Qui veut la peau des femmes ? Anne Saulay nous répond

Anne Saulay, administratrice du Sénat, a publié un essai le 7 mars 2019 dans lequel elle dresse un état des lieux du sexisme en France. Ce livre est le résultat d'une enquête menée pendant les cinq années où elle était à la délégation des Droits des Femmes. Des exemples effarants, des chiffres troublants, des analyses féministes singulières : elle propose de porter un nouveau regard sur le sexisme actuel et refuse de victimiser les femmes. Rencontre avec une femme cultivée qui ose la différence.

Qui veut la peau des femmes ? Anne Saulay nous répond
© Anne Saulay

Sur le terrain, Anne Saulay a rencontré des femmes artistes, patronnes, prostituées, trans', mères, femmes au foyer, voilées, salariées, exilées qui ont témoigné de la place que prenait le sexisme dans leur vie. Grâce à son poste à la délégation des Droits des femmes, Anne Saulay a pu apporter un regard analytique face à des faits réels. Elle n'a pas plus d'empathie dans son livre envers les femmes qu'envers les hommes. Au contraire ! Face à la violence du machisme, une autre réponse est aujourd'hui à inventer. En marge du féminisme actuel qui lutte envers et contre tout pour obtenir l'égalité, Anne Saulay avec Qui veut la peau des femmes ? fait entendre la voix du sexisme ordinaire en privilégiant un regard analytique et objectif. Rencontre avec une femme qui ne craint ni la force des hommes ni la douceur des femmes. 

Le Journal des Femmes : Pourquoi avoir choisi d'écrire Qui veut la peau des femmes? ?
Anne Saulay : D'habitude je suis plutôt romans... J'ai écrit par exemple L'homme qui voulait attraper la lune avec un filet à papillons. Qui veut la peau des femmes?  est en fait une commande de mon éditeur. Au départ, je voulais faire un livre à propos d'une avocate qui défend les femmes victimes de violences extrêmes par des hommes comme Guy Georges. Elle me fascine car elle gagne toujours. Or, il s'avère que cette femme ne voulait rien me confier. J'ai du abandonner. Comme j'avais un contrat avec l'éditeur on m'a proposé de faire un livre sur le sexisme car j'ai été à la délégation des Droits des femmes, je suis une maman et j'ai été directeur d'un établissement artistique... Je me suis donc lancée ! 

En quoi le thème du sexisme vous a intéressée ?
Anne Saulay : Pour moi les femmes sont aussi des menaces : c'est avant tout cela ma problématique. Ce livre est fait surtout pour quitter cette posture de victime, au risque de crédibiliser cette cause. Les gens n'entendent plus que ce discours victimaire qui est dominant. Moi je ne me sens pas victime. Je crois que la peur de l'autre attire en partie le problème.

Vous commencez votre livre en mentionnant votre mère. Pourquoi ?
Anne Saulay : 
 Les lecteurs doivent savoir que j'ai un regard sur la femme qui n'est pas indulgent à cause d'elle. Avant même de naître je pense que mon ADN était formé pour naviguer dans l'océan de la manipulation . Ma mère était une immense manipulatrice. Moi j'ai un petit garçon de 5 ans et je me rend compte de ce qu'est un enfant qui se construit par rapport à un parent. J'en veux à ma mère pour cette violence mais j'ai eu des armes aussi pour tout affronter dans la vie. 

Vous affirmez dans votre introduction ne pas être féministe. Est-ce que votre avis a changé après l'élaboration de ce livre ?
Anne Saulay :
Evidemment ! J'ai grandi dans les années 90-2000 et le principal modèle féministe était celui de la soixante-huitarde : des femmes agressives et dans l'extrême revendication. Personnellement je pense que l'agressivité est inutile. Pour moi, le féminisme extrémiste fragilise les hommes... et donc, davantage encore, les femmes. Je crois en la puissance de la douceur. Par exemple, j'ai découvert Toutefine récemment, qui est une artiste qui dénonce les assignations des femmes au mariage forcé et au harcèlement en Algérie avec délicatesse. Dans ce cas oui, je suis féministe ! Je cherche juste des symboles qui me correspondent et j'en ai trouvé en construisant ce livre.

Lorsque vous évoquez les cas de Jacqueline Sauvage et Alexia Daval, vous rappelez que la femme est, elle aussi, violente. Pourquoi ?
Anne Saulay : Je pense qu'il faut avoir un regard d'égalité sur la violence sinon le message est brouillé et faux car les femmes aussi sont violentes. Si on fait de cette réalité là un tabou, on perd en puissance dans la dénonciation du sexisme. Les hommes au même titre que les femmes sont violents mais la vraie question c'est pourquoi les femmes s'en sortent moins bien ?

Vous traitez tous les thèmes du sexisme (le harcèlement, le viol, la maternité...). Est-ce un choix ?
Anne Saulay : Pas vraiment. Je voulais faire entendre le bruit du sexisme ordinaire avant tout. J'ai l'intuition qu'un an après #metoo rien n'a changé. Pour le savoir, je suis allée sur le terrain et des thèmes ont découlé de mes différentes rencontres. J'ai voulu tracer un chemin dans le bruit du sexisme ordinaire et il m'a amené partout : dans les maternités, dans les prétoires, dans les hébergements d'urgence pour les migrants, dans les universités où des étudiantes se prostituaient… 

Quels éléments vous ont le plus marquée pendant votre enquête ?
Anne Saulay : J'ai été étonnée de voir que les féminicides sont traités par la presse locale comme un fait divers. C'est incroyable, comme si cela ne comptait pas. Les 30 femmes tuées cette année avaient pourtant signalé des violences… Comment la société peut ne pas répondre à cela ? Ce qui me choque c'est la culture du secret. On protège d'abord un corps c'est à dire une famille ou une institution. Il existe une capacité des groupes à se taire au mépris de l'intégrité et du respect des corps des femmes. J'ai lu beaucoup de cas où l'autorité parentale revenait au père qui avait tué la mère. Je ne comprend pas ! On parle de droits des femmes mais... On devrait d'abord éviter que toutes ces femmes soient tuées. 

Alors... Qui veut la peau des femmes ?
Anne Saulay : La réponse : personne. Parfois on se soumet soi-même, inconsciemment, à des stéréotypes. Il faut que les femmes adoptent une autre attitude face au sexisme et qu'elles puisent leur puissance dans la douceur. Moi, j'y crois !