concernant plus précisément Coline, j'ai apprécié sa pudeur, son côté tourmenté... J'aime comprendre ces personnages auxquels on a difficilement accès et leur apporter un tourment qui puisse être sinon compris, du moins regardé.

Coline est discrète, insaisissable… Elle est même presque spectrale…  
Sara Giraudeau :
Absolument. Sur le tournage, je m'appuyais beaucoup sur mes partenaires de jeu. Pour mieux construire cette héroïne particulièrement étrange, je la mettais souvent en réaction aux autres personnages. Je pense d'ailleurs que c'était ma seule façon de la comprendre car elle ne s'accepte pas, elle est très pudique, elle a du mal à aimer. Elle rentre dans un amour auquel elle ne s'attend pas. Elle n'y est pas préparée. Ce mystère qu'elle a, et que le film a, c'est génial. Je préfère le mystère à l'explication.

Sara Giraudeau et Nicolas Duvauchelle dans "Les Envoûtés". © SBS Distribution

Croyez-vous aux fantômes ?
Sara Giraudeau :
Non… Toutefois, même si je ne suis pas religieuse, je crois peut-être à une forme de communication possible entre les morts et les vivants. Je pense à une espèce de force et d'énergie libérées quand le corps n'est plus là… Des âmes qui vont ailleurs. J'aime en tout cas cette thématique. C'est peut-être dû mon passif sachant que la mort est très présente dans ma famille. J'ai perdu des êtres chers assez tôt ; ça apporte une certaine conscience de la vie et ça entraîne un intérêt pour la résilience.

La mort est-elle un moteur pour mieux vivre ?
Sara Giraudeau :
Bien sûr que oui… Si elle n'était pas là, la vie ne serait pas ce qu'elle est. On ne se poserait pas toutes les questions qu'on se pose, on n'en aurait pas peur, etc…. La vie a sa force parce qu'il y a la mort. C'est ce qui alimente nos envies, nos fantasmes, nos projets… Il faut essayer de l'apprivoiser.

"Quand on tombe éperdument amoureux, on a peur de se sentir mourir"

Laissez-vous les défunts se reposer ?
Sara Giraudeau :
Quand j'ai perdu des êtres proches, j'ai pu croire à des choses… Mais je ne cherche pas à communiquer à tout prix. Des événements étranges peuvent se passer dans les rêves, dans les coïncidences très fortes du quotidien. Il convient de faire la différence entre ce qui est construit par notre cerveau et ce qui est possiblement d'un autre ordre. J'ai beaucoup lu aussi sur ça.

Les Envoûtés explore fortement le parallélisme entre le romantisme et la mort, qui semblent condamnés à cohabiter…
Sara Giraudeau :
Quand on tombe éperdument amoureux, on a systématiquement peur du sentiment d'abandon, de se sentir mourir, avec ces sensations de vertige, de saut dans le vide… La mort va effectivement bien avec ce sujet. Mêler l'amour et la mort avec le sentiment de jalousie, c'est la force du film. La jalousie, on l'a tous vécue, elle est universelle et douloureuse. On n'en est pas maître, mais carrément esclave.  

Auriez-vous pu être journaliste comme Coline ?
Sara Giraudeau :
Non, je ne crois pas… J'ai un besoin constant de création, de faire sortir des choses de moi, de ré-imaginer le réel de manière personnelle… Mon imaginaire ne doit pas être contraint par des données factuelles.

Sara Giraudeau et Nicolas Duvauchelle dans "Les Envoûtés". © SBS Distribution

Vous êtes fille d'acteurs (Anny Duperey et Bernard Giraudeau, ndlr). Y a-t-il eu une injonction naturelle, en tant qu'enfant de la balle, à être artiste ?
Sara Giraudeau :
Non, j'ai eu envie de travailler avec les enfants, les animaux… J'ai été aussi passionnée par les fringues mais le monde de la mode, c'est tout ce qui ne me ressemble pas. Heureusement que je n'y suis pas allée ! Je suis par ailleurs très intéressée par la psychanalyse : c'est la base pour être dans la vie et comprendre l'humain.

En interview, vous avez déjà dit que vous étiez une enfant stressée. Est-ce que ça va mieux ? 
Sara Giraudeau :
Tout va très bien… Mais c'est vrai que j'étais une enfant angoissée, qui cachait sa tristesse. Il y avait ce besoin d'essayer de trouver sa place, d'être heureuse. Enfant, il y a des obligations avec lesquelles j'ai eu du mal. Je transformais ma mélancolie en étant très vive, drôle… J'étais clownesque. On a tous des complexes qui doivent, in fine, devenir notre force. Le métier de comédien aide à les vaincre.

"Le boucher imitait ma voix quand je rentrais chez lui"

Comme votre voix, dont vous aviez honte…
Sara Giraudeau :
Ce n'est pas venu de moi mais du jugement des autres, de phrases violentes d'apparence anodine… Je me suis intéressée à la psychologie pour tout ça. Beaucoup de choses trop violentes sortent de la bouche des adultes. Comme le boucher qui imitait ma voix quand je rentrais chez lui… Si on m'avait dit, petite, que ma voix était belle ou particulière, je l'aurais vu comme un avantage. Il ne faut pas faire des particularités une différence.  

Qu'avez-vous appris de plus précieux de vos parents ?
Sara Giraudeau :
Ma mère (l'actrice et romancière Anny Duperey, ndlr) m'a donné sa confiance. Quand elle a perdu ses deux parents à 8 ans -ce qui fut un énorme traumatisme-, elle a épousé la résilience pour pouvoir tenir. C'est une douleur qu'on utilise pour construire la vie. Elle ne savait pas comment éduquer les enfants. Elle s'est dit qu'elle nous laisserait nous développer avec son regard aimant, en nous donnant la liberté nécessaire à notre épanouissement. On n'a pas eu cette épée de Damoclès qui nous interroge sur la manière dont on fait les choses. On était couvés de bienveillance. Mon père était plus stressé. Quand il a vu que j'étais faite pour ce métier, il a lâché prise et a été rassuré. Ça donne de la force quand quelqu'un vous dit : "Fais ce qui est bon, ce que tu sens".

"Les envoûtés // VF"