Emmanuelle Béart : "Je comprends qu'on puisse hésiter à faire des enfants"

Elle est l'une de nos actrices les plus engagées. Emmanuelle Béart a décidé de mettre sa notoriété au service du collectif Stop Exclusion Energétique. Bouleversée par ce terrible fléau qui touche 7 millions de personnes en France, elle monte au créneau avec humanité et générosité.

Emmanuelle Béart : "Je comprends qu'on puisse hésiter à faire des enfants"
© DR

Quand elle ne brille pas sur grand écran devant le regard des plus grands cinéastes (Claude Sautet, André Téchiné, Claude Berri, Jacques Rivette, François Ozon ou Claude Chabrol), Emmanuelle Béart aime à se battre pour les causes qui lui tiennent à cœur. Un héritage qu'elle tient de ses parents et des engagements qui ont jalonné leurs vies. Cette année, l'actrice française donne de la voix à Stop à l'exclusion énergétique via un appel aux dons qu'elle soutient avec humanisme et obstination. Le but? Aider les Françaises et les Français qui vivent dans des passoires énergétiques et de mauvaises conditions sanitaires à s'en sortir. Entretien. 

Pourquoi avoir mis votre notoriété au service de l'exclusion énergétique ?
Emmanuelle Béart :
Parce qu'il faut bien que la notoriété serve à quelque chose (rires). Plus sérieusement, c'est un constat terrible d'imaginer qu'il y a en France autant de gens vivant dans une précarité énergétique, dans des passoires thermiques… Cela concerne 6 millions de foyers… Je savais qu'il y avait de plus en plus de gens dans la rue mais je n'avais pas mesuré l'ampleur du problème des millions de personnes qui habitent dans des logements insalubres, plein de moisissures, d'humidité… En plus, la crise de la Covid a tout accentué. En effet, quand le lieu de vie devient aussi le lieu du travail, de la scolarité et des soins, ça devient intenable. Je me suis donc dit que ça serait bien de participer à ce mouvement, de faire bouger les lignes…

Quand cette idée s'est-elle précisée ?
Emmanuelle Béart :
Il y a eu une rencontre avec Gilles Berhault, qui travaille pour la Fondation des Transitions et qui m'a expliqué la problématique. Je lui ai précisé que je ne pouvais prendre en considération sa demande que si j'allais au contact des personnes concernées. Je voulais mieux me rendre compte de l'ampleur du problème. C'est ce que j'ai fait avec les équipes de Réseau Eco Habitat, avec les bénévoles… Je me suis rendue sur le terrain, j'ai rencontré des familles et je me suis dit qu'il fallait que je revienne les filmer, entendre leurs paroles… Sur place, c'est terrible, insupportable… J'ai senti les draps mouillés, les vêtements mouillés, j'ai vu des gens qui arrêtent de chauffer de peur de recevoir des factures énergétiques hallucinantes…

"Il faut agir car cela impacte la santé"

Qu'est-ce qui est concrètement mis en place par les autorités pour pallier à ce désastre ?
Emmanuelle Béart :
L'Etat fait, les collectivités territoriales font. Mais pas assez…. Cela devrait vraiment devenir une des priorités nationales. Aujourd'hui, l'idée est de sortir un million de personnes par an de la précarité énergétique. Les aides se divisent comme suit : 75% du dossier est pris en charge par l'état et les collectivités territoriales, environ 15% par les fondations et les ONG et il y a enfin les 10% à charge, somme que les particuliers doivent régler.

Et c'est cette somme qui pose problème…
Emmanuelle Béart :
Oui. Pour plus de pérennité, on parle souvent d'une rénovation complète des sols, des combles… Ça ne sert à rien de refaire les toits si l'air rentre par les fenêtres. Le coût global se situe entre 40.000 et 50.000€. Du coup, des gens qui vivent avec entre 5 et 10€ par jour doivent s'acquitter d'une somme de 5.000€. C'est énorme. J'ai été frappée par une femme qui vivaient avec ses trois grands adolescents avec 8€ par jour. 8 euros ! Pour eux, une telle somme est impayable, impensable, impossible. Evidemment, les banques ne leur accorderont aucun crédit. Il faut donc chercher ces 10%. Il est important de comprendre que chaque fois qu'on trouve ces 5000€, on sauve une famille, on crée un demi-CDI annuel… Il faut agir car cela impacte la santé de ces personnes, l'écologie -se débarrasser des vieilles chaudières au fuel par exemple-, l'économie… Ce sont des gens qui perdent leurs emplois, des enfants qui décrochent à l'école ou qui souffrent de troubles respiratoires, des adultes qui contractent de graves maladies, des personnes qui ont peur de vieillir dans de telles conditions…

"On a mis au monde des enfants de façon presque inconsciente"

Quel sentiment vous a assaillie devant ces familles ?
Emmanuelle Béart :
La colère. Ça parait insupportable, surtout venant d'un des six pays les plus riches du monde. J'ai voyagé pendant 10 ans avec l'UNICEF, comme ambassadrice du comité français. J'ai été confrontée à des thématiques extrêmement difficiles, des systèmes d'induction d'eau qui n'existaient pas, des enfants soldats, des enfants prostitués, des problèmes de dénutrition. Mais je n'imaginais pas qu'en France, il y avait des gens qui vivaient dans de telles conditions.

D'où vous vient cet esprit d'engagement ?
Emmanuelle Béart :
C'est une question d'éducation. Ma mère avait monté une association qui s'appelait Reflexe Solidarité et qui travaillait avec les Restos du cœur, le Secours Populaire… Je faisais mes devoirs dans le local qui était loué pour cette association. J'ai aussi un père qui chante: " Je suis de toutes les couleurs et surtout de celles qui pleurent "… J'ai grandi comme ça, avec les yeux grand ouverts. Je ne les ai jamais vraiment fermés. A partir du moment où j'ai commencé à être connue et à pouvoir transmettre des messages, j'en ai profité.

"Il y aura plusieurs générations sacrifiées"

Avez-vous déjà eu envie d'abandonner ?
Emmanuelle Béart :
Non, jamais bizarrement. Après 10 ans d'UNICEF, je me suis dit: "J'en sais trop ou pas assez". Il y a un moment où l'action arrive à sa fin. Mais il ne m'est arrivé de me dire que je ne peux pas aller plus loin. J'ai toujours été en lutte contre l'exclusion. C'est un thème récurrent.  

Faites-vous ça aussi pour laisser un monde plus beau aux jeunes générations ?
Emmanuelle Béart :
Pour le moment, je ne suis pas sûre qu'on laisse un monde plus beau. Je comprends qu'on puisse hésiter à faire des enfants. On vit sur une planète qu'on détruit littéralement, où l'on exploite les énergies fossiles, où la déforestation a lieu… On a mis au monde des enfants de façon presque inconsciente. La prise de conscience qu'on a aujourd'hui, moi je ne l'ai pas eue il y a 28 ans quand j'ai eu mon enfant. Il y aura plusieurs générations sacrifiées. Il est temps de se réveiller. Le collectif et l'individuel doivent se rejoindre. Il faut se demander: "qu'est-ce qu'on peut faire ? " Dans le film Demain de Cyril Dion et Mélanie Laurent, des solutions simples sont par exemple mises en lumière.