Judy Garland, Petite Fiancée de l'Amérique, légende tragique et icône gay

Judy Garland, Petite Fiancée de l'Amérique, légende tragique et icône gay

La star est partie, mais sa légende vit à jamais... Bertrand Tessier, qui a consacré une biographie à la star hollywoodienne, livre au Journal des Femmes quelques éléments pour mieux la comprendre.

Il est l'un des plus grands spécialistes de Judy Garland en France. Bertrand Tessier est l'auteur du livre Judy Garland, Splendeurs et Chute d'une Légende, paru en mai 2019 aux éditions de L'Archipel. Il y décrit la trajectoire d'éclats et de blessures de la comédienne américaine, encore considérée aujourd'hui comme une icône de la culture populaire. Nous l'avons interrogé sur cette figure qui, depuis sa mise en orbite avec Le Magicien d'Oz, n'a jamais cessé de fasciner, d'émouvoir et de briller par son intemporalité.  

"Judy"

Vous avez écrit la première biographie française de Judy Garland. Qu'est-ce qui vous a poussé à franchir le pas ? 
Bertrand Tessier : 
Après avoir réalisé mon documentaire Judy Garland/Vincente Minnelli dans la collection Couples Mythiques, diffusée sur OCS, j'ai eu un sentiment de frustration. Le film étant focalisé sur son mariage avec Vincente Minnelli, j'avais dû faire l'impasse sur beaucoup de choses. J'avais envie de raconter plus en détails son parcours artistique et personnel, sa formidable ascension, sa renaissance, ses chutes successives. Véritable descente aux enfers, les derniers mois de sa vie sont à la fois pathétiques et tragiques, comme le montre bien le film avec Renée Zellwegger. Imaginez que celle qui avait été l'une des plus grandes stars de Hollywood et qui avait rempli des salles de concert durant des années n'avait même plus de chez elle. On lui avait saisi sa résidence à Los Angeles. Elle vivait dans une petite maison louée dans la banlieue de Londres.

Elle était surnommée "La Petite Fiancée de l'Amérique". D'où vient ce surnom ? Jusqu'à quand le fut-elle et à quel prix ?
Bertrand Tessier : On n'imagine pas, en France, l'impact que Le Magicien d'Oz a pu avoir dans la mémoire collective des Américains. Le film a été un gros succès à sa sortie mais, surtout, la télévision américaine l'a repassé tous les ans, pendant longtemps, au moment des fêtes de Noël. Judy Garland avait 17 ans au moment du tournage. Dans la foulée, elle a aussi tourné beaucoup de comédies musicales avec Mickey Rooney, comme Babes in Arms ou Babes in Hollywood, où elle incarne la jeune ado idéale, saine, positive, optimiste. Les femmes s'identifiaient à elle. Elle était tout le contraire des stars glamour et inaccessibles de l'époque ; tout le secret de Judy Garland résidait dans sa proximité avec le public.

Que nous dit sa trajectoire en ombres et lumières quant au poids de la célébrité ? 
Bertrand Tessier : 
Elle est vraiment l'incarnation d'une star broyée par ce système des studios qui régnait à l'âge d'or de Hollywood. La MGM voulait sans cesse contrôler sa vie privée. Elle était persuadée que "La Petite Fiancée de l'Amérique" perdrait son public si elle se mariait. Et la première fois qu'elle a été enceinte, la MGM l'a fait avorter -comme beaucoup d'autres stars alors que l'avortement était strictement illégal en Californie. C'était l'époque où les acteurs avaient des contrats de sept ans. Ils ne choisissaient pas leurs films. Ils étaient corvéables à merci. Judy Garland était la star de la MGM qui rapportait le plus d'argent. A partir du Magicien d'Oz, elle n'a cessé d’enchaîner les tournages. Alors qu'elle n'avait pas 20 ans, le studio a commencé à lui prescrire des amphétamines pour qu'elle tienne le coup. Mais avec les excitants, elle n'arrivait plus à dormir. Du coup, ils lui ont donné des somnifères. Ils l'ont véritablement droguée pour en tirer le maximum. Ensuite, elle n'est jamais parvenue à sortir de ce cercle infernal qui a fini par la tuer.

Le biopic Judy, avec Renée Zellwegger, revient sur sa vie. En quoi sa personnalité et son vécu ne pouvaient-ils pas échapper à une transposition cinématographique ?
Bertrand Tessier : 
C'est un destin unique. Celui d'une femme essorée par le cinéma puis par les hommes. Il y avait chez Judy Garland une farouche volonté d'être aimée. Elle n'a pas vu à quel point les hommes se servaient d'elle. Mickey Deans, son cinquième et dernier mari, personnage central du film, était un patron de boite de nuit sans envergure, mi play-boy, mi dealer, qui a précipité sa chute finale. Mais à ce stade, elle était au bout du rouleau. Artistiquement, financièrement, physiquement. Regardez les photos de leur mariage : elle avait 47 ans et en paraissait 60.

Pourquoi, selon vous, reste-t-elle, plus que jamais, une icône de la culture populaire ?  
Bertrand Tessier : 
Parce qu'elle est d'abord la reine de la comédie musicale hollywoodienne. Ensuite, parce que sa chanson Over the Rainbow est un standard, une mélodie exceptionnelle interprétée avec puissance et émotion. Qui n'a pas envie d'échapper à la grisaille pour vivre une existence pleine de couleurs ? Et enfin, à cause de son destin tragique, de l'immense gâchis qu'a été sa vie personnelle, Tout ça fait qu'elle a toujours suscité une immense sympathie auprès du public, lequel lui a été d'une fidélité exceptionnelle. D'autre part, les gays ont joué un rôle essentiel dans le fait qu'elle continue d'être une légende. C'est en effet en hommage à Over the Rainbow qu'est né aux Etats-Unis le drapeau arc-en-ciel de la communauté LGBT.