Déborah François : "Les voyages me donnent plus d'audace"

A l'affiche le 5 juin de "L'Autre Continent" de Romain Cogitore, mélo élégant où le langage et l'amour font un pas de deux, Déborah François, 31 ans, étincelle. Face à Paul Hamy, elle campe une jeune aventurière qui fait face à un terrible coup bas de la vie. Rencontre.

Déborah François : "Les voyages me donnent plus d'audace"
© SYSPEO/SIPA

Mondialement révélée par L'Enfant des frères Dardenne, Palme d'or en 2005, la comédienne belge Déborah François trace un joli chemin dans le cinéma français depuis une quinzaine d'années. César du meilleur espoir féminin pour Le premier jour du reste de ta vie et Prix Romy Schneider en 2009, elle a déjà tourné avec Emmanuel Mouret, Claude Lelouch ou Danièle Thompson. Cette année, elle se distingue dans L'Autre Continent, second long-métrage de Romain Cogitore dans lequel elle incarne une femme libre et pétulante qui tombe amoureuse, au cœur de Taïwan, d'un jeune homme polyglotte et introverti (Paul Hamy). La joie s'installe puis le drame arrive. S'il assume ses atours de mélo, le long-métrage parle surtout très justement du langage, de l'autre et, bien sûr, de l'amour. Déborah François ne dira pas le contraire.  

Qu'est-ce qui vous a séduit dans ce projet ?
Déborah François :
Il y a d'abord la façon habile dont le scénario évoque le langage. J'ai aimé par ailleurs le fait qu'on y découvre comment une histoire peut nous amener à grandir, avec ce moment de bascule où on s'arrête dans notre vie pour enfin nous retourner, faire face au danger, l'assumer et être fier de soi. C'est la trajectoire de mon héroïne, Maria. On part d'une femme éparpillée, qui butine, a beaucoup d'amants et n'imaginerait jamais tomber amoureuse… Et pourtant, elle tombe en plein dedans… J'avais envie d'être elle et de la voir se rassembler pour devenir un pilier pour l'autre, pour celui qu'elle aime.

Il y a aussi le plaisir de tourner à l'étranger, j'imagine… Non ?
Déborah François :
Bien sûr ! Tout change, à commencer par l'ambiance de tournage, avec une petite équipe sur place. C'est agréable de travailler différemment, en autarcie, avec des gens d'autres cultures. Ça crée des expériences fortes, humainement parlant, et contribue à bâtir une jolie bulle autour de soi. On connait beaucoup mieux un pays en y travaillant, en y passant plusieurs semaines ou mois, en se demandant où aller dîner quand il est 23h ou en cherchant pendant des heures quel shampoing acheter (rires). Faut pas croire, la barrière de la langue et de l'écriture, ce n'est pas toujours évident.   

Déborah François dans "L'Autre Continent". © Sophie Dulac Distribution

Est-ce qu'on se révèle mieux lorsqu'on est loin de son pays ?
Déborah François :
Ça me donne en tout cas plus d'audace. Dans beaucoup de pays d'Asie, je me sens en sécurité. En même temps, je suis très angoissée. (rires). Par contre, il y a des endroits de Paris, dans mon propre quartier, où je ne sortirai jamais à deux heures du matin, au risque de me faire emmerder. A cette heure, il y a un bureau de tabac et un McDo ouverts, et des gens ivres ; c'est à peu près tout. A Taiwan, au Japon ou en Corée du Sud, les gens vivent la nuit et tout est ouvert. Je peux me faire masser les pieds ou manger un bol de nouilles super tard. C'est plus vivant et rassurant. Les voyages permettent de prendre du recul sur soi et de savoir de quoi on est capable. Il n'y a que comme ça que j'ai grandi : en voyageant. Depuis L'enfant des frères Dardenne, j'ai eu la chance de faire des films qui ont tourné dans le monde. Ça m'a guéri de certaines névroses. C'est magique parce que ça vous oblige. Tous les luxes qu'on s'octroie quand on est chez soi, on ne peut pas les avoir loin.

"Je suis une épicurienne"

Vous avez appris le chinois en phonétique. Pas trop dur comme exercice ?
Déborah François :
Ça me faisait peur au début. Le français est l'une des langues où il y a le moins de sons. Si notre vocabulaire est très riche, on a néanmoins peu de vocables. Du coup, j'ai été obligée de produire des sons que je n'avais jamais faits. Incarner un personnage en mandarin, c'est particulier. En français et en anglais, on joue sur le ton pour illustrer une émotion. Si on fait ça en mandarin, c'est mort parce que tout repose sur une forme de musique du langage… Il faut se concentrer sur tout. L'équipe taïwanaise était très présente pour ça. Mon apprentissage s'est fait par la méthode mnémotechnique dite des lieux, par des cours particuliers et aussi en écoutant du mandarin tous les soirs dans un casque audio. Concernant le néerlandais, que je parle aussi dans le film, il est revenu assez vite pour l'avoir appris plus jeune en tant que belge. Je pensais que j'étais rouillée à ce niveau mais ça allait (rires).

Qu'est-ce qui vous fascine dans le langage ?
Déborah François :
La façon dont la langue influence une culture et vice versa… Comment les deux sont imbriqués… Ne serait-ce qu'à travers des mots qui existent ou pas. Beaucoup sont intraduisibles ici ou là mais veulent toujours dire quelque chose. Ça peut être de l'ordre de la politesse ou de la manière de refuser. En Asie, par exemple, le mot "non" n'est pas toujours utilisé de manière littérale. On est donc parfois obligés d'emprunter des périphrases pour ne pas froisser l'autre…  

Déborah François et Paul Hamy dans "L'Autre Continent". © Sophie Dulac Distribution

Vous êtes venue au cinéma par les mots ou le langage ?
Déborah François :
Par l'amour du langage, je dirais. Et j'apprends à aimer le cinéma par les images. A la base, je suis une littéraire, j'adore les livres, les textes. J'ai beaucoup lu plus jeune Le portrait de Dorian Gray… J'adore Sartre, Barjavel… beaucoup d'autres auteurs classiques. Je ne vais que maintenant vers les contemporains dont les livres, avant, me tombaient des mains.

Selon vous, le langage est-il le meilleur catalyseur mémoriel ?
Déborah François :
C'est difficile à dire… J'ai une mémoire émotionnelle, comme beaucoup d'acteurs. Je reconnais peu les gens mais le souvenir des moments passés avec eux et de mon ressenti ressurgit facilement… Je me souviens des émotions, laquelle, forcément, est très liée au langage.  

Il y a dans le film, à travers votre rencontre avec le héros, une volonté de raconter l'amour comme un champ de contraires, d'opposés… Je pense notamment au micro et au macro…
Déborah François :
Oui, vous avez raison. On s'éloigne parfois du personnage au point qu'il devient quelque chose de perdu, de presque surréaliste. Un personnage égaré dans l'immensité… Et, à l'opposé, Romain Cogitore nous colle le nez collé aux cellules, avec des images à hauteur de microscope. C'est ici la métaphore de l'amour, du fait d'être trop sur l'autre ou, au contraire, de prendre du recul en essayant de percevoir la grande image. Il y a un yin et yang dans ce film. Paul Hamy incarne un homme posé, intellectuel, idéaliste et romantique. Moi, je suis une épicurienne.

Dans votre vie aussi ?
Déborah François :
Oh oui ! J'aime le chocolat, manger, être amoureuse, voyager ! (rires)

Comment s'est passée votre collaboration avec Paul Hamy ?
Déborah François :
Formidable ! Son rôle est très complexe, car son personnage passe par plusieurs états. C'est casse-gueule de devoir jouer un mec malade… Il y avait quelque chose d'intéressant physiquement (rires). Paul est super grand alors que -petit secret !-, les acteurs français ne le sont généralement pas (rires). On élargissait souvent le champ ou on me mettait sur une boite pour que l'écart ne se voie pas. Plus sérieusement, on s'est beaucoup rapproché par nos discussions, par nos balades dans une ville où nous partagions l'effet Lost in Translation, ce jetlag si particulier…

Le film fonctionne souvent sur une note vaporeuse, éthérée, avec des flottements. Qu'est-ce que cela impose en termes de jeu ?
Déborah François :
Disons que je n'ai pas pu être trop dans le contrôle. Romain avait envie de raconter cette histoire en s'appuyant sur notre lâcher-prise. L'Autre Continent a en tout cas été un vrai voyage, une exploration de l'autre continent, des confins de l'amour et de ses limites… Il y a où on commence soi et où s'arrête l'autre.

La thématique de l'autre est justement importante… A quel point l'altérité fait partie de votre vie ?
Déborah François :
C'est très paradoxal d'être comédienne car il y a une envie de l'autre. D'amener l'autre à soi et porter ses émotions à l'autre. (Réflexion) Devenir adulte, c'est être là pour l'autre sans avoir d'attente.

"L'AUTRE CONTINENT // VF"