Bérénice Bejo à Cannes : "Se cramponner, résister, c'est ça le couple"

Godard par Hazanavicius. De retour en compétition à Cannes, le réalisateur de The Artist s'attaque au mythe de Jean-Luc Godard (Louis Garrel) à travers Le Redoutable, une comédie pop tournée vers son couple avec Anne Wiazemsky (Stacy Martin). Sous la direction de son époux, Bérénice Bejo incarne Michèle Rosier, intellectuelle et amie du couple star de la Nouvelle Vague. Un "petit rôle, mais fort", comme elle le décrit, dans ce film qui n'est pas sans rappeler son quotidien avec le cinéaste. Entretien sur la Croisette.

Le Journal des Femmes : Comment avez-vous réagi quand Michel Hazanavicius vous a dit qu'il voulait s'attaquer à Godard ?
Bérénice Bejo : Comme à chaque fois qu'il me parle d'un nouveau projet... Si vous saviez la tête que j'ai fait pour sa prochaine idée ! Pour Le Redoutable, je lui ai demandé s'il était sûr de vouloir s'attaquer à ça après l'échec de The Search. Il m'a répondu que le livre d'Anne Wiazemsky était tellement drôle, touchant, incroyable qu'il devait le faire. C'est un artiste, un auteur. Quand il a ce besoin de raconter quelque chose, je ne peux que le soutenir. Et puis en lisant le scénario, j'ai retrouvé Le grand détournement, The Artist, OSS et tellement d'intime. Ça parle de lui et moi, mais aussi d'une époque, d'un être humain.

Ça parle aussi de la relation amoureuse entre un réalisateur et une actrice. Ce film, c'est du vécu ?
Complètement. Il y a des phrases que je lui ai dites, des moments qu'on a vécus. Ce que j'aime dans le film, c'est que l'intimité du couple existe. Ils ont des jeux, une manière de se parler. Ce sont des choses que Michel me fait tout le temps. Le film démarre sur La Chinoise, mal reçu par la critique… On l'a vécu. Quand Godard lit les mauvaises critiques et que Rosier débarque et lui lances "tu vas pas arrêter de faire des films parce que trois cons n'aiment pas", je lui ai déjà dit. Même si Michel n'a jamais voulu arrêter.

Quel est votre rôle dans ces moments-là ?
Il faut remonter le moral, même quand on est très atteinte. Il ne faut pas sauter du bateau, mais se cramponner, résister. C'est ça le couple.

Le Redoutable est un film sur Godard l'homme adulé, mais surtout sur Anne et sa place très importante à ses côtés. Vous êtes retrouvée en elle ?
Je ne suis pas au niveau d'Anne parce que j'ai ma carrière, des réalisateurs qui viennent me chercher. J'ai été nommée aux Oscars aussi, même si je n'ai pas ramené la statuette, j'ai vécu la même histoire. Et j'ai eu le prix d'interprétation à Cannes pour un film qui n'était pas de lui. Je ne suis pas dans un esprit de compétition, mais c'est formidable de vivre les mêmes choses en même temps. On est assez heureux dans nos carrières pour qu'aucun ne se sente à la traîne.

Vous jouez Michèle Rosier, amie du couple Godard-Wiazemsky, bienveillante envers elle et critique envers lui. C'est ce qui vous a plu ?
Il y a des gens qui vous font avancer dans la vie même si vous ne faites que les croiser. Mon personnage permet à Anne de s'émanciper. On est en 1968, c'est la libération des femmes, la révolution. Rosier est en avance sur son temps. C'est la grande gueule, la seule qui tient tête à Godard. Un petit personnage, mais assez fort. Grâce à elle, Anne Wiazemsky finit par s'affirmer face à son mari, de la même manière que les femmes d'aujourd'hui disent "je ne peux plus accepter ne pas être payée autant qu'un homme" ou " je ne peux plus accepter si peu de femmes dans le gouvernement".

L'égalité, c'est la révolution que vous menez ?
Oui. j'en parle beaucoup avec Michel. Par exemple, quelque chose qui me révolte : pour les dossiers de presse des films, nous sommes toujours interviewés par des hommes. C'est un regard masculin qui sert de matière aux journalistes. Je dis à Michel "pour toi c'est rien mais pour moi ça finit par être choquant". L'égalité, on n'y est pas du tout…

Le Redoutable, en compétition officielle. De Michel Hazanavicius, avec Louis Garrel, Stacy Martin, Bérénice Bejo... Sortie en salles le 13 septembre.