Melvil Poupaud : "Je suis croyant, c'est la plus grande force que j'ai trouvée en moi"

Melvil Poupaud s'enflamme pour Fanny Ardant dans "Les Jeunes Amants", au cinéma le 2 février. Ce rôle passionné l'a conforté dans son attirance pour les personnages extrêmes et lui a même donné envie de tomber amoureux. Interview, sur les variations du sentiment et de la prise de risques.

Melvil Poupaud : "Je suis croyant, c'est la plus grande force que j'ai trouvée en moi"
© Melvil Poupaud au Festival du Film de Rome pour "Les Jeunes Amants" le 16 octobre 2021 - Maria Laura Antonelli/AGF/SIPA

Melvil Poupaud connaît les écrans par cœur. Projeté en grand depuis ses dix ans, l'acteur inoubliable de Conte d'été d'Eric Rohmer et de Laurence Anyways de Xavier Dolan renoue avec le mélodrame dans Les Jeunes Amants, au cinéma le 2 février. Le frère de Yarol Poupaud donne vie à une histoire passionnée avec Fanny Ardant face à la caméra de Carine Tardieu. Il incarne Pierre, un médecin de 45 ans marié, foudroyé par la tendresse que lui inspire Shauna, 70 ans. Bravant les a priori et leurs propres réticences, ils n'auront d'autre choix que celui du cœur. Melvil Poupaud est magnifique en mec bien emporté par ses sentiments. En interview, l'acteur ne tarit pas d'éloges sur sa partenaire. "Je me suis plongé dans ses yeux et c'est elle qui m'a donné l'énergie, l'envie de vivre cette histoire", nous a-t-il confié. Parce que le film parle d'Amour, on a plongé dans son regard à lui pour le questionner sur ce qui le prend aux tripes, sur ses rôles et ses plaisirs.

Qu'est-ce qui vous a plu dans Les Jeunes Amants ?
Melvil Poupaud
: Le côté grand mélo m'a rappelé les histoires que j'aimais quand j'étais petit. Cet aspect très flamboyant me donne envie de tomber amoureux. J'ai aussi été séduit par la mise en scène que Carine avait en tête, ces scènes romanesques sur la plage ou sous la pluie. J'ai aimé que ce soit une histoire impossible à laquelle on croit finalement. Et il y avait évidemment l'occasion de tourner avec Fanny Ardant, une actrice que j'ai toujours admirée. Je n'imaginais pas avoir un jour l'occasion d'incarner un couple avec elle, alors j'en ai profité.

Le tournage à ses côtés a-t-il été à la hauteur de vos attentes ?
Melvil Poupaud
: C'est parti sur les chapeaux de roues. Dès les essais, nous avons eu une complicité très juvénile. Fanny a un côté adolescent et moi très enfantin, ce qui donnait à nos échanges une certaine fraîcheur, une envie de rire, de faire un peu de provoc'. Notre grande complicité s'est nourrie pendant le tournage. J'ai l'impression que l'on s'est reconnus. Je l'admire encore plus. Je suis fasciné par la grâce qu'elle dégage, par son esprit très original. Fanny n'est pas lisse, elle a des idées très tranchées. Son intransigeance me fait penser à Jeanne Moreau. On ne rencontre pas beaucoup de femmes avec autant de caractère, qui en même temps aiment la séduction. Elle aime le jeu et c'est ce que j'aime chez elle.

"On vit dans cette société où on a l'impression qu'il faut être jeune pour aimer ou pour avoir du sexe"

Qui est Pierre, votre personnage ?
Melvil Poupaud : Pierre est un très bon médecin, rassurant, confronté à la mort tous les jours. C'est un altruiste, un mec solide, qui gère sa famille, sa carrière. On peut lui faire confiance. Petit à petit, on découvre qu'il a enfoui une blessure très profonde. Il a en lui une souffrance qui rejaillit au contact de Shauna. Ce sont deux êtres blessés qui se retrouvent. Ils ont un coup de foudre parce qu'ils se reconnaissent. Cela lui donne la force de tout risquer pour vivre cet amour qui paraît fou aux yeux de beaucoup, mais qui pour eux est naturel et imparable. Il porte une dualité en lui, entre le mari aimant, le père de famille, le médecin et la personne fragile et sensible.

Quel regard avez-vous posé sur cette histoire d'amour qui transcende tout ?
Melvil Poupaud
: La même chose que ce que se diront les spectateurs devant le film. Ça donne envie de vivre la même chose. On a tous vécu cet amour un peu extrême, qui balaie tout sur son passage, qui fait qu'on est prêt à risquer gros.

Lui se pose beaucoup moins de questions qu'elle sur cette histoire...
Melvil Poupaud
: Il est submergé, il suit son coup de foudre. Il est au départ stupéfait de voir qu'il est attiré par cette femme, mais il ne résiste pas. Pierre est moteur de l'histoire parce que Shauna, de son côté, se dit que c'est impossible, que ça ne peut pas lui arriver. Elle est plus dubitative. Lui prend les devants en étant maladroit et timide. Il a envie d'aller au bout de cette histoire d'amour tristement pas banale. Je dis "tristement" parce qu'il n'y a aucune raison que ce ne soit pas banal. Pourquoi à 70 ans, une femme ne pourrait-elle pas vivre une histoire d'amour ? Pourquoi un mec plus jeune ne tomberait-il pas amoureux d'une femme plus âgée ? On vit dans cette société où on a l'impression qu'il faut être jeune pour aimer, pour avoir du sexe... C'est une image frelatée.

Melvil Poupaud dans "Les Jeunes Amants" © Diaphana Distribution

Est-ce important pour vous d'incarner des rôles porteurs de messages forts ?
Melvil Poupaud
: Je n'y pense pas en choisissant mes films, mais je me rends compte que les histoires qui m'intéressent ont souvent des sujets peu évidents, avec une certaine ambiguïté. J'aime bien que ça parle un peu de sexe aussi. Cela ne me dérange pas de passer par le côté charnel ou d'incarner certains tabous comme dans Lawrence Anyways. La sexualité fait partie de la vie. J'aime explorer ses différents aspects.

A l'inverse, avez-vous une limite infranchissable ?
Melvil Poupaud
: Au contraire, je déteste refaire la même chose, jouer le même genre de personnage. Plus on me demande d'aller loin, plus je suis content. J'avais un peu peur ici d'avoir un personnage normal, monsieur Tout-le-monde, mais j'ai vite oublié cette fausse idée pour me lancer à corps perdu dans l'histoire d'amour. Plus ça va, plus j'aime les rôles extrêmes.

Comme Pierre, êtes-vous du genre à vous battre pour défendre vos convictions ?
Melvil Poupaud
: Je n'ai pas de conviction, mais certaines choses me sont chères, m'aident à vivre et j'y tiens. C'est plus fort que moi. Je suis prêt à les défendre mordicus, quitte à prendre des risques. Je n'appellerais pas ça des convictions. Je ne suis pas branché politique, par exemple. Je suis plus mystique que politique. La vérité, c'est que je suis croyant. C'est la plus grande force que j'ai trouvée en moi. C'est un sujet qui m'anime.

"Assez vite, j'ai voulu m'émanciper de l'idée que l'on se faisait de moi"

Quel est le plus gros risque que vous ayez pris dans votre carrière ?
Melvil Poupaud
: Je n'ai pas l'impression d'avoir pris de risque. J'ai fait des films qui étaient des aventures, où je ne savais plus trop où j'allais. Notamment avec un metteur en scène qui s'appelle Charles de Meaux et pour un film chinois, où je devais parler mandarin. C'était un gros risque que je n'avais pas mesuré puisque c'est impossible de parler mandarin quand ce n'est pas notre langue maternelle ! C'était si rocambolesque que j'ai écrit un bouquin pour raconter le délire de ce tournage : Voyage à Film City. Je choisis toujours de bons metteurs en scène et alors le risque devient minime. J'essaie d'avoir un rapport sain avec eux, en espérant qu'en retour, ils me traiteront bien. Je n'aime pas les rapports malsains dans le travail ou la confrontation. Le risque que je prends, c'est de faire confiance.

Puisque Les jeunes Amants aborde le sujet du regard de la société, avez-vous déjà senti que l'on vous mettait dans une case ?
Melvil Poupaud
: Quand j'étais plus jeune, on me voyait comme le jeune premier romantique, le ténébreux Parisien. Ça ne m'a pas plu, donc je m'en suis détaché. Je me disais que ça n'allait durer qu'un temps et qu'est-ce que j'allais devenir une fois que je ne serais plus le jeune premier? Comédien, c'était plus important pour moi qu'un simple emploi. Si on veut faire une longue carrière, il faut être capable d'accepter de changer physiquement, de vieillir. Il ne faut pas se contenter d'un rôle un peu facile, que l'on maîtrise et auquel les gens aiment bien nous cantonner. J'ai pris exemple sur certains modèles comme Michel Piccoli ou Marcello Mastroianni. Assez vite, j'ai voulu m'émanciper de l'idée que l'on se faisait de moi.

Melvil Poupaud dans "Les Jeunes Amants" © TAMALET CHRISTINE - Diaphana Distribution

Ce qui vous animait au début est-il resté intact ?
Melvil Poupaud
: J'avoue que ça a évolué. Quand j'étais petit, je voyais les metteurs en scène comme des demi Dieu, j'avais une espèce de fétichisme de l'artiste. En vieillissant et en travaillant avec des réalisateurs plus jeunes ou du même âge que moi, je réalise que c'est une collaboration. Je me suis détaché de la grande figure paternelle qui maîtrise tout face à moi, employé. Aujourd'hui, je me dis que je peux aussi amener quelque chose à un personnage ou à un réalisateur avec mon expérience. Je sacralise moins le rôle du cinéaste. Le fait de faire des séries, pour TF1 et Canal +, m'a fait voir autre chose qu'un film d'auteur, où le metteur en scène écrit, réalise et dirige tous les paramètres. C'est d'avantage un travail d'équipe, avec un rôle dans lequel je me sens à l'aise et où j'ai l'impression de pouvoir amener quelque chose.

Pour OVNI(s), dont la saison 2 arrive sur Canal +, on vous découvre un talent comique en directeur du bureau chargé d'analyser les phénomènes aérospatiaux non-identifiés…
Melvil Poupaud
: Didier Mathure est un personnage que j'adore incarner parce qu'il est à la fois drôle, sûr de lui et capable de partir en vrille. Il est à la fois élégant, pathétique et ridicule. Je n'ai pas fait beaucoup de comédie pour le cinéma et il me donne accès à des scènes burlesques, avec sa gestuelle particulière, sa moustache, ses costumes seventies... C'est un des rôles que j'ai le plus de plaisir à jouer et j'espère que ça durera encore longtemps.

Le plaisir est-il plus fort quand vous jouez la comédie que le drame ?
Melvil Poupaud
: C'est différent. Je viens de faire un film avec Arnaud Desplechin beaucoup plus dramatique. Ce n'était pas du plaisir immédiat parce que les scènes sont très intenses et qu'il demande beaucoup à ses acteurs, mais il y avait une satisfaction, surtout à la fin, d'avoir accompli quelque chose d'important dans ma carrière. Le plaisir c'est compliqué, dans la vie en général et à fortiori sur un plateau: on ne sait jamais trop à quel moment on en prend. Peut-être avant, quand un metteur en scène vous appelle en vous disant "je pense à toi pour mon prochain film". Pendant le tournage, on ne pense pas à soi. Ce n'est pas comme pour la musique, où le plaisir est immédiat.

Qu'est-ce qui vous pousse à continuer ?
Melvil Poupaud
: Peut-être que je cours après ce plaisir fantôme...