Annette Lévy-Willard : "Depuis #MeToo, les hommes réflechissent avant d'agir"

Le mouvement #MeToo a-t-il fait bouger les lignes ? Le documentaire saisissant "#MeToo secoue (aussi) la France" , diffusé le 15 septembre à 20h50 sur France 5, fait le bilan. Entretien avec Annette Lévy-Willard, réalisatrice du long-métrage, qui a participé à la fondation du MLF après mai 68...

Annette Lévy-Willard : "Depuis #MeToo, les hommes réflechissent avant d'agir"
© Capture d'écran du documentaire - France 5

Les #MeToo et #BalanceTonPorc ont-ils secoué la France ? Les choses ont-elles changé ? C'est ce qu'a souhaité savoir la journaliste Annette Lévy-Willard, qui avait décrypté le mouvement de libération de la parole des femmes dans son ouvrage Chroniques d'une Onde de Choc : #MeToo secoue la planète (Editions L'Observatoire). Avec Anne Richard, elle s'est rendue sur le terrain, sans savoir ce qu'elle allait trouver, et découvrir dans quelle mesure la société a été impactée par #MeToo. Leur documentaire #MeToo secoue (aussi) la France met en lumière des témoignages édifiants de femmes courageuses et d'hommes déterminés à rejoindre le combat contre l'inégalité. Un long-métrage saisissant à ne pas manquer, le 15 septembre à 20h50 sur France 5. Entretien avec l'une des réalisatrices du documentaire, Annette Lévy-Willard.

Le Journal des Femmes : Trois ans après, peut-on dire que le lancement de #MeToo a fait bouger les lignes ? 

Annette Lévy-Willard : Oui, #MeToo a permis l'évolution des mentalités. La libération de la parole ne règle pas tout, mais c'est déjà un début de solution. C'est la fin de l'omerta. Il y a une véritable prise de conscience chez les femmes, notamment. Certaines réalisent que des actes de harcèlement ne sont pas anodins. Des hommes y réfléchissent à deux fois avant d'avoir un comportement déplacé avec une femme. Mais le bilan d'après #MeToo est forcément en demi-teinte. Certaines voix se sont élevées contre #BalanceTonPorc pour s'opposer à la délation, or il n'y a eu presque aucune dénonciation de personnes par les tweets. La plupart des internautes ont dénoncé des faits, mais pas nominalement. Il n'y a pas eu de chasse aux sorcières, ni même de condamnations, du moins pas grâce à #BalanceTonPorc. 

En France, pendant qu'Alyssa Milano ou Rose McGowan dénonçaient les pratiques de harcèlement sexuel aux États-Unis, certaines actrices françaises signaient une tribune pour la liberté d'importuner. Pourquoi le combat contre le harcèlement sexuel, notamment dans le monde artistique, a-t-il été plus lent en France ?

Annette Lévy-Willard : Il y avait une résistance à ce mouvement qui semblait puritain, avec un bon vieux anti-américanisme. "Nous Français, nous aimons la drague, le romantisme, les relations entre hommes et femmes ne sont pas comme en Amérique, on ne va pas se plaindre si un homme nous ouvre la porte et nous paye le dîner" : tel était le discours que l'on a pu entendre.
Mais la résistance de quelques hommes intellectuels ou personnalités, qui s'est faite au nom de l'exception française, a finalement été rattrapée… par la réalité ! On voit bien les dizaines de milliers de tweets de femmes qui ont dit : "Moi aussi, j'ai eu un problème avec mon collègue, mon chef…" Ces femmes se sont mises à parler ! Des actrices, comme Adèle Haenel, ou des patineuses, comme Sarah Abitbol, ont également raconté leur histoire. Cette déferlante continue. 

Peut-on dire qu'il y a eu un éveil des consciences chez les hommes ?

Annette Lévy-Willard : J'en suis sûre. Oui, il y a eu des ricanements, mais j'ai vu beaucoup d'hommes se poser des questions, réfléchir à leurs comportements… Toutefois, la résistance des institutions reste très forte ! Pour la patineuse Sarah Abitbol, par exemple, cela a été très dur de parler. Les patrons des fédérations ont protégé les entraîneurs… 

L'idée que le féminisme est un mouvement radical devient de plus en plus obsolète...

Annette Lévy-Willard : Avant le mouvement #MeToo, le "féminisme" était presque perçu comme un terme péjoratif pour désigner des militantes radicales, même si mai 68 avait déjà commencé à "redorer le blason" du féminisme. Certaines militantes sont aujourd'hui dans le rejet de la mixité, mais elles restent une minorité. J'ai moi-même participé à la fondation du MLF (Mouvement de Libération des Femmes, ndlr). Nous étions contre le patriarcat, mais absolument pas contre la mixité. 
Aujourd'hui, ce ralliement des hommes au combat est d'autant plus concret. La plupart des féministes accueillent les hommes dans les manifestations. Nous ne sommes plus dans une logique d'opposition des sexes. Par exemple, en Amérique, à l'élection de Trump, une grande manifestation a été lancée par des femmes pour dénoncer les propos sexistes du nouveau Président des États-Unis. Il y avait beaucoup d'hommes à leurs côtés. 
Dans le documentaire, les femmes qui témoignent sont des victimes, mais elles ne sont pas réellement dans la "plainte", elles sont en colère. Elles se battent pour la justice, disent les choses face à la caméra, elles sont très courageuses.

Nafissatou Diallo a récemment raconté son expérience dans "Paris Match". Pensez-vous qu'aujourd'hui, à l'aune des progrès qui ont été faits dans notre société, l'affaire DSK aurait été traitée de la même manière ?

Annette Lévy-Willard : Je suis sûre qu'aujourd'hui, l'affaire aurait été vécue différemment. En France, certaines réactions étaient invraisemblables. Jean-François Kahn a dit que c'était un "troussage de domestique" (au micro de France Culture, ndlr), Jack Lang a dit qu'il n'y avait "pas mort d'homme" (au 20H de France 2, ndlr), certains de mes amis écrivains ont assuré que c'était un complot des Russes pour faire tomber le patron du FMI… En 2020, cela ne passerait pas ! 

Avez-vous rencontré des difficultés sur le terrain, dans la réalisation de votre documentaire ?

Annette Lévy-Willard : Nous avons eu de grosses déceptions avec les entreprises. Nous voulions absolument filmer là-bas pour montrer les changements qui ont pu s'y opérer entre hommes et femmes depuis #MeToo. Nous avons contacté des grosses boites du Cac40, qui pourtant ont déjà mis en place des nouveaux codes pour les relations dans l'entreprises. Nous souhaitions mettre en lumière ces changements positifs, mais elles ont toutes refusé d'apparaître dans le documentaire… 
Nous sommes toutefois très contentes d'avoir donné la parole à Sandra Muller et à Éric Brion. Tous deux se sentent victimes dans cette histoire. Ils n'ont pas mesuré la portée de leurs actes. Sandra Muller, en postant ce tweet, ne pensait pas qu'il serait retweeté autant et lancerait un tel mouvement ! Quant à Éric Brion, en faisant quelques remarques lourdes et sexistes dans le cadre d'un festival à Cannes, il ne pensait pas qu'il deviendrait un "symbole". Ils ont été tous les deux dépassés par le mouvement qui les a propulsés sur la scène publique. 

Ne manquez pas #MeToo secoue (aussi) la France, réalisé par Anne Richard et Annette Lévy-Willard, diffusé le 15 septembre à 20h50, sur France 5. Après la diffusion du documentaire, Marina Carrère d'Encausse proposera un débat avec plusieurs invités.