Une Île... et des sirènes, cannibales féroces ou naïades romantiques ?

Dans la série "Une Île" diffusée sur Arte dès le 9 janvier, Laetitia Casta et Noée Abita campent des sirènes aux caractéristiques bien éloignées de l'innocente Ariel dépeinte par Walt Disney. Des figures impitoyables de la mythologie grecque à la mélancolique héroïne d'Andersen, ces créatures ont nourri notre imaginaire collectif et d'aucuns arguent encore qu'elles sont bien réelles. Retour sur leur histoire fascinante.

Une Île... et des sirènes, cannibales féroces ou naïades romantiques ?
© Noée Abita et Laetitia Casta dans "Une Île" - Image et compagnie

Laetitia Casta se glisse dans la peau d'une sirène meurtrière et sans pitié pour les hommes dans la nouvelle série d'Arte, Une Île, diffusée dès le 9 janvier à 20h55 et déjà disponible sur arte.tv.
Le réalisateur Julien Trousselier remet au goût du jour le mythe si envoûtant des sirènes.
Créatures mystérieuses et fascinantes, celles-ci ont, de tout temps, intrigué les humains. Qu'elles soient dépeintes comme de redoutables séductrices cannibales ou comme d'adorables femmes à la queue de poisson, le mythe continue d'inspirer les curieux. Elles sont craintes, admirées, ou les deux à la fois… et certains croient encore dur comme fer à leur existence tandis que d'autres passionnés se glissent dans des queues de poisson sur-mesure pour nager comme leurs héroïnes favorites (c'est ce que l'on appelle la discipline du mermaiding). D'où viennent les sirènes ? Comment leur mystère a-t-il perduré à travers les générations ? Est-il probable que le mythe soit plus réel que l'on croit ? 

Les sirènes, ces meurtrières femmes-oiseaux

Il est compliqué de dater l'origine du mythe des sirènes. On suppose qu'elles sont mentionnées pour la première fois dans les légendes gréco-romaines, où elles sont décrites comme de redoutables femmes à corps d'oiseaux qui symbolisent les âmes des morts. Elles hypnotisent de leur chant envoûtant les pauvres marins qui ont le malheur de les croiser et les dévorent dans une vaste prairie où sont rassemblées les ossements de leurs innombrables victimes.

Une Île © Image et compagnie

Selon la mythologie grecque, les sirènes sont des servantes de Perséphone. En effet, la déesse de l'agriculture Déméter, serait entrée dans une rage folle en apprenant que sa fille Perséphone avait été enlevée par le roi des Enfers, Hadès, qui souhaitait en faire son épouse. Ainsi, pour punir ses servantes de ne pas l'avoir protégée, il est dit que Déméter les affubla d'ailes et les condamna à roder sur les mers pour retrouver la fille disparue. 

Au VIIe siècle avant Jésus Christ, Homère, dans sa célèbre Odyssée, nous en fait une description plus précise… qui fait plutôt froid dans le dos ! "Tu rencontreras d'abord les Sirènes qui charment tous les hommes qui les approchent ; mais il est perdu celui qui, par imprudence, écoute leur chant, et jamais sa femme et ses enfants ne le reverront dans sa demeure, et ne se réjouiront. Les Sirènes le charment par leur chant harmonieux, assises dans une prairie, autour d'un grand amas d'ossements d'hommes et de peaux en putréfaction", lit-on. Des êtres tout sauf sympathiques, donc…

Leur cruauté fait très certainement allusion à une image répandue (par les hommes, évidemment) de la femme séductrice, prête à tout pour attirer ces pauvres messieurs dans ses filets et les mener à leur perte. 

Les sirènes : des ailes... à la queue de poisson

C'est uniquement vers le Moyen-Âge que l'image des sirènes à la queue de poisson, que l'on connaît aujourd'hui, commence à se diffuser. Au VIIIe siècle, le moine anglais Aldhelm de Sherborne rapporte dans ses écrits que la sirène a un corps de femme et une queue recouverte d'écailles, cachée sous l'eau. Une référence aux mythes germaniques qui parlent de figures tentatrices aux corps de poissons. Même le Talmud de Babylone, recueil de commentaires de la Bible rédigé au VIe siècle, fait référence à ces créatures aquatiques, qui seraient réelles en tout point, et qui, si elles s'accouplent avec des hommes, peuvent donner naissance à des humains. 

Entre les sirènes à la queue recouverte d'écailles et celles affublées d'ailes d'oiseaux, un point commun demeure : elles restent de féroces créatures impitoyables. 

D'autre part, au fil des siècles, bon nombre de navigateurs assurent avoir croisé ces êtres marins lors de leurs périples, le plus connu étant nul autre que… Christophe Colomb ! Celui-ci indique le 8 janvier 1483, dans son journal de bord, qu'il a aperçu des sirènes sur la baie d'Hispaniola (île des Antilles). "[L'amiral] dit qu'il vit trois sirènes qui sortirent bien haut de l'eau, mais elles n'étaient pas aussi belles qu'on les dépeint, car d'une certaine manière leurs visages avaient une forme masculine ; il dit qu'autrefois il en vit quelques-unes en Guinée sur la côte de Malaguete", lit-on dans le résumé des chroniques de Christophe Colomb, écrit par le prêtre Bartolomé de Las Casas au XVIe siècle. 

Les sirènes, romantiques et rêveuses

Noée Abita et Laetitia Casta dans "Une Île" © Image et compagnie

Ce n'est qu'au XIXe siècle que la figure de la femme-poisson cruelle et prédatrice disparaît peu à peu et laisse place à des héroïnes romantiques et mélancoliques, qui perdent le contrôle de leur destin. En 1837, l'écrivain danois Hans Christian Andersen conte le récit de la sirène Ondine, dans La Petite Ondine, qui rêve d'avoir, comme les humains, l'âme éternelle. Elle se rend auprès de la sorcière des mers qui lui explique que, pour que son souhait se réalise, elle doit se faire aimer d'un homme. Ondine se voit donc affubler des jambes, le temps de sa mission. Malgré tout, le prince, dont elle se prend d'affection, en épouse une autre... à son grand désespoir.

Le conte d'Andersen est ensuite adapté à de nombreuses reprises, la version la plus connue étant évidemment celle proposée par Disney, beaucoup plus joyeuse et légère. Dans le dessin animé qui a bercé bon nombres d'enfants, Ariel est une héroïne innocente et naïve, résidant "sous l'océan" avec ses amis, le poisson Polochon et le crabe Sébastien, et qui rêve de "partir là-bas" pour trouver l'amour auprès des humains, comme le décrit la célèbre chanson. De la femme-poisson monstrueuse à la gentille petite sirène, il n'y a qu'un pas (ou qu'une brasse).

Les sirènes existent-elles ?

Laetitia Casta et Noée Abita dans "Une île" © Angela Rossi

Aujourd'hui encore, même s'il est établi que la figure de la sirène fait partie de l'imaginaire collectif, d'aucuns se prennent à spéculer sur leur existence et arguent que tout mythe… a sa part de réalité. Ce dernier siècle, de nombreux témoignages de badauds ou de marins ayant aperçu des sirènes ont fait surface. En 1886, à Cap-Breton, au Canada, des pêcheurs sont intrigués par un corps flottant sur l'eau. Ils repêchent ce qu'ils croient être un cadavre… avant de s'apercevoir qu'il s'agit d'une étrange créature qui les fixe avant de replonger dans la mer.

Tout aussi surprenant, dans la ville de Kiryat-Yam, au nord d'Israël, moult d'habitants ont signalé avoir aperçu des sirènes et la vidéo (rapide et peu claire) d'une mystérieuse jeune femme à la queue de poisson a même fait le buzz sur la Toile. En 2013, le maire de la ville aurait décidé d'offrir une récompense d'un million de dollars à celui qui lui apporterait une preuve concrète de l'existence des sirènes. Inutile de préciser qu'il attend toujours…

À travers les siècles, la redoutable femme-oiseau de la mythologie gréco-romaine a mué en une prédatrice à queue de poisson non moins féroce jusqu'à devenir l'héroïne romantique et rêveuse des contes et légendes de ces derniers siècles. Même après tout ce temps, son mystère fascine toujours. Nul doute que la sirène continuera de faire des vagues encore longtemps. 

Ne manquez pas Une Île, avec Laetitia Casta, Noée Abita et Alba Gaïa Bellugi, de Julien Trousselier, sur Arte dès le 9 janvier à 20h55 et en replay jusqu'au 7 février sur arte.tv.